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L’islam politique au service de l’empire

Entretien avec Samir Amin

Mercredi 29 novembre 2006

La résistance de mouvements comme Hamas et Hezbollah en Palestine et au Liban interpelle les mouvements de gauche. Est-ce que l’islam politique est compatible avec un projet émancipateur ?

On dit parfois que l’Islam politique, - ou l’intégrisme- joue maintenant un rôle progressiste parce que ce sont des mouvements qui se réclament de cette idéologie, le Hezbollah par exemple, qui affrontent l’impérialisme ? Est-ce que ces mouvements sont « objectivement » anti-impérialistes ou sont-ils réactionnaires ?

Sur le terrain des enjeux sociaux réels, l’Islam politique se range dans le camp du capitalisme dépendant et de l’impérialisme dominant. Il défend le principe du caractère sacré de la propriété, légitime l’inégalité. En Égypte par exemple, les Frères Musulmans soutiennent les lois réactionnaires récentes renforçant les droits des propriétaires au détriment des paysans. Par ailleurs, l’Islam politique n’est pas anti-impérialiste, même si ces militants pensent l’être ! Les bourgeoisies compradores locales les nouveaux riches bénéficiaires de la mondialisation impérialiste en place soutiennent largement l’Islam politique. Il substitue à la perspective anti-impérialiste une position « antioccidentale » qui de ce fait ne constitue pas un obstacle au déploiement du contrôle impérialiste du système global.

Ne doit-on pas constater que l’islam politique domine la scène politique dans de nombreux pays arabes et musulmans actuellement ?

L’image de foules de barbus prosternés et de cohortes de femmes voilées inspire des conclusions un peu trop rapides. Dans beaucoup de cas, les femmes n’ont pas choisi le voile, on leur impose avec la dernière violence. Se faire remarquer par son absence à la prière peut coûter le travail, voire la vie. Il y a certes des « fous de Dieu, mais sont-ils en proportion plus nombreux que les Catholiques d’Espagne qui défilent à Pâques ? Dans noter région du monde, les traditions politiques ont été fortement marquées par les courants radicaux de la modernité. Dans un passé récent, les régimes modernistes de gauche, que cela soit au Yémen ou en Afghanistan, ont bénéficié d’un soutien populaire très larges. C’est précisément parce que ces projets modernistes, laïcisants et potentiellement porteurs d’évolutions démocratiques qu’ils sont entrés en conflit avec les intérêts de l’impérialisme dominant qui les a combattus sans relâche et mobilisé à cet effet les forces obscurantistes en déclin.

L’alliance inavouée entre l’Islam politique et l’impérialisme ne date pas d’hier …

Les Frères Musulmans en Égypte ont été littéralement créés par les Britanniques dans les années 1920 pour barrer la route au projet d’émancipation nationale du Wafd démocrate et laïc. On connaît l’histoire des Talibans en Afghanistan formés par la CIA au Pakistan pour combattre les horribles communistes dont le péché mortel avait été d’ouvrir les écoles aux filles. On sait même que les Israéliens ont soutenu Hamas au début pour affaiblir les courants laïcs et démocratiques de la résistance palestinienne. Bref, L’Islam politique a été construit par l’action systématique de l’impérialisme soutenu bien entendu par les forces réactionnaires locales obscurantistes.

Quel est l’avenir des mouvements démocratiques et progressistes face à l’émergence de cet islam politique ?

La gauche doit s’affirmer en engageant les luttes sur les terrains où celles-ci trouvent leur place naturelle : la défense des intérêts économiques et sociaux des classes populaires, de la démocratie et de l’affirmation de la souveraineté nationale, conçues comme indissociables. Le Moyen-Orient est aujourd’hui central dans le conflit qui oppose le leader impérialiste, les États-Unis, et les peuples du monde entier. Mettre en déroute le projet de l’establishment de Washington constitue la condition pour donner à ces avancées en quelque région du monde que ce soit la possibilité de s’imposer.

* Samir Amin vient de publier « Pour la cinquième internationale » (éditions Le Temps des Cerises).