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SOMALIE

La Ligue Arabe est totalement absente

Samedi 13 janvier 2007

Bien que membre de la Ligue arabe, ce pays, en proie à la division et l’intervention militaire éthiopienne, ne semble susciter aucune mobilisation.

Ce n’est sans doute pas la première fois que le chaos règne en Somalie. Plus encore, l’Histoire moderne de ce pays, à la lisière d’une africanité et d’une arabité que l’on n’a pas su concilier jusqu’à présent, constitue une des terres les plus instables du continent. Voilà des décennies qu’il tente de former un gouvernement, mais des luttes de clans, des tensions avec les pays voisins ou encore des guerres font que ce pays est abandonné à son triste sort, privé de toute sorte de développement. En quelques mois, les événements se sont précipités. En juin dernier, l’Union des Tribunaux islamiques s’empare de la capitale Mogadiscio à la suite d’affrontements avec les membres de ladite alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme. En décembre, le gouvernement de transition, représentant cette alliance, appuyé par l’armée éthiopienne et soutenu par Washington, reprend le contrôle du pays. Il n’a fallu que quelques jours de combat pour provoquer la déroute des Tribunaux islamiques. Les Islamistes avaient lancé un ultimatum aux troupes éthiopiennes pour quitter le pays, même si Addis-Abeba déclarait que sa présence était limitée à la formation de militaires, juste des instructeurs. Or, en ce moment, 12 000 soldats éthiopiens sont déployés en Somalie. Un pays qui se voit réduit dans la vision occidentale aux événements d’octobre 1993 ; plus encore au film de Ridley Scott La Chute du faucon noir ? Une opération de routine qui vire rapidement au cauchemar. Une centaine de Marines de la Rangers et Delta Force est envoyée en mission pour capturer les principaux lieutenants de Mohamed Farah Aïdid. Dix-huit américains sont tués mais aussi et surtout plusieurs milliers d’Africains. Mais lorsque défilent sur l’écran les noms des 18 Américains, sans aucune mention des milliers d’Africains, on est vite confronté à la vision américaine des choses : « Les bons contre les méchants ». C’est encore le cas aujourd’hui : les Etats-Unis ont fourni l’assistance militaire aux Ethiopiens et ont soutenu la résolution du Conseil de sécurité qui n’a pas condamné l’Ethiopie. Même le groupe de contact international sur la Somalie est impulsé par Washington qui n’a pas tardé à longer la côte somalienne par ses navires.
Réunion sans hauts responsables

Les Arabes, eux, semblent être dans un autre monde. Une réunion a été tenue à la Ligue arabe, mais juste au niveau des délégués, et non pas au niveau des chefs de la diplomatie, pour ne pas dire chefs d’Etat, contrairement à ce qui se passe avec la Palestine, l’Iraq ou le Liban. « La Somalie n’a pas été au centre des intérêts arabes. Elle a été considérée comme un pays marginal, à l’exemple de la Mauritanie et du Sud-Soudan », affirme Helmi Chaaraoui, directeur du Centre d’études arabes et africaines. La Ligue a quand même tenté de ne pas répéter l’erreur du Sud-Soudan et a établi des contacts avec l’Union Africaine et l’Onu. Une délégation a été envoyée à Nairobi pour participer à la réunion du groupe de contact international. On est vraiment loin d’un intérêt arabe à l’égard de l’Afrique et des pays arabes du continent comme du temps de Nasser. A cette époque, la Somalie était au cœur des intérêts, et l’Egypte a contribué à la formation de l’armée somalienne. Après la guerre d’Octobre 1973 et la montée des valeurs pétrolières et ce qui a semblé être pour une courte période un épanouissement arabe, la Somalie comme Djibouti ont été attirés par la Ligue et y ont adhéré. « La Somalie faisait partie du groupe ou de l’idée et culture panarabe quand il y avait un mouvement panarabe florissant. Mais lorsque celui-ci a disparu et que même la religion musulmane, fond commun de ces pays, a été assimilée à l’extrémisme, la Somalie a été réduite à sa simple donne africaine », ajoute Chaaraoui. L’idée de panarabisme s’est effondrée, et en conséquence c’est à travers l’angle africain que les problèmes de ce pays sont réglés et à travers l’Ethiopie en particulier.

Cette désaffection a été favorisée par la structure tribale et clanique du pays, une des causes principales de l’échec des tentatives d’unité : les Darod, les Hawiyé, les Dir et les Saab. Lorsque le nord du pays proclame son indépendance en 1991, prenant le nom de Somaliland, c’était sous l’impulsion des Issak, l’un des grands clans du pays. Cette gangrène qui mine d’autres pays arabes, comme le Yémen et l’Iraq, reste plus forte en Somalie.

Un esprit qui remonte à loin et qui n’a pas échappé par exemple à un Ibn Khaldoun, ce précurseur de la sociologie. Il le nomme « assabiya » pour désigner le soutien tribal. Celui-ci ne pouvait assurer aux Arabes leur expansion. Mais c’est l’islam en tant que valeur allant au-delà de l’esprit du clan qui leur a assuré cet envol. Les Tribunaux islamiques auraient pu suppléer, selon des analystes, à ce clanisme si leurs chefs n’étaient pas eux-mêmes des membres de tribus faisant amalgame entre les deux notions.
Refus de désarmer

Ainsi les manifestations qui ont eu lieu à Mogadiscio avec jet de pierres contre les forces somaliennes et éthiopiennes s’expliquaient-elles par un rejet tant de cette ingérence éthiopienne que du refus de désarmer. D’où le fait que les forces victorieuses ont préféré renoncer samedi à une épreuve de force en reportant le désarmement obligatoire de nombreux miliciens dans Mogadiscio. La possession d’armes fait partie d’une culture d’autodéfense tribale. Chaque groupe doit être sûr de pouvoir assurer sa propre protection. « Nous ne voulons pas du désarmement à Mogadiscio » et « Nous n’avons pas besoin des Ethiopiens », deux slogans se couplant et scandés par les manifestants. Miliciens et habitants se sont plutôt lancés au grand bazar des armes pour vendre leurs fusils et mitraillettes plutôt que de les rendre. « C’est d’ailleurs après une demande du clan des Hawiye au premier ministre », selon le ministre de la Défense, Salad Ali Jelle, que ce report a eu lieu. Les Hawiye sont un grand clan hégémonique dans Mogadiscio, qui formait l’une des composantes principales des milices des Tribunaux islamiques.

Un état des choses qui rend beaucoup plus difficile une intervention arabe pour calmer la situation. La défaite des Tribunaux islamiques, orchestrée du moins voulue par les Américains dans le contexte d’une lutte contre Al-Qaëda, a remis cette dernière aux premières loges. Aymane Al-Zawahri, numéro 2 de cette nébuleuse, a lancé un appel vendredi dernier : « J’exhorte tous les musulmans à répondre à l’appel du jihad contre les forces éthiopiennes d’agression en Somalie », Ainsi, selon lui, les islamistes somaliens et ceux du Yémen, d’Arabie saoudite, d’Egypte, du Soudan et du Maghreb, sont-ils invités à utiliser « les embuscades, les mines et les opérations suicide », a ajouté Zawahri, en conseillant aux Tribunaux islamiques de s’inspirer de la guérilla en Iraq et en Afghanistan.

Cette internationalisation de la crise somalienne ou sa réduction à un conflit USA-islamistes affaiblira encore plus la position de pays arabes toujours absents. L’attitude de l’Egypte est sous le feu des critiques. Chaaraoui estime que « sur les plans diplomatique et idéologique, Le Caire est à blâmer parce qu’il a manifesté sa compréhension à l’égard de l’intervention éthiopienne en Somalie ». Une position d’autant plus étonnante que l’Egypte assure la présidence tournante du Conseil de sécurité et de paix de l’Union africaine. Il est censé examiner les conflits armés en Afrique. Selon des observateurs, il semble que l’Egypte est faible diplomatiquement et a renoncé à l’esprit de concurrence diplomatique. Elle a abandonné la scène à d’autres acteurs. Sinon pour d’autres analystes, elle pèse le pour et le contre. Ses intérêts avec l’Ethiopie sont plus vitaux qu’avec une Somalie dont la pacification et l’unité restent problématiques. D’ailleurs, l’ensemble du monde arabe est attaché à l’initiative du Groupe de contact sur la Somalie composé de la Ligue arabe, des Etats-Unis, de l’Italie, de la Norvège, du Royaume-Uni, de la Suède, de la Tanzanie, de l’Union européenne, de l’Onu, de l’Union africaine et de l’Autorité intergouvernementale du développement qui doit apporter une solution plutôt africaine à la crise. Sans doute que les Arabes confrontés à leur deuxième épreuve africaine, après le Soudan, doivent repenser, de manière exhaustive, leurs rapports avec le continent.