Lors de la conférence de l’OTAN qui s’est tenue cette semaine à Vilnius, en Lituanie, le Secrétaire à la Défense américain Robert Gates a accusé avec colère certains pays européens de ne pas être prêts à « combattre et mourir » en Afghanistan dans la bataille contre les talibans.
Le bien peu diplomatique Robert Gates a vu juste. La plupart des européens voient dans le conflit Afghan a) une erreur immorale b) une guerre américaine c) menée pour le pétrole, ou d) probablement perdue.
Pour de nombreux européens, l’OTAN était destinée à dissuader la menace réelle représentée par l’Union Soviétique, pas à fournir des hommes de troupe pour les guerres menées par Bush dans le monde musulman.
Au moment même où Gates et Harper (le premier ministre canadien) demandaient un renfort en hommes, le commandant des 40 000 soldats de l’OTAN en Afghanistan, le général US Dan Mc Neill dégoupillait une grenade en déclarant que si les règles de l’armée américaine en matière de guerre anti-insurrectionnelle étaient appliquées, l’OTAN et les USA devraient déployer 400 000 hommes pour défaire la résistance tribale Pachtoune en Afghanistan.
Quand les soviétiques occupaient l’Afghanistan, ils alignaient 160 000 hommes sur le terrain, aidées par 200 000 soldats fidèles au régime communiste de Kaboul. Ils ont pourtant échoué a écraser la résistance majoritairement pachtoune. Aujourd’hui, les USA et l’OTAN tentent d’accomplir la même mission avec 66 000 hommes avec le soutien d’une armée afghane composée de quasi mercenaires.
La demande du Canada pour un renfort de 1000 soldats de l’OTAN et la décision américaine d’envoyer 3 200 Marines supplémentaires ne modifiera pas le cours de cette guerre, qui s’est transformée en lutte contre l’occupation occidentale. De fait, la guerre s’étend au Pakistan voisin, un pays de 165 millions d’habitants, et les forces de l’OTAN et des USA sont de plus en plus insuffisantes.
L’une des raisons majeures qui ont motivé l’appel récent lancé par Gates pour attaquer les pachtounes pro-talibans sur le territoire pakistanais, c’est que les lignes de ravitaillement alliées vers l’Afghanistan font l’objet d’attaques croissantes.
Comme je l’ai déjà écrit, 70% des approvisionnemenst de l’OTAN et des troupes US, y compris les fournitures de carburant, transitent par camion à travers les zones tribales pakistanaises. Les attaques des tribus pro-taliban contre ces convois rerprésentent une menace pour les opérations militaires en Afghanistan.
Chasseurs devenus proies
Les chasseurs sont pris en chasse. La coupure des lignes de ravitaillement est une tactique privilégiée des combattants pachtounes. Ils l’ont utilisé contre Alexandre le Grand, les britanniques et les soviétiques, et l’emploient à nouveau.
Mais ce que Gates, dans son mécontentement, ne voit pas, c’est qu’en entraînant l’OTAN dans une guerre dans la lointaine Asie, sans projet politique, et sans terme prévisible, il met en péril l’alliance qui est le fondement même de la puissance militaire en Europe.
Les européens s’interrogent de plus en plus. Ont-ils besoin de cette alliance militaire dominée par les USA, de cette relique de la guerre froide, dans laquelle ils jouent le rôle de troupiers pour le « Chevalier Atomique Américain », pour paraphraser l’homme politique allemand Franz joseph Strauss ?
Pourquoi donc l’Europe, riche et puissante aurait-elle encore besoin de l’OTAN ? La menace soviétique a disparu - tout au moins aujourd’hui. La France et la Grande Bretagne, puissances nucléaires, sont parfaitement capables de défendre l’Europe contre les menaces extérieures. Pourquoi la Force de Défense Européenne ne relèverait-elle pas l’OTAN pour assurer la défense de l’Europe et la protection de ses intérêts ?
En résumé, la plupart des européens ne voient aucun bénéfice à jouer le rôle de partenaires mineurs dans une alliance qui appartient au passé et qui sert principalement d’instrument au service de la puissance américaine. Zbigniew Brzezinski, l’un des penseurs géopolitiques les plus brillants, voit dans l’OTAN le « marche pied » utilisé par les USA pour affirmer sa puissance en Europe.
En envoyant l’OTAN « un pont trop loin, » le gouvernement Bush pourrait bien compromettre définitivement l’alliance et donner de l’allant aux forces anti-américaines en Europe.
En fait, il devient évident que les USA, désormais à cours d’argent, ont plus besoin de l’Europe que celle-ci n’a besoin d’eux.
Conscription
En conclusion. Si, comme le clament les appels pressants des politiques américains et canadiens, cette guerre Afghane doit être gagnée à tout prix, pourquoi alors ne cessent-ils de tergiverser et n’imposent-ils pas une conscription permettant d’envoyer 400 000 hommes, y compris leurs propres fils, se battre en Afghanistan ?
Bien évidemment, ils ne le feront pas. Ils préfèrent mettre en péril la vie des soldats et écraser l’Afghanistan, plutôt que d’admettre que cette guerre contre 40 millions de pachtounes était une terrible erreur qui n’ira que de mal en pis.
Publication originale Edmonton Sun, traduction Contre Info