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Le Maroc des luttes et de l’espoir

(Casablanca)

Mardi 3 janvier 2006, par Kamal LAHBIB

Le Maroc fête cette année son cinquantenaire de l’indépendance. 50 ans de luttes et de résistance qui ne cessent de s’accroître partout. Ouvriers, paysans, étudiants, petits commerçants, enseignants, handicapés, diplômés-chômeurs, habitants des quartiers populaires, femmes, sans compter les prisonniers politiques et de droit commun, tout le monde s’organise et conteste, d’où la multiplication des occupations de terres et d’usines, des manifestations et des grèves. À Laâyoune dans le sud, la fronde est devenue une « intifada » avec des confrontations quotidiennes contre la police.

Prendre la parole

Au-delà des mobilisations, il faut constater l’avancement qualitatif des revendications. Ainsi, le mouvement social endosse dans une large mesure les revendications concernant la langue et la culture amazigh. Il prend le devant au niveau social en œuvrant dans tous les domaines où l’Etat a fait faillite (environnement, santé, droits de l’homme, protection des enfants et des handicapés, intégration de la femme, lutte contre la corruption). Il s’empare de la parole, rompt la censure, descend dans la rue sans attendre l’autorisation des pouvoirs publics. La scène publique est envahie par un débat permanent entre la révolte et les défenseurs du régime qui oscillent entre une rhétorique agressive contre ce qu’ils appellent un « mai 68 permanent » et une propagande vantant le « Maroc en marche » en dépit des violences contre les manifestants.

Paradoxes

En dépit de tout, on avance. l’État a été forcé d’adopter un nouveau code de la famille. Il a libéré en partie au moins l’espace audiovisuel. L’« initiative nationale de développement humain » annoncée en mai dernier promet des chantiers de lutte contre la pauvreté dans les communes rurales et urbaines. Mais les dominants ne sont pas totalement prêts à faire des concessions de fond. L’État est tenté de revenir aux « bonnes vieilles méthodes » (loi anti-terroriste, évènements de Ceuta et Melilla, etc.). Le paradoxe se traduit par une dynamique à double sens : plus le champ de la liberté s’élargit, plus les demandes sociales deviennent pressantes et manifestes. Dans plusieurs sphères de la société, les citoyens demandent plus d’État sur les plans économique, social et culturel, moins d’État sur le plan politique. Car dans ce Maroc meurtri, le malaise est profond. Les jeunes (30% sans emploi) sont révoltés. 15% de la population est dans la pauvreté « extrême ». Les liens traditionnels de solidarité qui se désagrègent créent un vide. Les associations démocratiques en profitent, mais aussi on constate la montée en puissance de l’intégrisme religieux qui reste malgré son caractère contestataire un mouvement rétrograde.

Les défis du mouvement social

Les mouvements sociaux progressistes sont en partie responsables de cette situation. Ainsi le syndicalisme n’arrive pas à s’affranchir de la tutelle partisane et sombre dans les méandres de la division. Le mouvement associatif reste fragmenté, fragilisé par l’approche « projet », dépendant des financements externes, souvent ancré dans une culture clientéliste et non-démocratique. Plus sérieuse encore est la situation qui prévaut dans les partis de gauche traditionnelle. En gros, ceux-ci ont échoué à mobiliser les populations, à structurer un espace public de débats, à proposer une « démocratisation de la démocratie » qui irait au-delà des conquêtes réelles mais limitées comme le droit de vote et le pluripartisme. C’est de tout cela dont se nourrit la contestation destructrice qui se termine dans l’extrémisme politique. Le phénomène de Nadia Yassine, la « passionnaria » du mouvement islamiste Al Adl Wa Al Ihsane, porte à réfléchir. Celle qui est perçue dans bien des milieux populaires comme l’« héroïne des pauvres » est maintenant courtisée par le Département d’État des Etats-Unis et l’Union européenne. On intuitionne que les dominants envisagent une sorte de « plan B » au cas où la démocratie deviendrait trop dangereuse pour leurs intérêts. Dans ce contexte, l’islamisme radical pourrait leur offrir une porte de sortie, paradoxalement.

Le fantôme de Gramsci

Le Maroc se trouve face à la situation décrite par Antonio Gramsci : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair obscur surgissent les monstres ». Les nouvelles forces politiques et sociales ont la responsabilité d’agir et de réfléchir à partir de leur terrain de lutte. Les espaces de débat, sans instrumentalisation des uns ni des autres, sans frilosité ni animosité, doivent se construire en n’oubliant jamais que l’existence d’un contre-pouvoir ne devrait pas être vécue comme une menace mais au contraire comme une nécessité absolue de la démocratie.