Une Palestinienne, songeuse, dans les ruines de son appartement démoli, à Jabalya.Quand Amira Al-Qarme, 13 ans, est sortie d’un coma de trois jours, ses premiers mots furent : « Je veux me faire sauter, et en emmener le plus possible que je pourrais ». Elle parlait des soldats israéliens.
En se rétablissant aujourd’hui à l’hôpital Dar Al-Shifa de Gaza, Amira a vu comment les soldats d’occupation avaient tué son père, Fathi, et ses deux frères, Alaa et Esmat, dans leur maison du quartier Tel Al-Hawa, au sud-est de Gaza ville. Après avoir entendu la traduction de ses paroles, le médecin étranger qui supervise le traitement d’Amira a fait remarquer que son histoire apportait la preuve que les massacres israéliens à Gaza étaient contreproductifs. La violence israélienne ne fait que rendre la génération actuelle des Palestiniens plus déterminée à résister.
Plus de 1 400 Palestiniens ont été tués, dont 400 enfants, et 5 500 ont été blessés, mutilés et défigurés, et parmi eux, 1 900 enfants. D’après Israël, 10 soldats et 3 civils ont été tués.
De tels drames sur toile de fond d’un cessez-le-feu entré en vigueur dimanche - après trois semaines sanglantes qui ont foudroyé la région - mettent en avant un grand nombre de questions. La première est de savoir combien de temps va tenir cette accalmie étrange, et surtout, à quel point la campagne militaire contre Gaza a-t-elle affecté la résistance et le dialogue national palestiniens. Abu Obeida, porte-parole des Brigades Qassam, la branche militaire du Hamas, a déclaré à Al-Ahram Weekly que le cessez-le-feu et les éventuelles trêves n’étaient possibles qu’en cas d’accord sur les conditions posées par les factions de la résistance palestinienne.
Et ces conditions sont : la levée du blocus et la réouverture des passages frontaliers, particulièrement celui de Rafah. La résistance, dit-il, « ne cessera pas ses tentatives pour avoir des armes par tous les moyens possibles, car c’est un droit de la résistance. »
Abu Obeida affirme qu’Israël n’a pu atteindre aucun de ses objectifs affichés, et notamment l’arrêt des tirs de roquettes depuis Gaza et la reconquête de son pouvoir de dissuasion militaire. Pour preuve de ces échecs, dit-il, la poursuite par la résistance palestinienne de ses tirs de missiles jusqu’au dernier moment, ajoutant qu’il s’attend à ce qu’Israël et l’Egypte arrivent à une formule qui réponde favorablement aux conditions des factions palestiniennes. Mercredi matin, les forces d’occupation israéliennes ont terminé leur retrait de Gaza, répondant en cela à la première des exigences du Hamas en réponse au cessez-le-feu unilatéral d’Israël.
On peut se demander si les succès revendiqués par le porte-parole des Brigades Qassam le sont vraiment au regard du nombre énorme des victimes et des destructions massives de l’infrastructure et des maisons de la population. Abu Obeida reconnaît que le « monde civil » palestinien dans sa profondeur a reçu un coup très dur et que le peuple palestinien a payé un prix très élevé. D’un autre côté, dit-il, même si Israël a déclenché toute la gamme de ses armes modernes contre la bande de Gaza, il est obligé d’admettre qu’il n’a pas pu imposer son diktat à la résistance dans Gaza et que toute tentative pour forcer la résistance à des concessions aboutirait à une confrontation majeure qui serait un risque pour Israël.
Et il ajoute que les mouvements de résistance avaient tiré nombre de leçons de l’offensive, des leçons qui les aideraient à améliorer de façon significative leurs résultats à l’avenir. Il insiste pour dire que la résistance a également gagné de la force avec le soutien populaire énorme qu’elle a reçu des peuples arabes et islamiques, attesté par ces manifestations populaires qui se sont déroulées partout dans le monde arabe et islamique pour protester contre la brutalité israélienne et soutenir le droit palestinien à résister. Abu Obeida est en outre convaincu que les crimes de guerre israéliens dans la bande de Gaza vont permettre d’ouvrir de nouveaux fronts de résistance dans des endroits auxquels Israël ne s’attendait pas.
S’agissant des perspectives de reprise du dialogue interpalestinien et de réconciliation nationale, le chef du groupe parlementaire du Hamas, Yehia Moussa, a estimé que l’issue de la guerre contre la bande de Gaza améliorait les chances pour une réconciliation.
Moussa dit qu’il sait qu’Israël va continuer à faire pression sur Abbas contre la réconciliation, mais plus Abbas répond aux exigences d’Israël, moins il détient de légitimité, au sein même de son propre parti, le Fatah.
De fait, il semble qu’un courant d’opposition à Abbas monte de plus en plus fort dans le Fatah à la suite de la guerre de Gaza. Certains dirigeants du Fatah commencent à demander publiquement que le président palestinien prenne des mesures « sincères » en direction de l’unité, le pressant quelque peu à écarter les conseillers autour de lui qui veulent à tout prix entraver les efforts de réconciliation. L’un de ces dirigeants, Akram Al-Aidi, responsable du Fatah à l’action de masse en Cisjordanie, a appelé Abbas à prendre « une série de mesures pour en finir avec le climat interne et conduire à la réconciliation et à l’union nationale, et au premier chef, écarter ceux qui ont contribué à porter un coup aux efforts d’unification. »
En fait, Al-Aidi a invité ces conseillers à prendre eux-mêmes, de leur propre initiative, leur distance avec la scène politique, « car le peuple palestinien n’a pas oublié et n’oubliera pas leurs querelles dans les médias, et la façon dont ils lavaient leur linge sale sur les chaînes satellites. » Et Al-Aidi d’ajouter : « Il est temps que les personnes sensées dans le Fatah, avec la voix de la raison et leur conscience ardente, assument la direction dans la prochaine phase. Ils n’ont pas été salis dans la phase douloureuse qui a précédé, et ils doivent maintenant s’opposer à tous ceux qui ont barré le chemin à la réconciliation nationale, qui n’ont pas bougé le petit doigt pour faire lever le blocus, et qui ont empoisonné le climat interne palestinien, diffusant une culture de haine dans les rangs d’un peuple. »
Un journaliste palestinien, Mamoun Basisu, pense que la tentative parallèle de réconciliation entre les dirigeants arabes réunis au Koweït pour le sommet arabe de développement va permettre de relancer le dialogue national palestinien. A son avis, l’un des obstacles les plus redoutables à s’y opposer était l’intervention de certains pays arabes visant à orienter le dialogue pour faire tomber le Hamas dans la bande de Gaza. Maintenant, « les régimes arabes opposés au Hamas ont acquis la conviction que contourner le Hamas est impossible, surtout après qu’Israël y a échoué dans sa dernière campagne. »
Et en Israël aussi, c’est le temps des réexamens. Dans un article paru dans le Yediot Aharonot, un journaliste de l’armée, Ron Ben Yashai, écrit qu’Israël a manifestement échoué dans son principal objectif déclaré de la guerre, à savoir modifier l’environnement sécuritaire du sud d’Israël. Que le Hamas puisse continuer à tirer ses roquettes loin à l’intérieur d’Israël, même après qu’Olmert ait déclaré un cessez-le-feu, confirme cet échec, et le journaliste met en garde contre le risque qu’Olmert et le ministre de la Défense, Ehud Barak, ne prétendent le contraire.
Jacky Kochi, journaliste pour les questions arabes au Maarev, est du même avis. Israël n’a pas réussi à se donner l’image de la victoire dans la bataille de Gaza, tout ce qui reste de cette guerre, ce sont les images d’enfants et de femmes morts, écrit-il. « Durant les trois dernières semaines, les écrans de télévision du monde entier se sont remplis d’informations quotidiennes montrant des enfants avec les membres brisés, des femmes en sang criant et gémissant, des nourrissons dans les morgues. Ce sont ces images qui resteront dans des millions de mémoires à travers le monde, témoignage tangible de l’insensibilité de l’armée israélienne. Personne ne croira que cette campagne visait à défendre les enfants du sud d’Israël. Tous se demanderont comment les Forces de défense israéliennes ont pu imaginer défendre les enfants du sud en tuant les enfants dans la bande de Gaza. » (voir les pages 2, 5 à 7 et 10 à 12).
Al-Ahram-weekly - traduction : JPP