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L’enjeu iranien

Lundi 17 avril 2006, par Seymour M. HERSH

L’administration Bush tout en continuant ses activités diplomatiques pour empêcher l’Iran d’acquérir des armes nucléaires est en train d’accélérer ses préparatifs militaires à l’intérieur de l’Iran et de planifier une vaste campagne de bombardements aériens. Des sources multiples au sein des services d’information et de l’armée affirment que des groupes de travail des Forces aériennes sont en train de compiler des listes de cibles potentielles.Des commandos sont actifs en Iran même pour identifier ces cibles et pour établir des contacts avec des groupes anti-gouvernementaux agissant au sein des minorités ethniques de l’Iran. Ces sources affirment que le Président Bush est déterminé à empêcher le régime iranien de commencer un programme pilote d’enrichissement d’uranium, prévu pour ce printemps.

Il y a un consensus au sein des agences de sécurités américaines et européennes, de même que l’Agence internationale de l’énergie atomique, à l’effet que l’Iran veut développer des armes nucléaires. Mais des différences d’opinions persistent sur le temps que cela prendra à l’Iran pour atteindre son but. Ces différences existent aussi sur l’efficacité des sanctions diplomatiques ou militaires. L’Iran pour sa part insiste que ces recherches ont uniquement pour but de développer les capacités nucléaires dans le domaine civil, et en conformité avec le Traité de non-prolifération nucléaire. En conséquence affirme Téhéran, il n’y aurai ni délai ni arrêt des travaux.

Changer de régime

Plusieurs responsables militaires aux Etats-Unis et dans la communauté internationale estiment que le but du Président Bush dans cette confrontation avec l’Iran est d’imposer un changement de régime. Le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad, a questionné la réalité de l’holocauste. Il a affirmé qu’Israël devait être rayé de la carte. Bush et d’autres dans la Maison-Blanche le perçoivent comme un potentiel Adolf Hitler. Un ex-responsable des agences de sécurité dit que « c’est le nom qu’on emploie. L’Iran avec des armes stratégiques pourrait déclencher une guerre mondiale, dans leurs pensées ». Selon un consultant du gouvernement très proche du leadership civil du Pentagone, « Bush est convaincu que l’Iran va acquérir l’arme nucléaire à moins qu’on les empêche ». Il affirme que le Président croit qu’il doit agir car aucun démocrate ou républicain élu dans l’avenir aurait le courage de le faire et que « sauver l’Iran sera son héritage ».

Selon un ex-responsable de la défense qui travaille sur les questions sensibles pour l’administration Bush, la planification d’actions militaires est basée sur la croyance qu’une « campagne de bombardements va humilier le leadership religieux de l’Iran et encouragera la population à se lever et à renverser le gouvernement ». « J’étais choqué quand j’ai entendu cela et je me suis demandé, qu’est-ce qu’ils ont fumé ? », ajoute-t-il.

Ce n’est pas comme planifier l’invasion du Québec

L’argument pour le changement de régime a été mis de l’avant en mars par Patrick Clawson, un expert sur l’Iran présentement directeur adjoint de la recherche au Washington Institute for Near East Policy et qui est depuis longtemps un supporteur du président Bush. « Aussi longtemps que l’Iran va demeurer une république islamique, elle va garder un programme d’armements nucléaires, au moins clandestinement » a affirmé Clawson devant le comité des relations extérieures du Sénat le 2 mars dernier. « La question clé a-t-il demandé est combien de temps ce régime va continuer ? » Lors d’une conversation avec Clawson, il m’a dit que « l’administration mettait beaucoup d’efforts dans la diplomatie ». Cependant estime-t-il, l’Iran n’a d,autre choix que d’accepter les demandes américaines ou faire face à des attaques militaires. Selon Clawson, « il faut craindre qu’Ahmadinejad ne voie l’Occident comme des pleutres et que nous finirons par accepter le fait. Nous devons être prêts à faire face à l’Iran si la crise s’aggrave ». Clawson affirme qu’il préférerait agir par le moyen de sabotage ou d’activités clandestines comme des « accidents industriels », mais il pense qu’il est prudent de préparer une guerre de grande envergure, « compte tenu de ce que font les Iraniens. Ce n’est pas comme de planifier l’invasion du Québec ».

Les vrais enjeux

Selon un planificateur militaire, les critiques de la Maison-Blanche contre l’Iran et l’accélération des activités clandestines constituent une campagne de pression orchestrée. Nous devons être prêts de foncer, et nous verrons comment ils vont répondre ». « Il faut réellement menacer Ahmadinejad pour espérer qu’il recule. On a pensé que Bush était concentré sur Saddam Hussein après le 11 septembre, mais en réalité, la priorité a été l’Iran ». (Dans une réponse écrite à mes questions, la Maison-Blanche a préféré ne pas commenter les plans militaires : « Le Président a affirmé que les Etats-Unis continuaient d’agir au niveau diplomatique ». Même réponse du côté du Ministère de la défense. La CIA affirme qu’il y a des erreurs dans mon reportage, mais sans préciser lesquelles ».) Selon un diplomate en poste à Vienne, « la question dépasse de loin le dossier nucléaire. Celui-ci est seulement un point de consensus qu’il est encore temps de modifier. Mais l’administration Bush pense que cela ne peut être changé sans contrôler les cœurs et les esprits en Iran. La vraie question est qui va contrôler le Moyen-Orient et les réserves de pétrole pour les prochains dix ans. »

Selon un consultant du Pentagone sur la guerre contre le terrorisme, « La Maison-Blanche pense que la seule solution est de changer la structure du pouvoir en Iran et cela signifie la guerre ». « Mais cela provoque l’Iran de croire que la seule façon de défendre le pays est justement d’acquérir des capacités nucléaires ». Un conflit militaire dans la région aurait pour effet d’accentuer le risque de terrorisme : « Hezbollah va entrer en scène. Et peut-être Al-Qaida ». Hezbollah est considéré comme le groupe terroriste le mieux organisé dans le monde. Il est maintenant un parti politique officiel au Liban et garde des liens très forts avec l’Iran.

Consultations

Depuis quelques semaines, le Président consulte discrètement un nombre restreint de sénateurs et de membres du Congrès incluant au moins un Démocrate. Il semble qu’aucune des personnes consultés ne s’objecte à la guerre. Selon une source dans le congrès, « ce sont les mêmes personnes qui ont appuyé l’action contre l’Irak. Les seules questions posées à Bush sont sur les capacités réelles de l’armée américaine de détruire tous les sites compte tenu du fait que les installations iraniennes sont dispersées et souvent sous la terre. Les opposants à la guerre sont silencieux dans le Congrès. On entend seulement ceux qui sont en faveur. Le Président Bush a une vision messianique de la situation ».

Les opérations pour intimider l’Iran ont commencé. Des avions tactiques de la Marine opèrent à partir des navires localisés dans le Golfe. Des vols simulant des attaques nucléaires ont été réalisées, de façon à être visibles sur les radars iraniens. Le mois passé, le colonel Sam Gardiner, un analyste militaire qui a enseigné au Collège national de l’aviation en 1987, a expliqué lors d’une conférence sur la sécurité du Moyen-Orient à Berlin qu’une attaque pour détruire les capacités nucléaires de l’Iran devraient affecter au moins 400 cibles : « Il est probable que les planificateurs militaires américaines ne voudraient pas s’arrêter seulement à ces cibles. L’Iran a probablement deux usines de production d’armes chimiques qu’il faudrait aussi détruire. Il faudrait aussi frapper les missiles de moyenne portée qui ont été récemment déployés près de l’Irak. Il y a 14 aéroports militaires. Il faudra aussi s’occuper des capacités militaires qui peuvent menacer la circulation dans le Golfe, donc les missiles et les sous-marins iraniens. Cela ne sera pas facile de tout détruire seulement avec des bombardements, il faudra donc déployer des forces spéciales sur le terrain ».

Attaque nucléaire

L’un des plans proposés à la Maison blanche par le Pentagone l’hiver dernier impliquait l’utilisation d’armes nucléaires, les armes tactiques dites « bunker busters » B61-11, pour détruire les sites souterrains notamment. Une cible est l’usine centrifuge de Natanz, à deux cents kilomètres au sud de Téhéran, qui n’est plus sous la protection de l’Agence atomique. On rapporte que cette installation a l’espace pour abriter 50 000 centrifugeurs et des laboratoires à plus de 75 mètres sous la surface, ce qui serait suffisant en principe pour produire l’uranium enrichi nécessaire à la fabrication de 20 armes nucléaires par année. (L’Iran a admis qu’elle avait gardé secret ce programme, mais prétend qu’aucune activité en cours ne contredit les termes du Traité de non-prolifération). La destruction de Natanz serait un coup dur pour les ambitions nucléaires de l’Iran, mais celle-ci requiert des armes non-conventionnelles pour pénétrer 75 mètres de terre et de roche probablement renforcés de béton.

À la fin de la guerre froide au début des années 1990, les agences de sécurité américaine avaient repéré un projet soviétique en banlieue de Moscou. Cette installation souterraine était pour permettre au gouvernement soviétique de fonctionner politiquement et militairement en cas d’attaque nucléaire. (Des installations similaires existent en Virginie et en Pennsylvanie pour protéger le leadership américain). Le site existe encore en Russie mais ce que les Etats-Unis savent à ce propos est secret, même s’il est connu que seules des armes nucléaires pourraient détruire une telle installation. Selon un ex-responsable d’une agence de sécurité américaine, « on pense que les Russes ont aidé les Iraniens à construire leurs propres installations ». Un responsable du Ministère de la défense m’a affirmé qu’un bombardement aérien permettrait de faire assez de dommages et de ralentir l’infrastructure nucléaire de l’Iran : « les Iraniens n’ont pas d’amis. Nous pouvons leur dire que nous sommes en mesure de détruire leurs infrastructures. Même si nous ne parvenons pas à détruire toutes leurs défenses aériennes, nos bombardiers furtifs et nos missiles vont faire l’essentiel du travail. Nous pouvons agir aussi sur le terrain, mais cela est dangereux ». Cependant, d’autres sources qui sont familières avec le design soviétique sont plus sceptiques : « il faut détruire ce qui est souterrain, identifier les ventilateurs réels des faux, savoir ce qui alimente la circulation d’air et ce qui est fait pour les générateurs diesels. Il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas ». En conclusion estime-t-on, la seule option « réaliste » est d’utiliser des armes nucléaires tactiques qui vont tout détruire. « Une action décisive, dure. Mais nous l’avons fait au Japon », affirme cet ex-consultant. « Il faut tenir compte des impacts, du nuage nucléaire, des radiations, des milliers de victimes potentielles, de la contamination sur plusieurs années. Cela ne serait pas un test nucléaire souterrain qui soulève un peu la terre. Lorsqu, on questionne les illusions proférées par certains politiciens, ils ne veulent rien entendre ».

Remous au sein de l’armée

L’option nucléaire crée des remous au quartier général. Des officiers envisagent de prendre leur retraite, affirme-t-on. L’hiver passé, les généraux ont voulu enlever cette option nucléaire du plan de match contre l’Iran, mais la Maison-Blanche a refusé en disant, « c’est vous qui l’avez proposé en premier ! » Le conseiller spécial du Pentagone estime que certains au sein de l’administration Bush considèrent sérieusement cette option, qui est liée au regain d’intérêt pour les armes nucléaires tactiques au sein des cercles civils et poïétiques du Pentagone. « Un nœud qui doit être brisé » affirme-t-il. Certains officiers supérieurs pensent encore démissionner sur ce sujet. « Il y a des sentiments très forts contre l’utilisation de la menace nucléaire conter d’autres pays ». Les généraux du joint Chief of staff envisagent de remettre des recommandations formelles au Président Bush pour dire qu’ils s’opposent fortement à l’option nucléaire pour l’Iran ». « Le débat continue sur tout cela. Et si des officiers seniors du Pentagone se disent concernés, on peut penser que cela ne se produira pas ». Un avis que ne partage pas le Comité scientifique de la défense, dont les membres sont sélectionnés par le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld. « Ils disent qu’on peut utiliser le B61 avec plus d’impact et moins de radiation ». Le président de ce comité, William Schneider, Jr., était sous secrétaire d’État sous l’administration Reagan. En janvier 2001, il servait sur un panel d’expert sur les forces nucléaires sponsor par l’Institut national de politique publique, un think-tank conservateur.Ce panel a recommandé que les armes nucléaires tactiques soient considérées comme une partie essentielle de l’arsenal américain. Il notait aussi leur « efficacité dans certains occasions où il faut détruire des cibles hautement prioritaires que ne peuvent atteindre des armes conventionnelles ». Plusieurs des signataires de ce rapport travaillent maintenant pour l’administration Bush, dont le conseiller sur la sécurité nationale, Stephen Hadley, le sous-secrétaire de la défense pour la sécurité, Stephen Cambone et Robert Joseph, le sous-secrétaire d’État pour le contrôle des armements et la sécurité internationale.

Risques non calculés

Selon le conseilleur du Pentagone, la valeur des frappes aériennes est questionnée : « les Iraniens ont éparpillé leurs activités nucléaires et nous ne savons pas où sont certains éléments qui pourraient être un peu partout dans le pays » ». Il avertit que le bombardement de l’Iran pourrait soulever des réactions en chaîne sous la forme d’attaques contre des installations et des citoyens des Etats-Unis à travers le monde. « Il y a un 1,2 milliard de Musulmans dans le monde. Que vont-ils penser quand nous attaquerons l’Iran ? ». Avec et sous l’option nucléaire, la liste des cibles pourrait s’allonger. Un responsable de l’administration Bush récemment retraité qui est également un expert en planification militaire me confie qu’il est totalement contre une attaque aérienne contre l’Iran, « parce que l’Iran est une cible beaucoup plus difficile que l’Irak. Si nous allons bombarder leurs armes nucléaires, nous devons augmenter le mensonge. Peut-être frapper certains camps d’entraînement et nettoyer d’autres problèmes ». Selon le conseilleur du Pentagone, l’aviation pourrait bombarder des centaines de cibles iraniennes, « dont 99% qui n’ont rien è faire avec la prolifération nucléaire. C’est ce que certains pensent qu’il faut faire, que l’administration atteindre ses buts en Iran par une campagne de bombardement ». L’idée est bien sûr appuyée par les néoconservateurs. Si l’ordre est donné pour préparer l’attaque, les troupes américaines opérant en Iran seront en position pour identifier les cibles avec des rayons lasers, pour garantir la précision des bombardements et minimiser les victimes civiles.

« Nos hommes sur le terrain »

Durant l’hiver dernier, un consultant qui travaille en proximité avec les civils du Pentagone m’a confié que des unités américaines travaillaient étroitement avec des Azéris dans le nord du pays, des Baloutchis dans le sud-est et avec des Kurdes dans le nord-est. « Nos troupes étudient le terrain, distribuent de l’argent aux tribus et recrutent des combattants dans les tribus locales ». « Il faut avoir nos yeux sur le terrain, en citant Othello, « donnez- moi la preuve oculaire ». Le but plus général est aussi de susciter des tensions ethniques et d’affaiblir le régime ». Cette mission fait partie de l’intérêt de Donald Rumsfeld pour l’élargissement des missions militaires clandestines, qui fait partie maintenant de la politique officielle du Pentagone en fonction de la revue annuelle quadriennale publiée en février dernier. Lorsque de telles activités sont organisées par la CIA, elles requièrent un imprimatur présidentiel et doivent être rapportées à certains membres clés du Congrès. Selon l’ex-responsable de la sécurité, « la protection par la force est devenue le mot clé ». Les activités clandestines selon le Pentagone doivent préparer les combats et protéger les troupes. Ce sont des opérations militaires et non des opérations de sécurité et par conséquent, elles ne sont pas soumises à la supervision du Congrès ». « Les généraux savent qu’il y a beaucoup d’inconnues dans le dossier iranien et ils veulent en savoir plus que l’Irak. Ils pensent qu’ils ont le feu vert pour faire ce qu’ils veulent ».

Ahmadinejad ciblé

Le Président américain se méfie terriblement du nouveau Président iranien. Ce qui a été renforcé sur les allégations à l’effet qu’Ahmadinejad qui était un membre des brigades spéciales des Gardiens de la révolution en 1986 aurait pu être impliqué dans des activités terroristes dans les années 1980. (Il y a des trous dans la biographie d’Ahmadinejad dans cette période). On le dit lié à Imad Mughniyeh, un terroriste impliqué dans les attentats contre l’Ambassade américaine et les installations des Marines américains à Beyrouth en 1983. Mughniyeh était alors le chef de la sécurité d’Hezbollah et demeure sur la liste des terroristes les plus recherchés par le FBI. Selon Robert Baer, qui était un officier de la CIA au Moyen-Orient à l’époque, Ahmadinejad et ses collègues des Gardiens sont capables de fabriquer la bombe et de la lancer contre Israël. « Ce sont des Chi’ites apocalyptiques. Si vous demeurez à Tel-Aviv et vous croyez qu’ils ont des armes nucléaires, vous devez les éliminer. Ce sont des fous et il ne faut pas reculer ».

Le débat interiranien

Sous Ahmadinejad, le rôle des Gardiens révolutionnaires a été accru à travers la bureaucratie iranienne. En janvier, ils ont remplacé des milliers de fonctionnaires. Un ex-responsable de l’ONU qui a beaucoup de contacts en Iran appréhende ce changement : « plusieurs professionnels au sein du ministère des affaires extérieures ont été écartés et d’autres le seront prochainement. Il est peut-être trop tard. Les personnes en place pensent qu’ils sont plus forts que jamais depuis le début de la révolution. Face à l’émergence de la Chine, leur attitude est de se foutre de l’Occident. Les Occidentaux peuvent faire ce qu,ils veulent », affirme-t-on à Téhéran ». Selon la plupart des observateurs, le pouvoir réel apparient à l’Ayatollah Khamenei, le chef religieux suprême. Selon un diplomate européen, « Ahmadinejad n’a pas le pouvoir. En fait le pouvoir est diffus en Iran. Les gardiens de la révolution appuient fortement le programme nucléaire, mais ils ne sont pas responsables. Le leader suprême a le dernier mot et les Gardiens ne bougeront pas sans son approbation ».

Le conseiller du Pentagone dans la guerre au terrorisme affirme qu’il est « impensable de laisser l’Iran développer ses armes nucléaires. Nous ne pouvons pas laisser ces armes glisser dans les mains de terroristes, c’est trop dangereux ». Le seul débat est sur le moyen d’arrêter cela. Il est encore possible, selon ce conseiller, que l’Iran va renoncer unilatéralement à son programme nucléaire et empêcher l’action américaine. « Peut-être que Dieu nous sourit, mais je ne pense pas que cela soit le cas. L’Iran ne peut pas devenir une puissance nucléaire. Le problème est que L’Iran sait que la seule façon de se défendre contre les Etats-Unis est justement de devenir une puissance nucléaire. Quelque chose de mauvais doit donc se passer prochainement ».

L’Iran est-elle prête ou non ?

Personne ne doute des ambitions nucléaires de l’Iran. Mais la question est sur le timing. Quand l’Iran disposera-t-elle d’armes nucléaires et que faut-il faire pour empêcher cela ?Robert Gallucci, qui a été un expert du gouvernement sur la non-prolifération et qui est maintenant le doyen de l’école du service extérieur de l’université de Georgetown, affirme que « l’Iran pourrait développer des armes d’ici 8-10 ans. S’ils ont un tel programme et si nous ne pouvons pas l’arrêter par la négociation, la diplomatie ou les sanctions, je serais en faveur de détruire ses capacités. Mais si les Etats-Unis bombardent l’Iran sans prouver qu’elle a effectivement un programme secret, ils seront dans l’eau chaude ». Meir Dagan qui dirige la MOSSAD, l,agence de sécurité israélienne, a affirmé à la Knesset en décembre dont « l’Iran pourrait compléter ses projets d’ici un ou deux ans. À partir du moment où ils ont l’uranium enrichi, la fabrication d’armes nucléaires est une question purement technique ». Selon un responsable de la MOSSAD à qui j’ai parlé, « il y en en Iran deux programmes nucléaires parallèles, le programme officiel que connaît l’Agence internationale de l’énergie atomique, et une opération spéciale dirigée par des militaires et des Gardiens de la révolution. Mais à date, Israël n’a pas été en mesure de prouver cette affirmation. Selon Richard Armitage qui était sous secrétaire d’état durant le premier mandat du Président Bush, « l’Iran a un programme nucléaire secret. Je le crois mais je ne le connais pas ».

La connexion pakistanaise

Durant la période récente, le gouvernement pakistanais a donné accès aux Américains à A. Q. Khan, le soi disant père de la bombe nucléaire du Pakistan. Il est présentement en résidence surveillée à Islamabad et accusé d’avoir mis en place un marché noir de matériaux nucléaires. Il a fait au moins une visite clandestine à Téhéran dans les années 1980. Lors de ses interrogatoires, il a admis avoir transmis des informations à l’Iran sur le design d’armes nucléaires. Selon l’ex-responsable de l’agence de sécurité, »tout cela sent le danger. (Khan aurait livré beaucoup d’informations aux enquêteurs américains). Mais Khan a des problèmes de crédibilité. Il dit aux néoconservateurs ce qu’ils veulent entendre » ou ce qui peut être utile au Président pakistanais Pervez Musharraf, qui subit la pression des Etats-Unis pour les aider dans leur guerre au terrorisme. « Je pense que Khan est en train de nous arnaquer. Mais des clignotants commencent à allumer. Il nous donne de l’information sur le calendrier, et ce sont des informations qui sont corroborées par d’autres sources.La CIA, qui s’est brûlée sur la question des armes de destruction massives en Irak affirme que l’information est nouvelle et valide. Les responsables de l’administration disent, nous en savons assez ».

Déjà vu

La charge menée par l’administration contre l’Iran est affaiblie par l’histoire des armes de destruction massives de l’Irak. Dans un essai publié récent par la revue Foreign Policy ("Fool Me Twice"), Joseph Cirincione, le directeur du programme de non-prolifération au Carnegie Endowment for International Peace écrit que la stratégie de l’administration semble un effort pour répéter la campagne réussie pour justifier la guerre en Irak : « On voit le vice-président des Etats-Unis parler contre les menaces sérieuses qui viennent d’une nation riche de pétrole au Moyen-Orient. Le secrétaire d’État affirme au Congrès que cette nation est notre plus sérieuse menace. Le secrétaire à la défense qualifie l’Iran d’appuyeur principal du terrorisme mondial ». Selon Cirincione, les affirmations de l’administration sur l’Iran sont questionnables et manquent de preuve. « Qu’est ce que nous savons réellement ? Quelle est la nature de la menace ? est-ce urgent ? La réponse en fait est avec les agences de sécurité. En août, le Washington Post a publié des extraits du rapport des agences de sécurité qui affirmaient que l’Iran ne serait pas une puissance nucléaire avant dix ans ».

L’an passé, l’administration Bush a informé l’AIEA que le programme d’armements iranien était connu puisque l’on avait retrouvé l’information sur un ordinateur portable iranien. Les informations contenaient plus de 1000 pages de dessins techniques de systèmes d’armements. Selon le Washington Post, il y avait aussi de l’information sur de petites installations utilisées pour le processus d’enrichissement de l’uranium. Ce fameux portable iranien est réapparu plus tard dans le Times. On prenait soin de dire que les informations auraient pu être fabriquées, mais les articles citaient des responsables du Département d’état qui les considéraient légitimes. Le titre de L’article du Times disant, « Selon un ordinateur, les Etats-Unis sont en mesure de prouver les objectifs militaires iraniens ». Mais selon les informations que m’ont livrées des responsables d’agences de sécurité américaines et européennes, l’ordinateur en question est suspect et révèle beaucoup moins que ce qu’on a dit. Le propriétaire de l’appareil est un Iranien recruté par des agents de sécurité allemands et américains. Les Américains se seraient lassés de lui, mais les Allemands ont continué, mais plus tard, l’Iranien en question a été capturé par des agents de sécurité iraniens. On ne sait pas où il se trouve aujourd’hui. Certains membres de sa famille ont été en mesure de quitter l’Iran avec l’ordinateur et l’ont rendu à une ambassade américaine quelque part en Europe. Des européens se disent sceptiques sur la qualité de l’information obtenue. « Les dessins ne sont pas méticuleux et semblent des esquisses. Ce n’est pas convaincant », selon un responsable européen.

Débats à Vienne

À Vienne, les responsables de l’AIEA sont convaincus que l’Iran veut produire des armes nucléaires, mais « personne ne sait si un programme parallèle de fabrication de ces armes existe réellement ». On pense que l’Iran pourrait être à cinq ans de produire la bombe. « Mais si les Etats-Unis attaquent l’Iran, la question deviendra une question de fierté nationale. « Le calcul de risques par les Américains sur les intentions iraniennes est en jeu. Ils n’ont pas confiance dans le présent régime et l’Iran est une menace contre la politique américaine ». Récemment, une rencontre difficile est survenue entre Mohamed ElBaradei, le directeur général de l’AIEA (et Prix Nobel de la paix en 2005) et Robert Joseph, le sous-secrétaire d’État pour le contrôle des armes. Le message de Josept était brutal, selon une source diplomatique européenne : « il n’est pas question d’accepter une seule centrifugeuse en Iran. Ce pays est une menace directe contre la sécurité nationale des Etats-Unis et de nos alliés et nous ne tolérerons pas cela. Nous voulons que l’Agence nous garantisse qu’elle ne se prononcera pas contre nous publiquement ». « Le ton était inadéquat, selon le diplomate, car l’Agence avait déjà affirmé vouloir adopter une position ferme face à l’Iran. Les inspecteurs sont fâchés d’avoir été induits en erreur par les Iraniens. Plusieurs estiment que le leadership iranien est délirant. Les leaders iraniens veulent la confrontation tout comme les néoconservateurs aux Etats-Unis. Au bout du compte, il y aura une solution si et seulement si les Etats-Unis veulent parler aux Iraniens ».

L’Europe interpellée

La question des projets iraniens d’enrichissement de l’uranium est maintenant devant les Nations Unies, avec la Chine et la Russie qui restent réticentes à imposer des sanctions contre Téhéran. Un responsable plutôt découragé de l’AIEA m’a dit en mars que « les Iraniens ne peuvent plus rien faire car la diplomatie américaine ne leur donne aucune marge. Même si l’Iran annonçait stopper le processus d’enrichissement, personne ne les croirait. C’est une impasse ». Selon un diplomate posté à Vienne, « pourquoi l’occident prendrait le risque d’une guerre sans donner à l’AIEA le temps de vérifier ? Nous ne coûtons pas cher, et nous pouvons organiser un programme qui forcera l’Iran à mettre les cartes sur la table ». Un autre ambassadeur occidental à l’AIEA avertit que « si on ne donne pas la chance à l’Agence de faire son travail, la seule solution est de bombarder ». Mais la réputation de l’AIEA est plutôt basse au sein de l’administration Bush et certains de ses alliés européens. « Nous sommes frustrés avec le directeur général actuel » affirme un diplomate européen. « Son approche est de régler la dispute entre deux forces égales, ce qui n’est pas la situation. ElBaradei défend l’idée que l’Iran devrait avoir un petit programme d’enrichissement de l’uranium. « C’est inacceptable, nous devons bloquer tout risque de prolifération ». Les Européens sont toutefois interloqués par la perception croissance que le Président Bush et le vice-président Dick Cheney croient qu’une campagne de bombardement est nécessaire et que le but réel est le changement de régime. « Tout le monde pense la même chose sur la bombe iranienne, mais les Etats-Unis veulent un changement de régime, affirme un conseiller diplomatique européen. « Les Européens ont un rôle seulement s’ils n’ont pas à choisir entre s’allier à la Chine et la Russie ou s’ils doivent appuyer Washington sur ce qu’ils ne veulent pas. Leur politique est de forcer les Etats-unis è maintenir leur engagement avec quelque chose qui peut faire l’affaire des Européens. Cela ne peut pas continuer indéfiniment ». Selon Flint Everett, un ex-conseiller du Conseil de la sécurité nationale et maintenant chercheur avec le Saba Centre du Brooklyn Institution, « même les Britanniques pensent que c’est une mauvaise idée ».Les diplomates européens affirment que l’Europe qui connaît les plans de préparation de la guerre des Etats-Unis sera très réticente à appuyer Washington. « C’est une erreur de confronter l’Iran sans offrir aucun compromis ». On se doute bien que l’Iran cache des informations, mais « ce que nous pensons est que les capacités iraniennes ne sont au point où il est question de produire de l’uranium enrichi en quantité ». On estime aussi que le régime iranien est pragmatique : « le régime agit pour ses propres intérêts. Ils adoptent un ton ferme sur la question nucléaire et demandent aux Américains d’aller jusqu’au bout de leur bluff en pensant que les Occidentaux vont céder à la fin. Ils semblent super confiants mais il se pourrait qu’à la fin, ce soient les Iraniens qui cèdent ». « Nous devons nous opposer à une conduite inacceptable et il n’est pas approprié d’offrir des concessions à ce moment-ci. Nous devons faire en sorte que les coûts augmentent pour forcer le régime à revenir au bon sens. Si nous sommes unis dans notre opposition et dans le prix que nous entendons imposer à l’Iran, le régime va reculer. Il est trop tôt pour discarter le rôle de l’ONU ». « Et même si le processus diplomatique échoue, l’option militaire n’est pas jouable. Elle pourrait être mise en œuvre, mais l’impact serait une catastrophe ».

Le Premier ministre britannique Tony Blair a été jusqu’à date l’allié inébranlable des Etats-Unis. Mais son parti et lui0même sont présentement affaiblis par une série de scandales financiers et sa popularité se trouve à son point le plus bas.Le Secrétaire d’État Jack Straw a affirmé l’an passé qu’une action militaire contre l’Iran était « inconcevable ».Blair, plus prudent, dit qu’il ne faut pas évacuer aucune option. D’autres responsables européens affirment leur scepticisme sur une éventuelle campagne de bombardements américains. « L’économie iranienne est en mauvais état et Ahmadinejad est faible politiquement, affirme un responsable d’une agence de sécurité européenne. « Il profitera d’une attaque américaine. On peut le faire mais les résultats seront pires que ce que nous avons maintenant. Une attaque américaine aliénerait les citoyens iraniens, même ceux qui sont sympathiques aux Etats-Unis. L’Iran ne vit pas dans le passé et les jeunes sont accès aux films et aux livres amé.ricains et ils aiment cela.S’il y avait une offensive de charme avec l’Iran, les mollahs seraient dans l’eau chaude à long terme ». « Les personnes en charge à Washington restent les mêmes. Ils ne croient pas en la diplomatie et leurs échéanciers sont serrés ».

Des enjeux multiples

Israël est un important allié dans le débat actuel. Depuis longtemps, le leadership israélien affirme que l’Iran a amorcé un programme d’enrichissement de l’uranium.Plusieurs responsables américains m’ont affirmé que le processus de préparation militaire actuel résulte de l’intérêt de la Maison-Blanche de prévenir une attaque contre Israël dont els conséquences pourraient être immenses dans la région. Le 20 mars dernier à Cleveland, le Président Bush a décrit l’hostilité d’Ahmadinejad contre Israël comme « une sérieuse menace contre la paix dans le monde. « Laissez- moi être clair a-t-il répété, nous utiliserons la force militaire pour protéger notre allié israélien ». Selon Richard Armitage, « il faut considérer plusieurs questions. Qu’est ce qui va arriver dans les autres pays islamiques ? Quelle est la capacité de l’Iran de nous frapper globalement à travers le terrorisme ? Est-ce que la Syrie et le Liban vont faire pression contre Israël ? Qu’est ce qu’une attaque ferait pour diminuer notre prestige international déjà déclinant ? Quelles seront les réactions de la Russie, de la Chine et de l’ONU ? »

L’enjeu pétrolier

L’Iran produit maintenant quatre millions de barils par jour. Elle pourrait bloquer cette production ou encore empêcher le trafic dans le détroit d’Hormuz, le passage obligé des pétroliers long de 50 kilomètres dans le Golfe. Selon un ex-responsable des forces navales américaines cependant, les Etats-Unis pourraient maintenir le trafic des pétroliers. Le consultant du pentagone pense aussi que le problème du pétrole pourrait être géré, notamment avec les réserves stratégiques des Etats-Unis qui sont suffisantes pour 60 jours.Les patrons des entreprises pétrolières à qui jai parlés ne sont pas aussi optimistes. Ils estiment que le prix du pétrole pourrait connaître une forte hausse, jusqu’à cent dollars le baril et même plus, dépendamment de la durée et de l’ampleur du conflit.Michel Samaha qui a été ministre au Liban et qui provient des cercles politiques chrétiens, pense qu’une riposte iranienne pourrait viser les installations pétrolières et gazières d’Arabie saoudite, du Qatar, du Koweït et des Émirats. Cela serait le début de la vraie Jihad contre l’Occident et un chaos total ».

Un conflit aux répercussions immenses

Avec l’aide d’Hezbollah, l’Iran pourrait accentuer les attaques terroristes en Irak et ailleurs. Le 2 avril, le Washington Post a rapporté que de telles menaces étaient prises au sérieux par les agences de sécurité américaines. « Le meilleur réseau terroriste au monde est présentement au neutre. S’ils changeaient d’attitude dans le cas d’une guerre contre l’Iran, nous ferions face à un groupe qui a expulsé Israël du sud du Liban. Hezbollah ne restera pas neutre si nous attaquons l’Iran. À moins que les Israéliens ne les éliminent, ils se mobiliseront contre nous » (ce consultant m’a déclaré Israël et le gouvernement libanais étaient en mesure d’éliminer Hezbollah s’ils attaquaient Israël). « Si nous attaquons, la partie sud de l’Irak va s’embraser.Les forces américaines et britanniques feraient face à de graves dangers des troupes iraniennes ou des milices chi’ites qui agissent selon les instruction de l’Iran (L’Iran qui est majoritairement chi’ite garde des liens étroits avec les partis chi’ites en Irak).Un général à la retraite m’a déclaré que, en dépit des 8000 soldats britanniques dans le sud de l’Irak, « les Iraniens pourraient prendre Basra n’importe quand ». « Si les Etats-Unis attaquent » affirme un diplomate européen à Vienne, « Ahmadinejad deviendra le nouveau Saddam du monde arabe, mais avec plus de crédibilité et plus de pouvoir. Il faut rester patients et s’asseoir avec les Iraniens ». « Malheureusement, il y aurait des gens mécontents à Washington si nous trouvons une solution. Ils espèrent capitaliser sur l’isolement et le changement de régime. Mais c’est une illusion (wishful thinking). La fenêtre d’opportunités est encore ouverte ».


Traduit de l’original publié dans le New Yorker , 17 avril 2006