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ÉGYPTE

La vague de protestation du 6 avril

Lundi 7 avril 2008, par André Duret

La vague de mobilisations sociales, politiques et de grèves – qui se développe actuellement en Egypte – a pris son essor depuis des mois. La relation entre cette « explosivité sociale » et son expression politique organisée est fort complexe. Nous ne l’abordons pas ici. Dans tous les cas, ces mobilisations se heurtent à la démocrature d’Hosni Moubarak.

Un appel a été lancé pour un « jour de colère populaire » le 6 avril 2008, date où doit commencer la grève des travailleurs de la plus grande usine textile du Moyen-Orient, celle de Ghazl El-Mahalla. D’ailleurs, les forces de l’ordre sont d’ailleurs déjà intervenues à El-Mahalla, ville du delta du Nil où se trouve cette entreprise.

Il faut avoir à l’esprit que cette grève du textile est, aujourd’hui, en quelque sorte une grève qui fait référence. Elle s’inscrit dans un mouvement social très large provoqué par la hausse rapide et massive des prix des biens alimentaires, ainsi que de l’essence, du gasoil et du gaz (en bombonne). Et cela dans un pays qui est un allié très important pour l’administration états-unienne dans toute cette région du monde.

Les prix du riz et du pain ont doublé au cours de la dernière année. L’huile alimentaire a quadruplé de prix. La viande de poulet a augmenté de 40% au cours des derniers trois mois. L’éventail des couches sociales frappées par cette inflation galopante n’a fait que s’élargir. Ce qui explique des grèves de fonctionnaires, de médecins, de professeurs d’université, etc. Dans le milieu universitaire, depuis les manifestations massives – mais endiguées – de mars 2003, se sont constitués divers regroupements « contre la guerre » menée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ; ce qui a une signification particulière en Egypte.

Les grèves de ces secteurs se sont exprimées dans la foulée des grèves ouvrières et des explosions populaires dans des quartiers de nombreuses villes. Y compris, des secteurs paysans manifestent leur mécontentement social et leur opposition au régime de Moubarak, dont le fils était censé prendre la relève, à l’instar de ce qui s’est passé en Syrie.

Des ouvriers contre une opération spéculative

A quelque dix kilomètres du Caire, la société connue sous le nom de Al-Nasr Compagny, sise à Manial Shiha – spécialisée dans la production de chauffe-eau, de condensateurs, de systèmes de chauffage, de générateurs électriques ainsi que de conception de produits relativement avancés technologiquement – a été vendue à la firme Orascom Construction Industries (OCI), qui appartient à un des plus importants hommes d’affaires égyptien, Nassef Sawiris. Au cours des négociations de vente, un projet de développement industriel – entre autres sidérurgique – avait été mentionné.

Par la suite, toute la transaction est apparue beaucoup plus obscure. En effet, l’idée de raser l’usine et de la remplacer par un complexe touristique de luxe est venue à la surface. Les 750 travailleurs de Al-Nasr ont immédiatement réagi et dénoncé l’opération. Le sort de cette usine illustre un processus qui a commencé depuis la seconde moitié des années 1970 en Egypte, et c’est accéléré dans la dernière période. En 1994, Al-Nasr a été privatisé. La firme a été vendue d’abord à la transnationale Babcok & Wilcoks, puis à Khaled Shatta. Ce dernier a monté l’opération de vente, en février 2008, avec Nassef Sawiris. Au travers de cette privatisation et des reventes, le nombre d’employés est passé de 1187 à 750 ; mais parmi eux, quelque 520 sont soit des travailleurs journaliers, soit ils ont des contrats temporaires ou annuels. Ce qui implique, comme l’expliquent des travailleurs de cette usine : « pas de sécurité de l’emploi, pas d’assurance sociale et de santé, pas de vacances et le non-paiement des jours de maladie. » « Notre lutte a pour objectif de sauver la firme, sauver nos emplois, sauver notre gagne-pain » dit Hassan (Al-Ahram Weekly, 9 avril 2008). La bataille menée par ces travailleurs s’appuie à la fois sur leur capacité de mobilisation et sur l’utilisation du fait « légal » suivant : en 1961, la firme Al-Nasr était non seulement dans le secteur public, mais considérée « d’utilité publique et servant au développement industriel ».

Cet aspect, selon les travailleurs, n’a pas été liquidé formellement lors de la privatisation de 1994. Hassan réaffirme que « déplacer ailleurs la production et planifier un complexe touristique est une rupture évidente de contrat. Nous sommes du bon côté de la barrière, aussi bien légalement que moralement. »

Il n’est pas nécessaire d’insister sur le fait que la fédération syndicale responsable de ce secteur, liée étroitement à l’appareil d’Etat, ne soutient pas les ouvriers dans leur action. Il y a d’ailleurs trois ans, lors d’une grève, la bureaucratie syndicale de la General Federation of Engineering, Electrical and Metal Manufacturers avait laissé tomber les travailleurs. Elle apparaît, à leurs yeux, comme un agent du gouvernement ; ce qui est un fait avéré. Dans la lutte présente, la fédération s’est contentée d’envoyer une lettre, à laquelle le gouvernement n’a même pas répondu.

L’importance de la grève de Ghazl El-Mahalla

Les travailleurs du textile à Ghazl El-Mahalla ont avancé 14 revendications, qui sont aussi faites leurs par ceux qui appellent à la « journée de colère » du 6 avril. Parmi ces revendications, arrivent au premier rang : l’augmentation des salaires ; l’augmentation des subventions à la nourriture ; des subventions pour le logement ; la régularisation des primes salariales en termes de montant et de date de paiement ; la poursuite des dirigeants corrompus de la société Ghazl El-Mahalla ; la réorganisation de la clinique liée à la firme. On constate que ces revendications renvoient partiellement au type d’organisation socio-étatique du secteur textile tel qu’il existait à l’époque de Nasser et aux transformations liées à la politique « d’ouverture » économique.

Les menaces répressives ne cessent de s’accroître. Des forces militaires se sont rapprochées de la firme, des gardes-chiourme se sont déjà manifestés aux portes de l’usine. La pression sur les militants qui se sont profilés depuis un certain temps est extrêmement forte. Le chantage par les structures syndicales officielles est énorme. La fédération syndicale du secteur tente de mettre en place des structures intermédiaires pour opérer une liaison contrôlée entre les travailleurs et l’officialité syndicale détestée.

En ce sens, cette lutte et son audience, la façon dont elle sera soutenue en Egypte et internationalement, pourra marquer le profil des luttes actuelles, cela sans vouloir exagérer son impact ou interpréter de manière unilatérale son expression au plan politique.