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Le néolibéralisme à l’assaut du Mali

Lundi 2 janvier 2006, par Pierre BEAUDET

En 2005, le Mali a été moins affecté par l’invasion acridienne et la faible pluviométrie dans la région. Toutefois, il partage avec le Niger presque les mêmes Indicateurs du développement humain, qui font de lui le 174e pays sur 177.

Ce qui s’explique aussi par le statut commun de pays pauvre très endetté respectant aussi scrupuleusement l’échéancier, autrement dit sans arriérés de paiement. Ainsi, la mauvaise fiche sociale est aussi la conséquence de la politique de l’État malien pendant la phase néocoloniale précédente, l’ayant placé sous la coupe du FMI et de la Banque Mondiale. Une décennie de « démocratie » n’a nullement amélioré la situation sociale héritée de la période dite non-démocratique. Bien au contraire. La succession des gouvernements élus, c’est aussi la continuité de l’État en matière d’Ajustement structurel néolibéral, malgré la différence des rythmes en ce qui concerne aussi bien la privatisation que la libéralisation des marchés et autres préceptes néolibéraux de la Banque Mondiale et du FMI. L’actuelle équipe gouvernante, dirigée par le général Amadou Toumani Touré, semble plus déterminée que la précédente à satisfaire les institutions gestionnaires de la néolibéralisation, malgré des conséquences sociales dramatiques. Ce au profit des investisseurs dits stratégiques qui prennent le contrôle des secteurs les plus rentables de l’économie dite malienne.

Privatisations

C’est en effet dans le cadre de cette néolibéralisation qu’a eu lieu la privatisation de la Régie des Chemins de Fer du Mali (RCFM). L’actionnaire majoritaire de la nouvelle entreprise Transrail SA est au départ un consortium canadien Canac-Getma. Une privatisation qui est assez caractéristique des rapports de domination impérialistes : la RCFM évaluée à 105 milliards de FCFA (160 millions d’euros) a été octroyée à 5 milliards (7,622 millions d’euros). La nouvelle entreprise ayant fait le choix du plus grand taux de profit, priorité a été accordée au transport des marchandises, sur celui des voyageurs. Ce qui a entraîné la suppression de deux-tiers des gares (26 sur 36) alors que pendant un siècle la vie s’était organisée autour de ces 36 gares (qui sont aussi des villages). Les habitants sont ainsi désemparés : les voyageurs et les familles des cheminots constituaient la clientèle pour leurs produits. Transrail a ainsi contribué au développement de la pauvreté en milieu rural. De plus, 612 cheminots ont été licenciés et certains acquis sociaux des cheminots, par exemple les pensions de retraite versées aux veuves, ont été soit revus à la baisse soit supprimés. Ce qui a suscité l’indignation et une résistance citoyenne pour le retour à la régie du rail malien. Un Collectif citoyen pour la restitution et le développement intégré du rail malien (Cocidirail) a vu le jour. Mais la répression n’a pas tardé à s’abattre sur lui. Son principal animateur, un ingénieur, ancien directeur adjoint de l’École Supérieure Africaine des Chemins de Fer, Tiécoura Traoré, a été purement et simplement licencié, en violation flagrante de la législation du travail. Le Cocidirail ne s’est pas pour autant démobilisé.

Contre-réforme agraire

D’autres secteurs importants de l’économie malienne sont victimes de cette restructuration néolibérale, avec des graves conséquences sur la vie des populations paysannes. C’est le cas de l’Office du Niger, productrice de riz depuis la période coloniale, nationalisée après « l’indépendance », soumise à une privatisation rampante depuis 1984, sous l’égide de la Banque Mondiale, avec à la clef la libéralisation de la commercialisation du paddy dès 1985, et une compression des effectifs de 70 %.

Depuis quelque temps, il y est question d’une réforme foncière qui menace les paysans jouissant de l’usufruit sur les terres de l’ON, mais aussi par leur mise en concurrence avec de gros investisseurs. Ce contre quoi ils résistent : « On affirme que nous sommes dans un État de droit, mais nous, les cultivateurs, ne le savons pas. Nous sommes considérés comme des esclaves. A l’ON, il n’y a que la corruption, la magouille et l’injustice qui prévalent. Nous avons payé les redevances légalement dans le délai fixé par le Président de la République. Et voilà qu’on nous retire nos champs de riz pour les donner aux nouveaux bénéficiaires qui vont récolter nos produits. Nous préférons mourir que de perdre nos champs. Si les autorités ne prennent pas leurs responsabilités, advienne que pourra », Ces paysans qui ont travaillé et habité légalement sur ces terres pendant des décennies refusent cette perte du droit d’exploitation des terres et leur remplacement par de gros investisseurs, sous le prétexte fallacieux de ne s’être pas acquittés à temps de la redevance eau. Ils sont par ailleurs confrontés à la hausse de plus de 200 % du coût des intrants agricoles. Seuls les plus pourvus financièrement survivront dans la jungle néolibérale.

Cette réforme foncière se réalise au moment où se développe la mobilisation des femmes paysannes pour l’accès à la terre. Ce qui rend plus difficile cette lutte ; c’est que les hommes tendent à la considérer secondaire, au lieu de s’y appuyer pour mieux faire avancer la cause commune. Mais, il ne suffit pas d’être victime d’une injustice pour être en mesure de perdre ses propres privilèges, même symboliques.

Avec l’ON, l’autre cible de la néolibéralisation dans le secteur agricole est la Compagnie malienne de développement et des textiles (CMDT), l’ex-Compagnie française de développement et des textiles (CFDT). C’est la compagnie du coton, dont le Mali était le principal producteur de la sous-région. Sa privatisation est une pomme de discorde entre les institutions de Bretton Woods et le gouvernement malien qui en redoute les conséquences sociales et électorales, vu la place du coton dans la vie rurale et au-delà. Car, c’est plus du quart de la population malienne, soit environ 3,5 millions de personnes, qui vivent directement et indirectement du coton. Comme le disaient ces deux sexagénaires lors du Forum des Peuples de Fana (choisi comme site à cause de son statut de 2ème région productrice de coton), dans le cadre de la Conférence populaire paysanne (qui a aussi parlé de l’accès à la terre des femmes rurales) au cours de laquelle des échanges ont eu lieu avec des participant/es venu/es du Bénin, du Burkina... : « S’il faut maintenant vendre notre espoir en privatisant la CMDT, vraiment nous ne sommes pas d’accord. » La vie quotidienne des petits paysans et paysannes producteurs de coton connaîtra ainsi le sort de leurs compatriotes des gares ferroviaires et de ceux confrontés à l’ON. C’est autour de la CMDT qu’est organisée la vie sociale et les infrastructures. Mais le partenaire français, Dagris, ex-CFDT (actuellement actionnaire à 60 %) est à l’affût, refusant de contribuer au financement du déficit de la CMDT, pour mieux en accélérer la privatisation complète. Car, si le prix du coton aux producteurs est en baisse ces dernières années, le coton de la région du FCFA, dont le Mali a été le principal producteur jusqu’en 2004, est absorbé à 60 % par le marché chinois. Ce qui est en soi une aubaine pour tout investisseur qui se débarrassera de maintes charges sociales, avec la privatisation complète, qui est un engagement pris par l’État malien dans le cadre de l’Initiative PPTE, d’allégement de la dette. L’actuel gouvernement malien a pu obtenir de la Banque Mondiale et du FMI son report en 2008 car l’année 2007 est une année électorale au Mali. La dernière mission de la Banque Mondiale au Mali a mis au point les modalités de privatisation. Pour satisfaire tous ceux, capitaux multinationaux et privés, qui salivent, pour les profits à réaliser, c’est la filialisation, inégalement rentable certes, qui a été retenue.

Un autre aspect de cette restructuration, libéralisation du secteur cotonnier qui est préjudiciable à la petite paysannerie, c’est l’introduction des semences génétiquement modifiées que les petits producteurs participant au Forum des Peuples à Fana ont vigoureusement dénoncée. En effet, en collaboration avec la Banque Mondiale, USAID, les multinationales productrices des semences génétiquement modifiées Dow AgroSciences, Monsanto, Syngenta (Novartis), ont initié un Projet COTI-2 de « Développement de la culture du coton génétiquement modifié au Mali ». Ainsi est programmée la dépendance de la petite paysannerie à l’égard des semenciers. Sous prétexte de mettre le progrès technologique au service des pauvres sont préparées en fait leur dépendance et la marginalisation des plus dépourvus ou leur transformation en simple prolétariat agricole, surexploité.

Législation du travail en danger

En effet, en échange de l’allégement de la dette, comprenant l’effacement surmédiatisé de la dette multilatérale, le Mali est tenu, comme le Niger, d’améliorer les conditions de réalisation du profit. Comme l’a dit le porte-parole du gouvernement malien, Ousmane Thiam, lors de sa visite à Paris, en septembre 2005, le Mali prépare « une simplification des procédures et des formalités liées à la création d’entreprises... le “retoilettage” du Code des investissements, qui est non seulement plus attractif, mais qui met l’entrepreneur étranger sur le même pied d’égalité que le malien ». Il s’agit non seulement de confronter le petit entrepreneur malien aux multinationales, mais aussi de réduire a minima la protection sociale des travailleurs. C’est ce qui est quasi-explicitement suggéré par le gouvernement des États-Unis, en disant que « les lois du travail sont restrictives au Mali et la difficulté de l’embauche et du licenciement sont des obstacles supplémentaires ». Le but est une généralisation de ce qui s’est produit à la RCFM contre les travailleurs organisés pour la défense de leurs droits. La criminalisation de la défense des droits des travailleurs est un principe du néolibéralisme éprouvé aussi par les syndicalistes de la Société malienne d’exploitation (Somadex). Dans cette entreprise d’exploitation de l’or à Morila, appartenant à Bouygues, les travailleurs revendiquent principalement le payement de la prime de rendement indexée sur le taux de dépassement de la production. Car, par frénésie accumulatrice, la Somadex a produit, en trois ans, 83 tonnes d’or au lieu des 33 tonnes prévues par la convention d’exploitation. Ce qui signifie aussi une exploitation intensive de la force de travail. Les travailleurs revendiquent l’établissement de vrais contrat de travail, à la place des contrats de travail falsifiés, avec la complicité des nationaux, et qui ont causé le licenciement de trois cents travailleurs, sans paiement de leurs droits et indemnités. Des abus que les travailleurs n’ont pas admis, jusqu’à déclencher en juillet 2005 une grève face au refus de la direction de l’entreprise d’entendre leur demande de respect des droits. La réponse de la direction, avec la complicité de certaines autorités locales, a été la répression. Pour légitimer celle-ci aux yeux de l’opinion, divers actes de violence commis dans le village ont été attribués aux travailleurs en grève. Ainsi, une trentaine de travailleurs ont été emprisonnés par la gendarmerie. Une vingtaine ont été par la suite relâchés, au moment où était arrêté (en octobre 2005), le secrétaire administratif du comité syndical, Karim Guindo. Pour échapper à cette répression, les autres dirigeants syndicaux, dont le secrétaire général, Amadou Nioutama, sont contraints à la clandestinité. Leur principal délit est d’avoir voulu perturber l’accumulation du surprofit néocolonial par cette entreprise se comportant comme en territoire conquis. Ce qui pouvait par ailleurs servir de mauvais exemple aux travailleurs des autres entreprises exploitant l’or au Mali qui ne sont pas plus soucieuses des droits des travailleurs et de l’environnement.

Pourtant, cette arrogance a fini par lasser le gouvernement malien dont le projet de maintien au pouvoir à l’issue des prochaines élections pouvait être contrecarré par le non-respect, par Bouygues, à travers sa filiale Saur International, du contrat de partenariat d’Énergie du Mali (EDM) établi en 2000. En effet, Saur s’est avéré davantage intéressé par les profits à court terme (hausse des tarifs d’eau et d’électricité) que par les investissements qu’il s’était engagé à réaliser qui devaient favoriser l’extension des réseaux de distribution d’eau et d’électricité. Ainsi, l’État malien s’est vu obligé de lui retirer, en octobre 2005, son statut d’actionnaire majoritaire dans EDM, violant ainsi le sacro-saint principe néolibéral d’amaigrissement du patrimoine économique des États, alors que la réunion des ministres de l’Économie et des Finances de la Zone Franc (des 19 et 20 septembre 2005, à Paris) venait de lui recommander, entre autres, de « poursuivre la mise en œuvre du programme économique et financier soutenu par le FRPC, notamment les réformes structurelles dans les secteurs cotonniers et de l’électricité ». Cet acte à motivation plutôt électoraliste lui a valu une mission spéciale de la Banque Mondiale et du FMI, dont le programme de lutte contre la pauvreté n’inclut pas la baisse des tarifs d’eau et d’électricité en faveur des pauvres, de surcroît par une entreprise majoritairement étatique.