En Tunisie, des informations sur les troubles sociaux dans le bassin minier de Gafsa (350 km au sud-ouest de Tunis) circulaient depuis le 5 janvier dernier. Vendredi, il y a eu mort d’homme. Un manifestant de 25 ans, réduit à l’identité d’« élément perturbateur » pour le régime, a en effet été abattu à Redeyef, 30.000 habitants, dans le même secteur riche en phosphates, lors d’affrontements avec les forces de l’ordre qui ont aussi fait, officiellement, 8 blessés (28 de sources syndicales).
L’armée a été déployée samedi dans la ville, imposant le retour au calme. Pillages et saccages avaient accompagné les incidents.
Les autorités tunisiennes ont contredit ceux qui leur reprochaient un recours exclusif à l’option sécuritaire bien dans le style d’un régime connu pour sa poigne de fer. Mais « nous ne tolérerons aucun recours à la violence », a précisé le ministre de la Justice et des Droits de l’homme Bechir Tekkari.
Toujours bien informé depuis Paris, le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie signale plus de trente arrestations et de nombreuses condamnations, stigmatisant « une escalade violente » et saluant « ce formidable combat pour la dignité (...) de ceux qui ne demandent qu’à vivre dignement et librement ».
Au Maroc, où l’actualité sociale est souvent émaillée par les manifestations pathétiques de « diplômés-chômeurs » à Rabat ou à Casablanca, c’est une petite ville du sud qui fait parler d’elle. Depuis le 30 mai, le port de Sidi Ifni, une cité de 20.000 habitants à 200 km au sud d’Agadir, était bloqué par des manifestants qui protestaient notamment contre le chômage et l’absence d’investissement public. Samedi, les forces de l’ordre déployées de manière massive - des milliers d’hommes - sont intervenues de manière énergique. Bilan : 44 blessés, selon les autorités.
Mais des témoignages impossibles à confirmer font état de deux viols et de plusieurs morts. La télévision qatarie par satellite Al-Jazira a relayé cette information, déclenchant l’ire du régime, qui évoque « une désinformation dans toute sa grossièreté ». Les exactions semblent moins contestables : de nombreux domiciles ont été le théâtre de violences policières. Même une partie de la presse proche du gouvernement a osé mettre « les brutalités policières » en cause : ainsi El Bayane, organe du PPS (ex-communiste), signale des « exactions » et des « bavures policières ». Le Soir (indépendant) annonce « des maisons saccagées » et « des centaines de blessés ».
Mais c’est peut-être en Algérie que la situation devient la plus inquiétante. Comme l’écrit notre confrère Le Soir d’Algérie, « il ne se passe plus un mois sans qu’une émeute n’éclate. La colère monte dans plusieurs régions. Les manifestations violentes deviennent l’ultime recours pour exprimer colère et frustration. Face à des autorités locales qui font la sourde oreille, les populations ne trouvent plus d’autres moyens que de tout saccager pour attirer l’attention sur leur vécu ».
Pourtant, l’Algérie bénéficie d’une rente imposante liée à la poussée inflationniste des prix pétroliers. Mais rien n’y fait, écrit Le Quotidien d’Oran, ville de l’Ouest où des violentes émeutes viennent d’avoir lieu : « Le revers de la médaille est terrifiant. De nombreuses familles ne sont pas logées, les jeunes ne trouvent pas d’emploi, les ménages peinent à acheter leur lait, leur viande et même leur pain »...
La « malvie » frappe les Maghrébins de plein fouet. Dans une région où les façades démocratiques ne trompent plus personne comme en atteste le désintérêt massif pour les consultations électorales, les citoyens tentent d’abord d’échapper aux griffes de la pauvreté. Mais, entre corruption, inégalités sociales, clientélisme, vie chère et chômage, les voies du salut paraissent hors de portée. Alors la tentation du recours à la violence, à l’émeute, peut se faire forte. Même dans des pays dominés par des régimes policiers aux méthodes radicales. Les signaux, en tout cas, sont au rouge.