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Le Mexique va-t-il basculer ?

Mardi 13 décembre 2005, par Guillermo Almeyra

A l’approche des élections présidentielles de l’été 2006, le champ politique mexicain est en ébullition. Pour la première fois, un candidat de gauche, Andres Manuel Lopez Obrador, semble en mesure de l’emporter. Qui est Lopez Obrador, et quel est son parcours politique ?

Deux nouveautés caractérisent le champ politique mexicain. La première est le changement radical de stratégie de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), qui a décidé de sortir de son enfermement au Chiapas - la province la plus pauvre du Mexique - et tente désormais de se projeter sur le terrain politique national. La seconde est la prise de contrôle par Lopez Obrador de l’appareil du Parti de la révolution démocratique (PRD), au détriment de son dirigeant historique Cuauhtemoc Cardenas. Lopez Obrador est en tête de tous les sondages en vue de l’élection présidentielle.

Lopez Obrador

Celui-ci vient de la province rurale et pétrolière de Tabasco, et est d’origine modeste. Il fut jadis le dirigeant local du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui a régné sans partage sur le Mexique, de la révolution à l’an 2000, soit pendant plus de quatre-vingt ans. Lorsque le PRD s’est constitué, suite à une scission au sein du PRI en 1988, Lopez Obrador a suivi Cardenas, qui l’a nommé président du parti. Il a ensuite été gouverneur de la ville de Mexico, qui comprend environ un tiers de la population mexicaine.

L’éducation politique de Lopez Obrador est indéniablement « priiste » . Ceci implique qu’il est pragmatique, clientéliste et dénué de tout principe politique. Cela dit, il s’est formé au sein de la gauche du PRI, et témoigne d’une certaine sensibilité sociale. Il combine un conservatisme politique avec une approche « caritative » du problème de la pauvreté. Il fait par ailleurs preuve d’ouverture envers les mouvements indigènes (les indigènes comptant pour moins de 15% de la population mexicaine).

Social démocrate ou social-libéral ?

Le programme de Lopez Obrador comprend des éléments de nationalisme économique et social propres à la gauche latino-américaine. Il s’accompagne cependant d’un « silence » - que lui-même qualifie de « réaliste » - concernant certains problèmes brûlants du moment, notamment les relations du Mexique avec les Etats-Unis, le Venezuela et le MERCOSUR. Ceci s’explique bien entendu par sa volonté d’obtenir le soutien du capital national et étranger, ainsi que celui de Washington. C’est un programme qui, comme le dit Lopez Obrador, respectera les engagements contractés par les gouvernements précédents.

Il faut toutefois noter que le programme de Lopez Obrador n’est pas néolibéral, au sens où le sont ceux du PRI ou du PAN. Il s’oppose par exemple à la privatisation de l’électricité et du pétrole, reconnaît les accords de San Andres avec les Zapatistes, et a établi un dialogue avec les syndicats démocratiques. Le PRI et le PAN appellent quant à eux à « flexibiliser » le droit du travail, et s’appuient sur des directions syndicales composées de gangsters notoires. Surtout, Lopez Obrador confère un rôle relativement important à l’Etat dans l’économie. Pour toutes ces raisons, il est perçu par les classes dominantes du pays comme un moindre mal, comme quelqu’un qui pourrait être toléré le temps d’être coopté par le système.

Un virage stratégique pour l’EZLN ?

L’EZLN s’était depuis plusieurs années volontairement enfermée au Chiapas. Elle ne prenait plus part aux débats concernant la conjoncture nationale et internationale, ni n’exprimait d’opinions sur l’évolution de ses alliés que sont le mouvement des Sans Terre au Brésil, les mouvements boliviens ou la CONAIE (Confédération des nations indigènes d’Equateur). Elle s’est limitée pendant ce temps à mettre en place les « Caracoles » et les « Assemblées de Bon Gouvernement ». Le problème est que l’EZLN n’a jamais sérieusement discuté du type d’autonomie qui avait cours dans ces communautés, qui reposaient essentiellement sur une base ethnique. Cette autonomie était d’ailleurs très relative, puisqu’elle dépendait en dernière instance du pouvoir de décision qui leur était conféré par l’appareil militaire de l’EZLN. Un élément qu’il est important de noter est, qu’aussi surprenant que cela puisse paraître, jusqu’à présent, l’EZLN a toujours nié être de gauche. Dans un entretien fameux avec le magazine Proceso, le sous-commandant Marcos a formulé des critiques très dures à l’égard de ce qu’il considérait être la gauche. Il a refusé explicitement de se définir comme « anti-capitaliste », et encore moins comme « révolutionnaire ». Il s’est dit seulement « rebelle »...Or sur cela, on sent un changement. Récemment, l’EZLN a rendu public un document intitulé la « Sixième déclaration de la Selva lacandona ». Elle y développe une critique du capitalisme qui définit clairement l’EZLN comme anti-capitaliste et comme un mouvement appartenant à la gauche. Les zapatistes y annoncent leur décision de sortir des frontières du Chiapas, et de prendre part à la construction d’un front ouvrier et paysan national. Le nom qu’elle donne à cette initiative est « l’autre campagne », en référence manifeste à la campagne présidentielle qui bat son plein. En cherchant à construire un front politique et social, l’EZLN est désormais dans l’obligation de faire de la politique, c’est-à-dire d’intervenir dans des rapports de force concrets. Puisqu’elle se définit comme anti-capitaliste, elle devra également se situer idéologiquement par rapport aux mouvements du passé qui avaient le socialisme comme référant. En déclarant formellement son appui à Cuba et au Venezuela, elle devra aussi dire ce qu’elle pense de l’évolution de ces pays et de leurs gouvernements respectifs.

Les Zapatistes vont-ils appuyer Obrador ?

Marcos a déclaré que Lopez Obrador est « le miroir de Salinas de Gortari », autrement dit qu’il est un agent de l’impérialisme. Mais en fait, Lopez Obrador est certes capitaliste, mais il n’est ni fasciste, ni néolibéral. De surcroît, il faut distinguer le candidat à la présidentielle qu’il est des personnes qui le soutiennent. La plupart des gens qui voteront Lopez Obrador n’ont pas confiance en lui en tant que personne. Ils croient simplement en la possibilité de changer le pays par la voie électorale. Cette position empêche que l’EZLN puisse construire des liens avec de larges secteurs de la population. Elle est par ailleurs dangereuse, parce qu’en appelant à l’abstention, elle pourrait favoriser le retour au pouvoir du PRI. Le PRI et le PAN s’apprêtent à détruire les derniers acquis sociaux de la révolution mexicaine, et à assujettir le pays aux besoins des Etats-Unis, notamment en construisant un réseau d’infrastructures commandé par Washington. Comme le montrent les exemples du Brésil, de l’Uruguay et de l’Argentine, les gouvernements du centre-gauche réalisent, avec des conflits sociaux moindres, la politique de la droite s’ils ne sont pas contraints de se radicaliser par les mouvements sociaux. Le mécontentement populaire est grand au Mexique, mais il n’est pas organisé, ni n’a encore de programme alternatif. L’EZLN peut contribuer à élaborer ce programme et à organiser la population, si elle parvient à éviter le sectarisme et certaines positions infantiles qu’elle a prises par le passé. Les élections ne sont de toute évidence pas le moyen idéal pour le combat des opprimé-e-s, mais elles existent, et sont quand même une expression de la lutte des classes...


Almeyra est professeur de sciences politiques à l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), et éditorialiste au quotidien mexicain La Jornada.