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PALESTINE

Le boycott de la production des colonies israéliennes : tactique ou stratégie

Vendredi 14 novembre 2008, par Omar BARGHOUTI

La presse a récemment publié une vague d’articles annonçant que des sociétés internationales quittaient les territoires palestiniens occupés (TPO) pour s’implanter à l’intérieur des frontières internationalement reconnues entre Israël et la Cisjordanie.

Mai 2005. Une société israélienne de textiles fabrique des vêtements pour le marché étasunien dans son usine située près de la ville cisjordanienne de Naplouse,. Bien que fabriqués en Cisjordanie occupée, les vêtements sont étiquetés « Made in Israel » (Matthew Cassel)11 novembre 2008

Cette nouvelle donne l’impression que le boycott des produits provenant des colonies illégales israéliennes en Cisjordanie est en train de se généraliser ; cela représente une importante victoire pour le mouvement grandissant de Boycott Désinvestissements et Sanctions (BDS). Si tous les militants BDS devraient se réjouir de cette évolution, la prudence s’impose et il faut faire la distinction entre un tel boycott préconisé comme tactique - dans le but final de boycotter tous les biens et services israéliens - ou comme une fin en soi. Si le boycott en tant que tactique peut être nécessaire dans certains pays pour conscientiser les gens et promouvoir le débat au sujet du régime israélien colonial et d’apartheid, la seconde démarche, en dépit de son attrait, serait en contradiction directe avec les objectifs déclarés du mouvement de boycott palestinien.

Récemment, la société suédoise Assa Abloy a répondu aux appels lancés par l’Eglise de Suède et d’autres importantes organisations suédoises ; elle a ainsi décidé de déménager son usine de portes de sécurité (Mul-T-Lock ) de la zone industrielle de la colonie de Barkan en Cisjordanie occupée, vers un emplacement qui n’a pas encore été annoncé à l’intérieur d’Israël ; cette société a suivi en cela l’exemple des caves de vinification Barkan, société à participation néerlandaise, qui avait déjà quitté Barkan pour le kibboutz Hulda. Le fait qu’une partie de ce kibboutz soit installée sur le village palestinien de Khulda ethniquement nettoyé dont le kibboutz s’est typiquement approprié le nom n’a apparemment pas mérité d’être mentionné dans les documents accusant le vinificateur d’actes répréhensibles en vertu du droit international.

En outre, précédant remarquable, The Independent (RU) a signalé la semaine dernière que le gouvernement britannique avait décidé de « sévir contre les exportations en provenance de colonies israéliennes » étant donné qu’Israël a constamment violé ses accords commerciaux avec l’UE qui ne prévoient d’exonération tarifaire que pour les biens produits en Israël et non pas dans les TPO. Conformément aux résolutions des Nations unies et au droit international, le Royaume-Uni, ses partenaires de l’UE et la quasi-totalité de la prétendue communauté internationale, considèrent les colonies israéliennes comme illégales, voire comme constituant un crime de guerre selon la quatrième Convention de Genève et ils refusent en conséquence d’accorder tout privilège tarifaire pour leur production.

En réalité, les pays de l’UE ont fermé les yeux pendant des dizaines d’années alors qu’Israël exportait les produits de ses colonies comme s’ils provenaient d’Israël.

Selon un article paru dans le quotidien israélien Haaretz au sujet du contexte de ce différend commercial entre Israël et le Royaume-Uni - et potentiellement avec l’ensemble de l’UE - Israël avait accepté, lors de différends antérieurs avec l’UE, d’indiquer sur ses produits exportés vers les pays de l’UE, la provenance géographique de ses marchandises. La Grande-Bretagne accuse toutefois « les sociétés israéliennes implantées dans les colonies d’essayer de tourner l’accord en enregistrant leur siège à l’intérieur de la ligne verte » brouillant en fait la distinction entre produits des colonies et autres produits israéliens et enfreignant ainsi ses accords avec l’UE qui visent expressément les colonies.

Les fortes pressions exercées par des groupes de droits humains britanniques et palestiniens et la grandissante campagne de boycott très prometteuse contre Israël au Royaume-Uni ont atteint la tour d’ivoire du monde universitaire et les grands syndicats ; il semble que le gouvernement britannique prenne finalement acte des pratiques israéliennes illégales les plus évidentes et indéniables et essaye de travailler avec ses partenaires pour y mettre fin.

L’évolution louable de la politique britannique est en fait une reconnaissance tardive de la nécessité de respecter et de mettre en application une politique européenne de longue date et montre que la position préconisée par la campagne palestinienne BDS visant le boycott de tous les produits israéliens est valable non seulement du point de vue moral, mais aussi du point de vue pragmatique. Au niveau le plus basique, on compterait que la campagne BDS place la barre de ses exigences plus haut que celle du gouvernement britannique.

En fait, le mouvement palestinien BDS s’est toujours dit profondément satisfait des efforts visant à traiter Israël comme le fut l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Toutefois, il considère que sur le plan pratique, politique et moral un problème se pose si l’on se borne à prendre la seule interdiction des produits des colonies comme le but ultime et non pas comme une première étape plus commode vers le boycott général des produits israéliens.

Du point de vue pratique, comme nous l’avons dit ci-dessus, Israël a rendu la distinction extrêmement difficile entre les produits des colonies et les autres produits israéliens simplement parce que la majorité des sociétés mères sont passées à l’intérieur des frontières israéliennes. Par exemple, la plupart des produits organiques israéliens proviennent des colonies illégales des TPO, mais sont étiquetés comme des produits fabriqués en Israël puisque les sociétés qui les commercialisent sont basées à l’intérieur des frontières et c’est souvent là que se fait le conditionnement final (dernière phase du processus de production). Ce type de tromperie est courant, d’autant plus qu’Israël se rend bien compte qu’il viole l’accord commercial avec l’UE et fait de son mieux pour tourner les restrictions stipulées dans ledit accord. La seule raison pour laquelle Israël a réussi à se tirer de violations aussi évidentes pendant si longtemps n’est pas technique ; elle est politique, honteuse - et malheureusement très typique. Sont en cause la complaisance officielle de l’UE et sa manière de traiter Israël comme un État se situant au-dessus du droit des nations.

Pourtant, certains partisans véritables des droits palestiniens pourraient prétendre qu’il est beaucoup plus facile de continuer à boycotter les produits des colonies puisqu’il existe une sorte de consensus sur le caractère illégal des colonies ; cela n’est pas vrai pour les autres injustices commises par Israël qui peuvent motiver un boycott plus complet ainsi que le demandent instamment l’appel palestinien BDS et la déclaration finale de la récente initiative de Bilbao pour une société civile en faveur de la justice en Palestine. Même si on acceptait cet argument pragmatique, le fait qu’Israël n’ait pas fait la distinction entre les produits des colonies et les autres produits israéliens devrait justifier - au niveau tactique - l’appel au boycott de tous les produits et services israéliens au moins jusqu’à ce qu’Israël se plie aux règles de l’UE en matière d’étiquetage clair et correct des produits des colonies.

D’un point de vue politique pourtant, et même si la distinction pouvait être faite entre produits des colonies et produits d’Israël, les militants qui pour des raisons de principe - plutôt que de commodité - préconisent un boycott uniquement de ces produits pourraient signaler ainsi qu’il s’opposent simplement à l’occupation militaire et à la colonisation israéliennes depuis 1967 et n’ont pas la moindre objection à l’égard d’Israël qui, à l’échelon de l’État, pratique l’apartheid et la discrimination raciale institutionnalisée à l’encontre de ses propres citoyens « non juifs » et qui refuse aux Palestiniens leurs droits de réfugiés reconnus par les Nations unies. Même si nous ignorons ces autres graves injustices commises par Israël et quelle que soit la solution que nous pouvons soutenir pour lutter contre l’ensemble de cette oppression, on ne peut que reconnaître les défauts inhérents à ce raisonnement.

Quand un état X occupe un état Y et viole constamment les résolutions des Nations unies demandant la fin de l’occupation, la communauté internationale punit souvent X et non pas les effets de son occupation ! Gouvernements mis à part, les organisations de la société civile internationale ont plusieurs fois boycotté des États entiers impliqués dans une occupation belligérante prolongée, l’apartheid ou d’autres graves violations des droits humains, et ne se sont pas contentées de viser une partie de ces États. Il y a-t-il jamais eu un mouvement demandant le boycott des seuls bantoustans en Afrique du Sud ? Demande-t-on de boycotter uniquement l’armée et les officiels soudanais présents au Darfour aujourd’hui ? Les militants pour la liberté du Tibet ont-ils jamais demandé de boycotter uniquement les produits chinois fabriqués au Tibet ?

Si l’on oublie un moment le fait qu’Israël est né du nettoyage ethnique et de la destruction de la société palestinienne autochtone, Israël est l’État qui a construit les colonies juives illégales et en est totalement responsable. Pourquoi punirait-on les colonies et non pas Israël ? Ceci n’a guère de sens du point de vue politique. Malgré leurs nobles intentions, les gens de conscience qui appuient la paix et la justice en Palestine et qui acceptent cette distinction s’accommodent en fait de l’exception israélienne ou du statut d’Israël en tant qu’État au-dessus des lois.

Enfin, et c’est crucial, il y a un problème moral qui doit être abordé dans cette approche. Ignorer les deux autres injustices fondamentales énumérées dans l’appel BDS (refus par Israël des droits des réfugiés et son système de discrimination raciale contre ses citoyens « non juifs ») équivaut à accepter ces deux violations graves - et certainement pas moins néfastes - des droits humains et du droit international ; elles deviennent ainsi un fait acquis ou un phénomène que nous pouvons accepter. Eh bien, nous ne le pouvons pas. Pourquoi la société civile européenne qui a combattu l’apartheid en Afrique du Sud accepterait-elle l’apartheid en Israël comme normale, tolérable et incontestable ? La culpabilité inspirée par l’holocauste ne peut pas justifier moralement la complicité européenne dans la prolongation de la souffrance, des bains de sang et des injustices de longue date qu’Israël inflige aux Palestiniens et aux Arabes en général, en utilisant le génocide nazi comme prétexte.

Ce paradigme doit être contesté et ne peut pas être accepté comme une sagesse commune.

Il est donc nécessaire dans un contexte particulier de préconiser un boycott des produits des colonies en tant que première étape relativement plus facile vers un boycott total de tous les produits israéliens. Le boycott des seuls produits des colonies ne peut pas être le but final des militants combattant l’apartheid israélien.

Omar Barghouti est membre fondateur de la campagne palestinienne Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) www.BDSmovement.net.


Voir en ligne : www.info-palestine.net