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La guerre sans fin, défis et opportunités

Dimanche 1er mars 2009, par Pierre BEAUDET

Le 12 septembre 2001, George W. Bush en déclarant la « guerre sans fin » a été pris le monde par surprise. Aujourd’hui rétroactivement, on peut dire que cette guerre n’a pas commencé en cette date fatidique. Depuis plusieurs années en effet, les Etats-Unis avaient entrepris un vaste programme de réorganisation militaire, explicité dans la fameuse révision du plan stratégique du Pentagone de 1994, élaborée sous l’administration Clinton. Déjà au cours des années 80, au moment où il devenait clair que l’Union Soviétique allait s’autodétruire, était apparue l’idée que les Etats-Unis entraient dans une nouvelle phase où ils pourraient se mettre au centre de la scène en s’établissant comme la seule et unique superpuissance dans le monde. Sous la présidence de Ronald Reagan, un groupe de personnes qualifiées plus tard de néoconservateurs, proposaient un nouveau « siècle américain » sous la domination sans partage des Etats-Unis.

De Bagdad à Sarajevo

Le coup d’envoi de ce nouveau plan a été tiré par George Bush père avec la guerre de 1991 contre l’Irak. Les historiens nous diront de quelle manière les Etats-Unis ont manipulé Saddam pour qu’il tombe dans le guet-apens. Le but était évidemment la consolidation des positions des Etats-Unis au Moyen-Orient avec l’aval tacite d’une Russie fragmentée et encore sous le choc de l’effondrement de l’Union Soviétique et avec le plein soutien d’alliés réactionnaires locaux comme l’Arabie Saoudite. L’opération a été conclue avec un certain succès.
La deuxième « occasion » a été la guerre en Bosnie, dans le sillage de la destruction programmée de la Yougoslavie. Européens et Russes étaient à nouveau divisés, contradictoires et au mieux incompétents. Clinton, qui avait succédé à Bush, y a vu une excellente opportunité pour implanter un dispositif militaire étasunien en plein cœur de l’Europe, sur le flanc méridional de la Russie et proche du Moyen-Orient. Pendant le deuxième mandat de Clinton, les dépenses militaires ont à nouveau augmenté, avec davantage d’interventions, notamment en Asie et en Afrique. Si Clinton est resté ambigu par rapport aux néoconservateurs (il ne partageait pas leur vision dimension religieuse/idéologique), il a par contre pleinement participé à la grande stratégie du « Nouveau siècle américain ». Pour l’élite états-unienne en effet, il est rationnel de prévoir comment bloquer ou au moins entraver la montée de la compétition asiatique et européenne. Si ce « travail » n’est pas fait, la domination de l’empire pourrait être menacée à plus ou moins long terme. Or c’est là qu’entre en jeu le principal « avantage comparatif » des Etats-Unis, qui est d’ordre militaire et non économique.

Une bifurcation par Kaboul

Bush fils l’a dit clairement le 12 septembre 2001, « cette tragédie est une opportunité ». Avec l’énorme réarmement de la dernière décennie, la nouvelle guerre en Afghanistan arrivait pile. Il y avait toutefois des désaccords tactiques. Bush, Cheney et Rumsfeld plaidaient pour une opération ‘légère’ en Afghanistan. Pour eux, la priorité était de préparer la ‘vraie’ guerre en Irak (et même en Iran). Par contre, les généraux du Pentagone et Colin Powell craignaient un déploiement excessif des forces et voulaient se concentrer sur l’Afghanistan.
Si les néoconservateurs l’ont temporairement emporté, c’est que le contexte semblait se prêter à cette grande avancée des Etats-Unis dans la région. La Russie et l’UE étaient à la fois faibles et divisés. La Chine restait encore bien timorée et occupée à gérer son processus de globalisation. Quant au tiers-monde, il était fragmenté et incapable d’initiatives. Et sur le « front intérieur » dans le monde occidental, il y avait une opposition de masse, mais sans impact réel en raison des hésitations et des craintes de la social-démocratie européenne. Il était à nouveau « logique » pour Bush et Cheney de croire que la guerre était gagnable, alors qu’aujourd’hui nous savons qu’elle ne l’était pas. Après tout, les généraux et Colin Powell avaient raison.

L’impasse

Depuis 2006, il est apparu clairement que l’occupation militaire n’était pas en mesure de vaincre les forces insurrectionnelles en Irak. En Afghanistan pendant ce temps, les Talibans ont pu refaire leurs forces et même déstabiliser le Pakistan. Devant cela, les lignes de fracture au sein de la classe dirigeante étasunienne se sont rouvertes. Bush et Cheney ont tenté de pousser le jeu à un autre niveau en proposant une attaque contre l’Iran, y compris en utilisant des armes nucléaires. Mais ils ont du battre en retraite. D’abord les généraux ont refusé de bombarder l’Iran, pas par amour du régime iranien, mais par crainte de sombrer dans un chaos encore plus grand. Ensuite, les opérations militaires se sont enlisées en Irak. Enfin, l’éternel relai israélien a subi une dure défaite au Liban (août 2006).

Entre-temps, les responsables européens, russes et chinois ont commencé à réagir en refusant d’augmenter leurs effectifs en Afghanistan et aussi à s’opposer à une attaque contre l’Iran. Plusieurs manœuvres de Washington pour (re)exporter le conflit vers d’autres parties du monde (aux Philippines, au Pakistan et même en Colombie) n’ont pas réussi. Plus tard, les menaces de Cheney à l’encontre de la Russie ont abouti à une débâcle en Géorgie. Tout cela a conduit au rejet massif aux Etats-Unis de la stratégie de Bush et Cheney et finalement à la victoire d’Obama aux élections.

Les options actuelles

Le pari hautement risqué de Bush a échoué et les Etats-Unis se retrouvent dans la tourmente. Il s’agit évidemment de différentes crises interdépendantes. La mauvaise gestion de l’économie n’a pas été « accidentelle« , mais une composante essentielle du projet grandiose de renforcer l’hégémonie étasunienne par des moyens militaires dans un contexte où l’empire est contesté de toutes parts. Quelles sont donc les options actuelles pour le nouveau Président ?
Il est certain qu’Obama va proposer un changement important au niveau des moyens, sans nécessairement essayer de modifier les objectifs. Depuis son intronisation et même avant, ses déclarations sur la guerre et les conflits ont porté sur la continuité plutôt que sur la rupture. La « clintonisation » de son administration semble indiquer la même direction.

Le fait est que la classe dirigeante étasunienne ne peut pas se permettre de « perdre » le Moyen Orient et l’Asie Centrale. Il s’agit évidemment des ressources énergétiques, mais pas de manière aussi simpliste que beaucoup le prétendent. Les Etats-Unis n’ont pas besoin du pétrole et du gaz de cette région. Ce dont ils ont besoin, c’est de contrôler les flux et d’intercepter les connexions entre l’Occident (UE et Russie) et l’Orient (Chine, Inde et pays de l’Asie-Pacifique). Ils ont besoin d’être bien implantés au milieu de ce carrefour, physiquement et symboliquement, comme la seule puissance qui compte.
Ce recentrage a en réalité déjà été amorcé au Pentagone par le « réaliste » Robert Gates, le secrétaire d’Etat qui assure la continuité entre Bush et Obama. Pour l’essentiel, l’occupation de l’Irak sera ‘redéployée’. Les soldats américains seront beaucoup moins exposés. La guerre sans fin deviendra plus abstraite, plus lointaine, peut-être même moins chère. C’est le sens du nouvel « accord » entre le gouvernement irakien et Washington. Les Etats-Unis sont en train de compléter un réseau de forces militaires énormes placées aux marges des villes et ont déjà constitué une grande armée de supplétifs avec les seigneurs de guerre kurdes. Entre-temps, l’armée américaine paie une grande partie de ce qui reste de l’armée de Saddam pour qu’ils chassent les rebelles et empêchent le gouvernement national dominé par les Shiites de construire un véritable Etat. L’espoir de Washington est que cela reste ainsi pour des décennies à venir.

Le défi

Pour les mouvements de résistance et altermondialistes, les défis sont énormes. Premièrement, il est difficile d’attirer l’attention sur une stratégie aussi indirecte et sophistiquée. Deuxièmement, il est aussi compliqué de nous démarquer de l’opposition russe ou chinoise, qui tentent de miner l’hégémonie américaine par l’intermédiaire d’alliés démagogiques et parfois réactionnaires comme le régime iranien. Troisièmement et plus fondamentalement, les mouvements sociaux en Amérique du Sud et en Europe méridionale restent fragiles. Ils ont bien mené la « bataille des idées » contre l’hégémonie impériale, mais ils ont été incapables, à quelques exceptions près, de changer les règles des jeux au niveau politique. La dérive de la social-démocratie vers le « social-libéralisme » continue sans interruptions, même en Amérique du Sud. Cela constitue un obstacle majeur pour l’opposition contre la guerre sans fin. Les sociaux-libéraux sont gênants pour les Etats-Unis, mais ils ne constituent pas une véritable opposition et même dans le pire des cas, ils participent pleinement à la défense de l’empire.

Le ‘laboratoire’ palestinien

La récente aggravation de la crise dans les territoires occupés démontre l’ampleur de ce qui nous attend. Les Israéliens et les élites étasuniennes ont réussi, du moins en partie, à transformer la résistance à l’occupation en une guerre civile. Ils ont fragmenté les territoires occupés et même physiquement emmuré toute une population qui se retrouve dans une vaste prison à ciel ouvert. L’occupation a été politiquement et techniquement redéployée, la capacité de lutte a été affaiblie (mais pas éliminée). Et le monde entier assiste passivement au carnage dans une complaisance criminelle. Mais la résistance continue contre le Pétain palestinien, Mahmoud Abbas, et même d’une certaine manière contre la gouvernance inerte et chaotique du Hamas à Gaza. Et en Israël il y a une crise politique interminable, ce qui démontre la force et la faiblesse d’un État incapable de briser les Palestiniens. Devant tout cela, les mouvements de solidarité restent actifs, moins que de par le passé, mais assez pour maintenir la flamme en vie. De cette confusion naissent de nouvelles opportunités, de nouveaux défis et de nouveaux risques.

* Article publié par la revue CRISES produite par Alternatives-International à l’occasion du Forum social de Bélem.