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NIGER et FSM

Le Forum Social Mondial : une belle occasion de « réseautage »

Lundi 3 mars 2008, par Moussa TCHANGARI et Paolo GILARDI

Le 7e Forum social mondial (FSM) s’est tenu du 21 au 25 janvier à Nairobi. Plus de 1500 séminaires, rencontres et ateliers traitant de thèmes à première vue aussi variés que le combat contre la pauvreté des enfants, les violences faites aux femmes, les liens entre agriculture africaine et accords de libre échange avec l’Europe ou encore ceux entre la culture hip hop et un autre monde à construire ont ponctué ces cinq jours. [1] Cinq jours qui ont aussi été l’occasion de confronter le mouvement des Forums sociaux aux réalités les plus extrêmes de la mondialisation marchande. C’est avec un militant africain que nous avons voulu dresser un premier bilan à l’issue de ce FSM. Moussa Tchangari est un des membres dirigeants de l’association Alternative Espaces Citoyens [2] au Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, un pays où Alternative a réussi, malgré les obstacles de toutes sortes dressés par les autorités, à organiser en 2003 et 2006 la tenu de deux forums sociaux.

La tenue du Forum social mondial à Nairobi confronte le mouvement des forums sociaux aux réalités les plus crues de la mondialisation marchande. Quel bilan fais-tu, en tant que militant africain, de ce 7e FSM ?

Je tire un bilan globalement satisfaisant du FSM 2007, notamment en ce qui concerne le niveau de participation et la qualité des débats que nous avons constaté au cours des activités organisées par Alternative Espaces Citoyens.

Le FSM a été une belle occasion pour faire un travail de « réseautage », de mise en réseau, qui aurait été difficile en dehors de ce cadre. Il faut savoir que les organisations africaines n’ont pas beaucoup d’occasions de se retrouver et d’échanger. Pour beaucoup d’entre elles, des événements comme le FSM sont les seules possibilités de retrouvailles. A Nairobi, des nombreux réseaux se sont constitués entre des organisations autour des problématiques diverses.

Nos ateliers ont drainé un nombre important de personnes, et les échanges ont été particulièrement instructifs. Ces ateliers ont été l’occasion pour nous d’aborder des questions telles que l’intégration continentale et régionale en Afrique, la souveraineté alimentaire dans les pays du Sahel, le chômage et l’immigration des jeunes, le rôle des médias indépendants dans les luttes sociales, le pillage des ressources minières, etc. Sur toutes ces questions, je peux dire que nous avons modestement contribué à apporter un éclairage aux participants. Et le plus réjouissant a été surtout de voir que les débats ont permis de lancer une dynamique d’actions concertées autour de ces problématiques.

Par exemple ?

Au sortir de ces ateliers, plusieurs organisations africaines ont manifesté un réel intérêt à construire avec nous des nouveaux chantiers d’actions citoyennes autour notamment de la problématique du chômage des jeunes et de l’intégration continentale et régionale. Sur ces deux sujets, il a été question surtout d’engager des actions communes pour, d’une part, contraindre les gouvernements à respecter les engagements qu’ils ont pris de consacrer des ressources substantielles à la création d’emplois pour les jeunes et, d’autre part, créer une plate-forme d’échanges d’information et de mobilisation citoyenne contre le modèle d’intégration promu par les chefs d’Etat africains à l’instigation des institutions financières internationales. Forte de l’intérêt manifesté par les organisations africaines sur ces sujets de grande préoccupation, Alternative Espaces Citoyens entend lancer dans les prochains mois des initiatives concrètes.

Par ailleurs, il convient de souligner que le FSM 2007 a été aussi l’occasion pour nous de donner un large écho aux luttes sociales en cours au Niger. Au cours de notre atelier sur le pillage des ressources naturelles en Afrique, nous avons parlé de la lutte courageuse que mènent des organisations nigériennes, sous la conduite de l’ONG Aghri Iman, contre la compagnie française AREVA, qui exploite l’uranium dans le nord du pays. Les participants ont pu découvrir les dégâts écologiques et sanitaires énormes causés par cette compagnie française, seule bénéficiaire réelle de l’exploitation du minerai d’uranium dans un pays où tous les indicateurs sociaux sont au rouge. De nombreuses organisations françaises se sont engagées à soutenir la lutte des populations locales de la région d’Agadez contre les pratiques prédatrices de AREVA. C’est un motif de satisfaction pour nous.

Cependant, par sa propre organisation, par la politique des prix pratiqués, le FSM a été particulièrement exclusif pour les populations pauvres de Nairobi. Il a même fallu forcer les accès pour obtenir que le secrétariat international du FSM l’ouvre à la population locale. Que penses-tu de tout cela ?

Le Comité kenyan a commis des graves erreurs politiques et cela a eu des répercussions déplorables sur la participation kenyane aux activités du FSM 2007. En tant que militant africain, je suis revenu un peu frustré d’avoir constaté que le FSM a été largement dominé par les ONGs et les églises qui, même si elles sont, elles aussi, critiques à l’égard des politiques néolibérales, ne s’inscrivent pas nécessairement dans l’optique d’une rupture totale avec le système dominant. Je dois préciser que je ne suis pas contre la participation des ONGs et des églises au processus du FSM. Le bon sens veut que nous nous en félicitions, puisqu’elles contribuent elles aussi à la délégitimation du système capitaliste mondial contre lequel nous nous battons. Notre intérêt est de ratisser large, mais nous devons rester vigilants. C’est la condition pour éviter que le FSM soit dénaturé et récupéré par certaines forces, comme certains ont pu l’observer à travers la présence absolument gênante de la compagnie CELTEL [la principale compagnie privée kenyane de téléphonie mobile, particulièrement présente dans le Forum].

Le FSM n’est pas la coupe du monde de football et nous devons oeuvrer à ce qu’il reste un espace populaire. Je comprends bien le souci du Comité kenyan de trouver les moyens de boucler le budget de l’événement, mais si nous mettons ce souci au dessus de tout, nous pourrions être amenés à vendre le FSM aux multinationales. Il est déplorable que le Comité Kenyan ait préféré une présence massive des agents de marketing de CELTEL à celle des habitants des quartiers pauvres de Nairobi, qui ont dû batailler dur pour trouver leur place dans un espace où il devrait être naturel qu’ils y soient.

Je trouve absolument condamnable et honteux de fermer les grilles pour les populations pauvres. C’est une pratique contraire à nos valeurs culturelles africaines et aux valeurs du mouvement altermondialiste. La réaction des autres participants, notamment de ceux qui ont forcé les grilles, était appropriée.

Cette bataille pour l’ouverture a été menée par des militantes et des militants de tous les continents. Elle a pourtant été dirigée, du début à la fin par une jeune habitante du slum [bidonville] de Nairobi, Wangui Mbatia, et par le Parlement populaire des slums. Elle a aussi dirigé la mobilisation qui a abouti à interdire dans les faits, sur le site du Forum, le restaurant Windsor, propriété du ministre kenyan de l’intérieur. Est-ce dire que la présence du FSM a donné du courage et de la voix à la résistance locale ?

J’ai eu le privilège d’entendre cette courageuse jeune fille poser le problème de la participation des populations pauvres à l’occasion d’une rencontre organisée par nos amis du CRID [Centre de recherches et d’information pour le développement] à la veille de l’ouverture du FSM. Ses propos m’ont beaucoup touché, et j’ai apprécié hautement son initiative d’organiser des actions visant à faire entendre raison au Comité Kenyan. C’est comme ça qu’il faut réagir devant les injustices et les décisions arbitraires.

Plus que partout ailleurs, en Afrique le secteur dit informel, c’est-à-dire le travail précaire, est dominant. Peux-tu, à travers l’expérience du Niger nous expliquer comment vous abordez cette question ?

Le secteur dit informel est le secteur économique le plus dynamique dans la plupart des pays africains. Selon certains économistes, ce secteur fait vivre plus de 70% de la population mais, les institutions financières internationales ne semblent pas se satisfaire de cette situation. Depuis quelques années, ces institutions exercent des fortes pressions sur les Etats pour les amener à fiscaliser fortement ce secteur, alors que son dynamisme vient justement du fait qu’il échappe au contrôle étatique.

De notre point de vue, il n’est pas juste d’accroître la pression fiscale sur ce secteur de façon uniforme. Il convient de faire la distinction entre les petits opérateurs, qui s’efforcent de gagner un peu d’argent pour nourrir leurs enfants, et les gros, qui ont choisi d’évoluer dans l’informel pour échapper au fisc. La tendance générale dans les pays africains est d’épargner les gros opérateurs, qui ont souvent des liens très forts avec certains milieux politiques.

C’est le cas au Niger ?

C’est le cas au Niger, où l’État s’évertue à exercer une forte pression sur les petits opérateurs, qui se voient constamment harcelés par les services des impôts ou la police, alors que les gros opérateurs bénéficient d’une complaisance incroyable de ces mêmes services, qui semblent curieusement fermer les yeux devant le caractère souvent mafieux de leurs activités. Devant cette situation, Alternative s’efforce de dénoncer l’acharnement des pouvoirs publics contre les petits opérateurs du secteur informel, dont les infrastructures sont détruites sous différents prétextes. Nous soutenons ces opérateurs lorsqu’ils sont attaqués et attirons l’attention de l’opinion sur le fait que ce sont eux qui font vivre une bonne partie de la population. Au cours de ces dernières années, il faut souligner que les acteurs du secteur informel sont devenus de plus en plus importants dans les luttes de la société civile. En 2005, ils ont joué par exemple un rôle clé dans la lutte contre la cherté de la vie, en répondant massivement aux mots d’ordre de « ville morte » (grève générale) que nous avons lancés.

L’exigence de l’annulation de la dette a été très présente dans le Forum. En quoi le FSM a-t-il permis de faire avancer cette cause ?

A mon avis, il est réjouissant de constater que les débats du FSM ont accordé une large place à la question de l’annulation de la dette extérieure. Cela démontre que les organisations sont de plus en plus conscientes des énormes enjeux qui entourent cette question. Il ne faut pas oublier que dans des nombreux pays, notamment ceux d’Afrique, la dette extérieure est devenue un véritable goulot d’étranglement car le remboursement de cette dette engloutit une partie substantielle des ressources publiques, au détriment des services sociaux de base que sont la santé, l’éducation, l’accès à l’eau potable.

Au fil des différentes éditions du FSM, l’annulation sans condition de la dette extérieure, qui n’était portée que par quelques organisations, est devenue une revendication centrale de l’ensemble du mouvement altermondialiste. Le principal progrès enregistré au cours du FSM 2007, c’est donc la consécration de la centralité de cette question de la dette dans la lutte contre le système capitaliste dominant.

Notes

[1] Un compte-rendu du FSM 2007 par P. Gilardi est disponible sur le site du Syndicat des services publics : http://www.ssp-vpod.ch.

[2] Voir http://www.alternative.ne

* Paru dans le mensuel suisse Lignes rouges • N°31 • février 2007. Interview réalisé par Paolo Gilardi.