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ANGOLA

La démocrature

Lundi 8 septembre 2008, par Alex Duval Smith

Pour la première fois depuis quinze ans, le président dos Santos organise des législatives. Mais tout sera fait pour que les plus déshérités ne puissent pas exprimer librement leur mécontentement.

Une limousine gris anthracite s’arrête devant le bar Miami Beach. La jambe fine d’une femme émerge de la portière arrière. Mais sa propriétaire rate sa sortie : son pied chaussé d’une sandale blanche se pose dans une flaque d’eau boueuse. Un de ses amis se précipite pour lui donner un coup de main. “Comment faire, avec tous ces nids-de-poule en Angola ?” s’interroge la jeune femme. “Acheter un 4 x 4”, lui répond-on. “C’est ce que tout le monde fait.” Telle est la logique des riches. En attendant, l’Angola s’apprête cette semaine à voter, pour la première fois depuis seize ans. Les dernières élections, en 1992, avaient débouché sur une reprise de la guerre civile. Le scrutin parlementaire constituera un test crucial pour ce pays qui présente la plus forte croissance économique au monde.

Pour les Angolais ordinaires – qui ont enduré des guerres successives de 1961 à 2002 – le boom économique ne se traduit par aucune amélioration de leurs conditions de vie, alors que la croissance du pays a atteint 24 % l’an dernier. La population de plus de 16 millions d’habitants continue à concentrer les indicateurs les plus faibles du point de vue de l’espérance de vie, de l’éducation et de la richesse. La fracture entre riches et pauvres est un véritable abîme : tandis que les classes supérieures peuvent débourser un loyer de 20 000 dollars par mois pour un simple deux-pièces dans le centre de Luanda, des millions de personnes s’entassent dans des bidonvilles à la périphérie de la capitale. Les deux tiers de la population survivent avec moins de 2 dollars par jour. Le taux de chômage est élevé – entre 40 % et 60 % – et la mortalité infantile est l’une des plus fortes au monde, environ un quart des enfants mourant avant l’âge de 5 ans.

“Soyez patients”, ne cesse de répéter le gouvernement, qui a mis sur pied une puissante machine de propagande afin que les électeurs se rendent en masse aux urnes le 5 septembre, et que le plus grand nombre d’entre eux votent pour le parti au pouvoir, le Movimento Popular de Libertação de Angola (MPLA), formation autrefois marxiste qui a cédé aux sirènes capitalistes. Beaucoup approuvent ces appels à la patience, notamment ceux qui se sont enrichis rapidement. On les trouve en train de boire leur whisky dans les boîtes de nuit du quartier de la capitale qui s’étend sur la péninsule d’Ilha, notamment au Miami Beach. L’un des propriétaires de cet établissement est la femme d’affaires millionnaire Isabel dos Santos, la fille aînée du président José Eduardo dos Santos, au pouvoir depuis 1979.

Au journal télévisé du soir, on voit le président inaugurer différents projets d’infrastructure : travaux d’adduction d’eau qui devraient permettre à 80 % de la population du pays de recevoir l’eau potable en 2012, flotte de 150 bateaux de pêche tout neufs. L’agent immobilier Diogo Rodrigues note que le prix de l’immobilier a connu une hausse de 100 % par an au cours des trois dernières années. “Les studios avec mezzanine que nous avons prévendus 350 000 dollars en mars dernier se revendent déjà 550 000 dollars. Nos clients sont des membres du gouvernement, des militaires, des banquiers et des compagnies pétrolières. Les constructeurs ne parviennent pas à répondre à la demande.” Après leurs réticences initiales, motivées par l’arrivée agressive des Chinois en Angola il y a trois ans, les diplomates européens se sont rendu compte qu’il y avait suffisamment d’affaires à réaliser pour tout le monde. Dans des interviews, certains approuvent avec insistance le MPLA pour sa volonté affichée d’améliorer la con­dition des plus pauvres grâce à un effet de répartition des richesses par capillarité. L’un des diplomates demeure cependant sceptique : “L’idée de construire des routes, des hôpitaux et des écoles est formidable, mais il faut aussi des infirmières et des professeurs, et on ne sait pas très bien où ceux-ci vont être formés.”

L’homme d’affaires britannique Tom Gowans, qui vit en Angola depuis quinze ans, affirme que le président dos Santos apporte “une solution africaine à un problème africain”. Gowans, qui loue des générateurs électriques, explique : “Quand vous encouragez l’investissement, vous mettez un terme aux conflits. Nous avons amené l’électricité dans l’enclave de Cabinda – une région où existait autrefois un fort mouvement indépendantiste. Maintenant que la région est électrifiée, les investisseurs arrivent, on crée des emplois et il y a de la bière fraîche au frigo.”

Si les diplomates européens et les entrepreneurs locaux et étrangers ­couvent d’un œil gourmand le boom pétrolier, universitaires et militants des droits de l’homme ont une vision moins enthousiaste. Un économiste, qui a demandé à ne pas être identifié, déclare que le gouvernement a “vendu l’âme de l’Angola aux Chinois, qui construisent des routes et des infrastructures de mauvaise qualité qui vont commencer à se désintégrer dans cinq ans”. Il ajoute que 80 % des revenus du pays proviennent du pétrole : “Il faudrait en faire beaucoup plus, et de façon urgente, pour diversifier les sources de revenus. Ce qui inquiète le plus les Angolais, c’est le soupçon que le gouvernement n’a construit tout cela que dans le but de remporter les élections.” L’opposant Carlos Leitão prédit que les élections législatives du 5 septembre – qui devraient être suivies l’année prochaine par une présidentielle – seront probablement entachées de “fraudes massives”.

“Le MPLA tient à être le seul parti aux commandes, martèle-t-il. Il a acheté une grande partie de l’ancienne opposition et divisé le reste. Il a recours aux passages à tabac, aux intimidations et aux assassinats. C’est un parti qui n’a rien de démocratique.”

Alex Duval Smith
The Observer