|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > La crise prolongée

CRISE AU MOYEN-ORIENT

La crise prolongée

Jeudi 10 août 2006, par Pierre BEAUDET

L’attention du monde est fixée sur le Liban depuis le début d’une guerre qui ne cesse de faire des victimes, principalement parmi les civils libanais. Les Etats-Unis, grâce à la complaisance des pays occidentaux, ont réussi à faire dérailler le processus diplomatique, car les projets de résolution discutés à l’ONU ne font qu’entériner au bout de la ligne la position israélienne et américaine. Entre-temps, les combattants d’Hezbollah continuent de défier la puissante armée israélienne qui ne semble pas être capable d’en venir à bout. De toute évidence, on est devant une crise prolongée qui risque de perdurer dans une région déjà tourmentée.

Comment est-on arrivés là ?

L’opinion courante est que les combattants palestiniens et libanais qui ont capturé des soldats israéliens ont « provoqué » l’armée israélienne et donc déclenché la guerre. Dans les faits cependant, l’intensification des combats était prévisible. Du côté israélien, le nouveau gouvernement Olmert se devait de donner des gages à son secteur ultra et aussi à l’armée qu’il avait la détermination pour confronter Hamas et Hezbollah. Sur le plan politique à l’époque de Sharon, Tel-Aviv avait décidé de ne pas négocier avec les interlocuteurs et d’agir unilatéralement pour maintenir la domination sur les territoires occupés et c’est ce qu’Olmert tente de mettre en œuvre. Pendant que le Liban est au centre de l’actualité, l’enjeu le plus important pour les Israéliens est en Palestine, où il s’agit de détruire l’infrastructure politique et organisationnelle des Palestiniens, condition indispensable pour concrétiser le démantèlement et l’encerclement des enclaves palestiniennes de Gaza et de Cisjordanie. Évidemment, ce projet nécessite de mettre au pas les pays arabes de la région, notamment la Syrie et le Liban, d’où la décision d’« éradiquer » Hezbollah qui est un rempart important contre l’armée israélienne.

L’agenda des Etats-Unis

D’une manière complexe, les ambitions israéliennes convergent avec celles de Washington. Depuis l’embourbement en Irak, le Président Bush se sait vulnérable, notamment dans le contexte des prochaines élections de l’automne où seront renouvelés les postes au Congrès et à la Chambre des représentants. Sous l’influence des néoconservateurs et des « radicaux » comme Donald Rumsfeld et Dick Chenney, la voie retenue par George W. Bush est d’élargir le conflit dans une sorte de fuite en avant qui, on l’espère, fera « oublier » l’impasse à Bagdad. Au-delà de ces facteurs conjoncturels, l’administration Bush est explicite sur le fait qu’elle doit animer une « guerre sans fin », c’est-à-dire une entreprise de très longue durée pour sécuriser le Moyen-Orient (et l’Asie centrale) en fonction des intérêts états-uniens. C’est un projet très risqué, qui est critiqué par une partie croissante de l’establishment américain, mais qui s’appuie sur une analyse assez sophistiquée (exposée il y a dix ans par les idéologues du « New American Century Project »). Selon cette optique, les Etats-Unis doivent verrouiller le Moyen-Orient, quels que soient les coûts, d’une part pour assurer une domination sans partage sur les ressources pétrolières, d’autre part pour empêcher les compétiteurs actuels et potentiels de prendre trop de place (l’Union européenne, la Russie, la Chine). Actuellement, George W. Bush veut redynamiser ce plan en « utilisant » ses alliés israéliens.

Une opposition sous-estimée

Le « plan de match » américain et israélien est cependant durement confronté. En dépit d’une répression impitoyable dirigée contre les civils principalement à Gaza, les Palestiniens ne veulent pas capituler. Au contraire, l’« initiative des prisonniers » élaborée il y a quelques mois par Marwan Baghouti a solidifié une perspective palestinienne unifiée, dans la perspective de la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale. Les Israéliens bien sûr ne veulent rien savoir cela et s’entêtent à rendre la vie insupportable aux gens ordinaires tout en cherchant d’introuvables collabos palestiniens. Au Liban, il fallait être vraiment peu futés pour penser qu’il serait possible d’éradiquer Hezbollah, un mouvement non seulement enraciné dans la communauté chi’ite (40-50% de la population), mais qui représente pour beaucoup de Libanais un mouvement légitime de résistance à l’agression. Quant à l’Irak, les généraux américains que l’administration Bush refuse d’écouter disent tout haut ce que tout le monde pense, à l’effet que l’insurrection est plus forte que jamais. Enfin facteur extrêmement important, le régime iranien ne cesse de marquer des points par sa débrouillardise tactique d’une part, par la légitimité de ses revendications d’autre part. Personne en Iran (même parmi l’opposition), au Moyen-Orient et même ailleurs en Asie ne peut accepter l’argument biaisé de Washington que seul Israël a le droit de disposer des armes de destruction massive et donc d’agresser quiconque représente une « menace » contre ses intérêts. Les partenaires des Etats-Unis que cela soit parmi les États membres de l’Union européenne, la Russie et la Chine sont généralement très inconfortables même si pour des raisons diverses, personne n’ose trop confronter Washington. Reste les alliés inconditionnels comme le Canada ou l’Australie, mais franchement, le poids de ceux-ci est plutôt léger. Bref du point de vue états-unien, la réingénierie du Moyen-Orient apparaît équivoque.

Tout est possible

Autant Bush que Olmert savent qu’ils jouent avec le feu. Un « incident » ou une « bavure » quelconque pourraient aggraver la crise (par exemple un bombardement de Tel Aviv). Chaque jour qui passe amène des milliers de recrues aux organisations comme Hamas ou Hezbollah. Le cheikh Sayyed Hassan Nasrallah est devenue aux yeux de 800 millions de Musulmans un immense héros. À Bagdad, il ne faudrait pas grand-chose pour qu’une partie des chi’ites rejoigne l’insurrection (ceux qui sont sous l’influence de Moqtada Al-Sadr). Il serait très surprenant que ces tendances à l’aggravation des combats laissent la place à de vraies négociations, tant sont déterminés les protagonistes.