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ISRAEL - PALESTINE

L’hypothèse des « deux États » disparaît

Mardi 13 mai 2008, par Saree Makdisi

Depuis le drame de la mort de Yitzhak Rabin, Israël n’a jamais appliqué sincèrement les accords d’Oslo. Les manoeuvres dilatoires de Netanyahou, l’indécision et le manque de courage de Barak, l’intransigeance agressive de Sharon, les ont vidé chaque jour un peu plus de leur substance et éloigné la perspective de la paix. Mais plus encore, en contradiction flagrante avec les engagements pris, la poursuite et l’accélération de la politique de colonisation a constitué dans les faits un démenti aux discours sur la recherche de la paix. Ils sont de plus en plus nombreux aujourd’hui - de l’Ambassadeur de France Stéphane Hessel à l’intellectuel Palestinien Saree Makdisi à en tirer les conclusions et considérer que la solution des deux états est morte. Si c’est le cas, l’intransigeance à courte vue des sionistes radicaux les aura placé en face d’un problème bien plus redoutable. Entre la Méditerranée et le Jourdain, les Juifs seront bientôt en minorité.

La solution des deux États au conflit israélo-palestinien n’existe plus. Oubliez les discussions interminables pour savoir qui a offert quoi et qui a rejeté qui, ou si le processus de paix d’Oslo est mort lorsque Yasser Arafat a quitté la table de négociation ou si c’est la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade de la mosquée Al Aqsa de Jérusalem qui y a mis fin.

Ce qui compte vraiment, ce sont les faits sur le terrain, et le plus important, c’est qu’après quatre décennies d’intense colonisation juive de peuplement dans les territoires palestiniens occupés pendant la guerre de 1967, Israël a irréversiblement cimenté son emprise sur le terrain sur lequel un État palestinien aurait pu être créé.

Soixante ans après qu’Israël ait été créé et que la Palestine ait été détruite, nous en sommes revenus à notre point de départ : deux populations qui habitent sur une parcelle de terre. Et si cette terre ne peut être divisée, elle doit être partagée. Sur un pied d’égalité.

C’est une position, je m’en rends bien compte, qui peut surprendre de nombreux lecteurs. Après tant d’années passées à la recherche d’une solution à deux États, durant lesquelles le sentiment a pu naître parfois que le conflit avait presque été résolu, il est difficile de renoncer à cette idée et de la juger irréalisable.

Mais elle est devenue impraticable. Un rapport [1] publié l’été dernier par l’Office des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires a estimé que près de 40% de la Cisjordanie était désormais occupée par des infrastructures israéliennes - routes, colonies de peuplement, bases militaires et ainsi de suite - qui sont en grande partie interdites d’accès aux Palestiniens. Israël a méthodiquement morcelé le reste du territoire en dizaines d’enclaves séparées les unes des autres et du monde extérieur par les zones qu’il contrôle à lui seul (y compris, selon le dernier décompte effectué, 612 postes de contrôle et barrages routiers).

Selon ce rapport, la population des colons juifs dans les territoires occupés qui approche déjà le demi-million, non seulement continue de croître mais le fait à un taux trois fois plus élevé que le taux de croissance démographique en Israël. Si le rythme actuel se poursuit, la population des colons va doubler, atteignant près d’un million de personnes en seulement 12 ans. Parmi eux, beaucoup sont fortement armés et animés par une idéologie qui rend peu probable qu’ils se retirent volontairement de terres dont ils affirment qu’elles sont les leurs et leur ont été données par Dieu.

Ces faits à eux seul donnent à la question des progrès du processus de paix un caractère académique.

À aucun moment, depuis le début des négociations entreprises au début des années 1990, Israël n’a suspendu de manière significative le processus de colonisation dans les territoires palestiniens occupés, en violation flagrante du droit international. En Novembre dernier, avant le sommet d’Annapolis, Israël a annoncé de nouvelles expropriations de terres palestiniennes en Cisjordanie. Après ce sommet, il a été décidé de l’extension de la colonie de Har Homa, et de la construction de 307 habitations nouvelles. Depuis lors, d’autres plans similaires ont suivi, concernant des centaines de constructions dans les colonies.

Les Israéliens ne colonisent pas les territoires occupés parce qu’ils ne disposent pas de suffisamment d’espace en Israël même. Ils entreprennent cette colonisation en raison de la conviction déjà ancienne que les Juifs ont ce droit du simple fait qu’ils sont juifs. « La terre d’Israël appartient à la nation d’Israël et seulement à la nation d’Israël », affirme le Moledet, l’un des partis appartenant au groupe Union Nationale, qui occupe une place significative dans le Parlement israélien.

La position du Moledet n’est pas aussi éloignée de celle du Premier ministre Ehud Olmert que ce que prétendent certains Israéliens. Bien que M. Olmert ait déclaré qu’il soit adepte de la théorie selon laquelle Israël devra abandonner les zones de la Cisjordanie et de Gaza qui sont densément peuplées par des Palestiniens, il a également affirmé en 2006 que « chaque colline en Samarie et chaque vallée de Judée fait partie de notre patrie historique » et que « nous tenons fermement au droit historique du peuple d’Israël sur l’ensemble du territoire d’Israël. »

La Judée et la Samarie : Ces termes bibliques anciens sont encore utilisés par des responsables israéliens pour se référer à la Cisjordanie. Plus de 10 ans après l’ouverture du processus de paix d’Oslo qui était censé aboutir à une solution à deux États, les cartes dans les manuels scolaires israélien continuent de ne pas faire référence à la Cisjordanie, mais à la Judée et la Samarie - et non comme des territoires occupés, mais comme faisant partie intégrante d’Israël.

Quelle place est faite aux Palestiniens dans cette vision du droit des juifs sur la terre ? Aucune. Ils sont considérés, au mieux, comme un « problème » démographique.

Cette vision des Palestiniens en tant qu « problème » n’a rien de nouveau. Israël n’a pu être créé comme Etat juif en 1948 que par le déplacement forcé et prémédité de la grande partie possible de la population palestinienne autochtone, ce que les Palestiniens appellent la Nakba, ou catastrophe, qu’ils commémorent cette semaine.

L’État juif, estime l’historien israélien Benny Morris, « n’aurait pas vu le jour sans le déracinement de 700000 Palestiniens. ... Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population. » Pour Morris, il s’agissait d’une de ces « circonstances de l’histoire qui justifient le nettoyage ethnique. »

Considérer les Palestiniens comme un « problème » devant être écarté remonte à avant 1948. Cette conception a été présente à partir du moment où le mouvement sioniste a mis en place le projet de créer un Etat juif dans un pays qui en 1917 - lorsque l’empire britannique a officiellement approuvé le sionisme - avait une majorité écrasante population non juive. Edwin Montagu, le seul membre juif du gouvernement britannique de l’époque, s’était violemment opposé au projet sioniste, le considérant comme injuste. Henry King et Charles Crane, envoyés en mission d’enquête en Palestine par le Président Wilson, étaient du même avis : Un tel projet nécessiterait d’énormes violence, avaient-ils averti. « Les décisions qui exigent l’emploi de l’armée pour être menées à bien sont parfois nécessaires, mais elles ne peuvent sûrement pas êtres prises sans raisons et pour commettre une grave injustice. »

Mais elles le furent. Il s’agit d’un conflit motivé dès son origine par la conviction sioniste d’un droit exclusif à la terre. La violence palestinienne a-t-elle existée ? Oui. Etait-elle toujours justifiée ? Non, mais que feriez-vous si quelqu’un vous disait qu’il n’y avait pas de place pour vous sur votre propre terre, et que votre existence même est un « problème » ? Aucun peuple dans l’histoire n’a quitté sa terre simplement parce qu’un autre peuple la voulait. Les sentiments qu’ont pu connaître Crazy Horse et Sitting Bull sont aujourd’hui ceux des Palestiniens.

La violence ne prendra fin, et une paix juste ne régnera, que lorsque chaque partie se rendra compte que l’autre est là pour rester. De nombreux Palestiniens ont accepté ce principe, et un nombre croissant sont prêts à renoncer à l’idée d’un État palestinien indépendant et à adopter le concept d’un seul état démocratique, laïque et multiculturel, qu’ils partageraient à égalité avec les Juifs israéliens.

La plupart des Israéliens n’acceptent pas encore cette position. Certains, sans doute, sont réticents à renoncer à l’idée d’un « État juif », de reconnaître cette réalité qu’Israël n’a jamais été exclusivement juif et que, dès le début, l’idée de privilégier les membres d’un groupe sur tous les autres citoyens a été fondamentalement antidémocratique et injuste.

Pourtant, c’est exactement ce que fait Israël. Même parmi ses citoyens, la loi israélienne accorde aux juifs des droits quelle refuse aux non Juifs. Quelque soient les efforts d’imagination que l’on puisse faire, il n’est pas possible de considérer qu’Israël soit une démocratie authentique. C’est un état qui pratique une exclusive ethnique et religieuse, qui tente de défier l’histoire multiculturelle qui est celle de la terre sur laquelle il a été fondé.

Pour résoudre le conflit avec les Palestiniens, les Juifs israéliens devront renoncer à leurs privilèges exclusifs et reconnaître le droit au retour des Palestiniens expulsés de leurs foyers. En retour ils obtiendront la possibilité de vivre en sécurité et de prospérer avec les Palestiniens, plutôt que de continuer à lutter contre eux.

Ils pourraient ne pas avoir le choix. M. Olmert lui-même les a récemment mis en garde : de plus en plus de Palestiniens transforment leur lutte en faveur d’un Etat indépendant en une lutte semblable à celle qui avait eu lieu en Afrique du Sud, exigeant l’égalité des droits pour tous les citoyens, sans distinction de religion, dans un seul État. « C’est évidemment une lutte beaucoup plus claire, beaucoup plus populaire - et, à terme, beaucoup plus puissante. »

Je suis on ne peut plus d’accord.

Saree Makdisi enseigne l’anglais et la littérature comparée à UCLA. Il est l’auteur de « Palestine Inside Out : An Everyday Occupation, » à paraître ce mois chez WW Norton.


Publication originale Los Angeles Times, traduction Contre Info


[1] The Humanitarian Impact on Palestinians of Israeli Settlements and Other Infrastructure in the West Bank | July 2007 (pdf, 22 Mo)