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IRAK

Le drame des réfugiés

Entrevue avec Astrid Van Genderen, porte-parole du HCR à Bagdad

Samedi 2 juin 2007, par Pierre BEAUDET

Porte-parole du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR), Astrid Van Genderen dresse un tableau très sombre de la situation des réfugiés iraqiens et appelle à la mobilisation internationale pour résoudre un drame qui, selon elle, va s’aggraver et durer encore des années.

La crise des réfugiés iraqiens prend de l’ampleur ; une moyenne de 50 000 personnes quittent le pays tous les mois. Que faites-vous pour aider à résoudre ce problème ?

Astrid Van Genderen : Notre objectif est une meilleure prise de conscience de la communauté internationale sur le drame des réfugiés iraqiens. Notre seule préoccupation est humanitaire. On compte aujourd’hui 4 millions de réfugiés iraqiens, soit à l’étranger, soit dans leur propre pays. Leur situation est souvent dramatique. Or c’est un drame qui risque de durer longtemps, car on ne voit aucune pacification à l’horizon en Iraq. Certains de ces réfugiés ne retourneront jamais à leur pays.

En réalité, la communauté internationale est consciente du problème, mais sa réaction est trop prudente. Nous-mêmes, au HCR, avons tardé à intervenir, car nous pensions que cet exil serait temporaire, que les gens allaient revenir chez eux. Nous réalisons aujourd’hui qu’il n’en est rien. Nous faisons face à un exode des millions de personnes, comme le Moyen-Orient n’en a jamais connu, qui va probablement s’accentuer et durer des années et des années. Il faut donc prévoir des structures d’accueil à long terme.

La solution dépend de l’engagement des Etats, mais aussi des principales Organisations Non Gouvernementales (ONG) et des institutions internationales. Tout ne peut pas reposer sur les gouvernements. Il faut une bonne coordination des actions, une synergie entre ce que peuvent faire les associations humanitaires et les Etats.

Le HCR souhaite-t-il que les Etats-Unis et l’Union européenne accueillent plus de réfugiés iraqiens ?

— Evidemment. Il est choquant qu’une grande puissance n’ouvre ses portes qu’à quelques centaines de réfugiés tandis que la Syrie, pays aux ressources limitées, en héberge plus d’un million. Mais il ne faut pas se faire d’illusions ; jamais les Etats-Unis ni l’Union européenne n’accueilleront plusieurs centaines de milliers d’Iraqiens. Mais ils doivent ouvrir plus largement leurs frontières.

Il est essentiel que la communauté internationale partage le fardeau de cet exode. On ne peut pas laisser la Syrie et la Jordanie en assumer tout le poids. Cela serait injuste. C’est en outre impossible — et même risqué — humainement, financièrement et politiquement puisqu’il en va de l’équilibre de ces deux pays. C’est aussi contre l’intérêt des Iraqiens eux-mêmes. Damas et Amman en effet n’améliorent pas leurs structures d’accueil par crainte que cela ne crée un « appel d’air » à plus de réfugiés. Cependant, l’installation dans cette région est préférable ; pour des raisons linguistiques et culturelles, pour des raisons de proximité favorables à la sécurité de l’exode et à un éventuel retour. Outre la Syrie et la Jordanie, l’Egypte, le Liban et les Emirats devraient se montrer plus accueillants.

Partager le fardeau signifie que l’hébergement de réfugiés iraqiens en Syrie, par exemple, pourrait être financé par un pays européen, que des ONG pourraient ouvrir des cliniques mobiles ou des écoles sous des tentes en Jordanie, que des institutions internationales pourraient envoyer sur place des médecins ou organiser des formations professionnelles. La logique est encore une fois celle de la synergie entre tous les acteurs — Etats et ONG —, de la conjonction des actions. Il ne faut pas oublier que, si les premiers réfugiés iraqiens étaient plutôt aisés, on voit arriver aujourd’hui des personnes beaucoup plus modestes et qui ont tout perdu.

Qu’en est-il des Iraqiens exilés dans leur propre pays ?

— Ce sont eux qui connaissent la situation la plus précaire et la plus dangereuse. Pour des raisons de sécurité, les équipes du HCR présentes en Iraq ne peuvent pas les atteindre tous pour leur porter assistance. Beaucoup de ces réfugiés de l’intérieur ont tout perdu ; leurs maisons ont été brûlées, leur argent et leurs objets personnels volés … Souvent, un des membres de la famille a été tué. On rencontre ainsi beaucoup de veuves avec de jeunes enfants. Des groupes extrémistes les ont chassés de chez eux pour unifier les villes et les quartiers sur des critères religieux. Leur fuite a souvent été traumatisante ; chaque check-point est une menace. En général, ces personnes se réfugient chez des proches. Mais la solidarité a des limites. Les capacités d’accueil de nombreuses familles sont dépassées, faute d’argent pour nourrir tout le monde, faute de pièces pour héberger chacun.

Le gouvernement iraqien offre 200 dollars à chaque famille qui reviendrait chez elle et il a adopté un plan de sécurité renforcé à Bagdad le 14 février. Mais cela n’a pas tari l’exode ni fait revenir les familles. Comme me le confiait un Iraqien : « Je crois aux miracles et aux contes de fées, pas en la capacité du gouvernement d’assurer la sécurité à Bagdad ».

Selon les statistiques du HCR, on compte 1,8 million de réfugiés à l’intérieur de l’Iraq dont 80 % sont originaires de Bagdad ; 4 millions de personnes en Iraq dépendent de l’aide alimentaire internationale ; 70 % n’ont pas accès à l’eau et 23 % des enfants souffrent de malnutrition. On croise de plus en plus d’enfants des rues, et la moitié des enfants réfugiés ne vont pas à l’école. On assiste actuellement au sacrifice d’une génération entière


Voir en ligne : www.hebdo.ahram.org.eg