Les démocrates ont voté un calendrier de retrait d’Irak qui ménage de nombreuses exceptions autorisant les troupes américaines à poursuivre l’occupation pour lutter contre Al Qaida, qui sont motivées par la crainte de se voir accusés de défaitisme. Pourtant, sur le terrain, la résistance sunnite veut et peut se débarasser des jihadistes étrangers. A une condition : que les Américains s’engagent sur un calendrier de retrait total, ce à quoi l’administration s’oppose résolument. Analyse de Gareth Porter.
Le texte sur le calendrier de retrait américain d’Irak voté par le Congrès cette semaine contient beaucoup d’échappatoires qui pourraient permettre selon toute vraisemblance aux troupes américaines de poursuivre indéfiniment leurs opérations militaires au cœur des régions sunnites d’Irak.
Le plan, rédigé par la majorité démocrate du Congrès, qui définit un calendrier de 180 jours pour l’accomplissement du « redéploiement » des troupes américaines d’Irak, comporte une exemption afin de permettre « des actions spéciales ciblées, limitées dans le temps et l’espace, pour tuer ou capturer des membres d’al-Qaida et d’autres organisations terroristes internationales ».
Cette exception pour Al-Qaida, à laquelle s’ajoute une seconde exemption permettant aux forces US de revenir au besoin en Iraq pour protéger ceux qui demeurent sur place dans le but de former et équiper les forces irakiennes de sécurité et protéger d’autres forces militaires américaines, semble autoriser la présence en Irak de dizaines de milliers de troupes d’occupation américaines pendant de nombreuses années à venir.
Les nombreuses échappatoires contenues dans le plan de retrait des démocrates ont pour toile de fond l’échec de la guerre américaine contre l’insurrection- y compris contre al-Qaida - à al-Anbar et les autres provinces sunnites et l’émergence d’un grave conflit au sein de l’insurrection sunnite qui oppose les groupes de résistance non djihadistes et al-Qaida.
Les organisations de résistance sunnites représentent une alternative majeure à l’occupation américaine sans fin des provinces sunnites hostiles qui a eu pour effet de jeter de nombreux activistes dans les bras d’al-Qaida.
Bien que les propos du texte de loi sur les crédits semble suggérer un mandat très limité pour les opérations contre al-Qaida, au moins une figure influente du camp démocratique, le chef du Comité des Affaires étrangères du Sénat Joe Biden, prévoit de l’interpréter assez largement pour permettre à l’administration de continuer, a peu près au niveau actuel, les opérations militaires américaines dans la province d’Anbar, même après que les USA aient retiré leurs troupes de la région de Bagdad.
On attribue à Biden la responsabilité, pour une grande partie, de l’inclusion de l’exception Al-Qaida dans le plan de retrait des démocrates. En octobre dernier, il avait déclaré que tout plan de retrait devrait prévoir « une petite force résiduelle - peut-être de 20 000 hommes - povant frapper n’importe quelle concentration de terroristes, protéger l’Irak de ses voisins et former ses forces de sécurité ».
Le sénateur accepte apparemment le principe d’une présence militaire américaine indéfinie dans le temps afin d’empêcher al-Qaida de devenir une présence permanente à Anbar et dans les provinces sunnites avoisinantes. Durant la majeure partie de l’année 2006, le commandement militaire américain en Iraq a encouragé ce principe en présentant la situation dans la province d’Anbar comme une lutte opposant uniquement les forces américaines à al-Qaida.
Un rapport de cinq pages des services de renseignement de la marine américaine sur Anbar en septembre dernier reflétait cette vue. Il décrivait la province d’Anbar comme un « vide qui a été occupé par le groupe d’insurrection d’al-Qaida en Iraq. » Les médias rendant compte de la situation de la province se sont en grande partie conformés à cette interprétation. La notion d’une guerre opposant deux blocs au cœur des terres sunnites a renforcé la position politique de l’administration Bush affirmant que toute discussion sur un calendrier de retrait était défaitiste.
En réalité, cependant, il n’en est rien. La majorité des principales organisations sunnites insurrectionnelles constituent une autre force anti-al-Qaida qui possède bien plus que les Etats-Unis la capacité de défaire cette organisation.
La résistance « non djihadiste » à l’occupation étrangère a des intérêts politiques qui sont fondamentalement contraires de ceux d’al-Qaida. Durant la préparation du référendum constitutionnel d’octobre 2005, et durant la campagne des élections parlementaires de décembre 2005, des éléments importants de la résistance armée sunnite à Anbar et d’autres provinces sunnites ont approuvé la participation au processus électoral, en dépit du fait que al-Qaida avait menacé de mort toute personne qui oserait y participer.
Ce fut le début d’un conflit violent entre plusieurs organisations armées sunnites d’envergure et al-Qaida dans toutes les provinces sunnites. Une série d’affrontements militaires entre les deux forces politico-militaires sunnites survint à Anbar. Des sources religieuses sunnites ont déclaré au journal pan-Arabe Al-Hayat, basé à Londres, que les groupes de résistance avaient coopéré en formant des « comités populaires » à Ramadi pour y cibler al-Qaida.
Le commandement militaire américaine en Iraq a officiellement confirmé en janvier 2006 que les insurgés sunnites ont tué pas moins de six leaders de haut rang d’al-Qaida dans la seule ville de Ramadi.
En 2007 les assauts des insurgés sunnites contre Al-Qaida ont augmenté. L’Associated Press (AP) a rapporté le 20 avril que les dirigeants américains interviewés à ce sujet ont déclaré que les insurgés des Brigades révolutionnaires de 1920 et l’armée Ansar Al-Sunnah attaquent Al-Qaida « quotidiennement » dans les provinces de Diyala, Salahuddin et Anbar.
Pendant ce temps, les forces américaines se sont montrées incapables de réaliser des progrès significatifs dans leur propre guerre contre-insurrectionnelle contre al-Qaida dans la province d’Anbar. David Wood du journal Baltimore Sun a rapporté en janvier que les officiers américains qu’il a interviewé à Anbar « ont décrit le combat comme étant de plus en plus frustrant » et estimaient qu’ils auraient besoin de « plusieurs années » pour défaire Al-Qaida.
L’incapacité des forces américaines a faire des progrès a Anbar et les preuves du fait que de larges pans de la résistance sunnite combattait al-Qaida a conduit l’administration Bush a débuter de sérieuses négociations avec les leaders de ces organisations de résistance l’année dernière. Selon les comptes-rendus de participants sunnites a ces négociations, Zalmay Khalilzad, alors ambassadeur américain a Bagdad s’est entretenu avec les représentants de 11 organisations insurrectionnelles (qui se sont présentées comme représentatives de la plupart des forces insurrectionnelles sunnites) en sept occasions différentes entre la mi-janvier et début mars 2006.
Khalilzad a finalement confirmé juste avant de quitter Bagdad le mois dernier qu’il avait effectivement rencontré des groupes de la résistance, y compris l’Armée islamique d’Iraq et les Brigades révolutionnaires de 1920, au début de l’année 2006.
Selons les comptes-rendus des dirigeants de l’insurrection présents lors de ces réunions ils ont interrompu les négociations en avril dernier, lorsque Khalilzad n’a pas donné suite à une ébauche de protocole d’accord qu’ils lui avaient remis, conformément à leurs engagements, avant la formation d’un nouveau gouvernement irakien. Les insurgés et les officiels du gouvernement irakien ont confirmé à Associated Press en juin dernier que ces 11 groupes avaient offert de mettre fin à leurs attaques contre la troupes américaines en échange d’un calendrier de retrait étalé sur deux ans.
Le problème du calendrier ne fut apparemment pas ce qui arrêta les négociations. Un « officier militaire de haut rang de la coalition » aurait suggéré en Juin, selon Newsweek magazine et le Times de Londres, qu’une formule pourrait être trouvée pour satisfaire les demandes sunnites d’un calendrier de retrait.
Ali Allawi, qui était alors ministre des Finances dans le gouvernement du Premier ministre Ibrahim Al-Jaafari, a déclaré à Inter Press Service pendant sa visite à Washington il y a deux semaines pour une la promotion d’un livre, que si Khalilzad n’a pas répondu au mémorandum des insurgés c’est parce qu’il exigeait la formation d’un nouveau gouvernement irakien. Bush était évidemment peu disposé à soulever des questions au sujet de sa légitimité.
Néanmoins, l’option de la résistance sunnite a été clairement envisagée l’année dernière par les militaires américains, Khalilzad et Bush lui-même comme préférable à une guerre américaine de contre-insurrection sans fin, au coeur d’un environnement sunnite hostile. Mais l’administration a finalement abandonné cette option politique quand Bush et le vice-président Dick Cheney se sont opposés à la demande des démocrates d’un calendrier de retrait.
La Maison Blanche préfère sans doute se trouver en position de blâmer les démocrates pour leur « défaitisme », plutôt que de poursuivre cette option plus vigoureusement. Pendant ce temps,les leaders démocrates du Congrès, semblent persuadés qu’ils doivent soutenir la poursuite de la guerre contre Al-Qaida pour éviter d’être étiquetés comme des défaitistes. Mais le plan démocrate voté lundi n’est que la première d’une série de batailles à venir concernant la politique irakienne dans les semaines prochaines.
Et le débat sur les mesures d’exceptions qui autorisent la poursuite de la guerre en Irak n’en est qu’à son premier round.
*Gareth Porter est historien, spécialiste des questions de sécurité internationale.
** Publication originale IPS, traduction de Karim Loubnani pour Contre Info.