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BRÉSIL

L’enjeu des élections

Lundi 29 septembre 2008

Début octobre se tiendront au Brésil des élections municipales. Le sociologue Ricardo Antunes, professeur à Unicamp, s’est entretenu à ce propos avec l’hebdomadaire « Correio da Cidadania » le 21 septembre 2008. L’entretien a été conduit par Gabriel Brito et Valéria Nader.

Comment appréhendez-vous la situation actuelle de la ville et de l’Etat de São Paulo ? Quels sont les problèmes et les questions les plus urgents ?

Ricardo Antunes : La ville et l’Etat de São Paulo représentent une photographie précise des contradictions du Brésil, une partie de l’histoire du récent développement urbain et capitaliste du pays avec toutes ses plaies et séquelles actuelles. Voilà ce qu’est la ville de São Paulo caractérisée par ses poches sans cesse plus grandes d’une population précarisée vivant dans l’informalité, le chômage et le sous-emploi. La négligence de la gestion publique à São Paulo est complète, avec l’abandon total de la santé, de la prévoyance sociale et de l’éducation publique et cela jusqu’aux domaines de la vie touchant aux loisirs, au sport, aux expressions artistiques, choses qui sont considérées comme ne concernant en aucune mesure ces couches populaires.

São Paulo est une photographie de la tragédie du capitalisme brésilien, de notre insertion subalterne et destructive dans l’économie mondialisée qui pénalise fondamentalement les masses laborieuses et les couches les plus paupérisées de la population.

La ville, par conséquent, est le portrait du capitalisme dominant aujourd’hui. Dans ses sommets, le monde financiarisé, brutalement enrichi et qui connaît actuellement une crise structurelle profonde. Dans ses tréfonds se trouvent les classes laborieuses durement paupérisées et vulnérables au sein desquelles, disons-le ainsi, se perçoivent divers clivages. Une partie dispose d’un emploi plus stable, d’autres sont utilisés dans la sous-traitance et précarisés et il y a ceux qui composent la masse des chômeurs et des sous-employés. C’est un portrait du Brésil.

Quelle est votre vision sur cette période préélectorale dans l’Etat de São Paulo ? La population ne vous paraît-elle pas assez indifférente ?

Disons-le : très indifférente. La population s’est rendu compte lors des derniers processus électoraux au cours des dernières années que les élections deviennent une succession de batailles chaque fois plus réservées aux politiciens traditionnels. Et les partis dans leur majorité sont devenus des partis de politiciens professionnels. C’est comme si les élections aujourd’hui étaient le retour d’un candidat du passé qui a été discrédité et qui revient quatre années après ; ou d’un candidat qui était dans le parti A et qui passe dans le parti B, puis qui revient au parti A, pour passer ensuite au parti C ; tout cela de façon telle que la population a le sentiment que le processus électoral se résume à une bataille entre les mêmes politiciens. Et ce type de dispute aboutit à ce qu’il est impossible de voir des différences fondamentales dans les propositions faites par les partis. D’autant plus que dans leur quasi-totalité – avec quelques petites exceptions honorables – ces propositions sont soumises à la politique du donnant-donnant, politique des partis traditionnels. C’est comme si l’on se trouvait devant la situation suivante. La politique électorale est dominée par les partis traditionnels qui à leur tour configurent l’exercice de la politique traditionnelle. Dès lors, comme réponse à cela, il y a un certain mouvement anti-politique bien qu’il ait une dimension double. D’un côté, il est anti-politique de la part d’amples couches de la population qui voit la politique comme un exercice d’échange de faveurs. Il y a un autre pôle qui est aussi anti-politique, mais de la part de groupes sociaux plus organisés qui bien que minoritaires refusent la lutte politique parce qu’ils ne veulent pas qu’elle soit confondue avec la lutte électorale.

Tout cela dit, l’exercice consiste à découvrir comment mettre en pratique une politique radicale qui serait l’unique forme de s’opposer à ce marasme de politique électorale ; et c’est une chose que les partis de gauche ont de grandes difficultés à réaliser. Cela supposerait de dépasser l’espace de la lutte électorale parlementaire pour un espace de lutte extra-institutionnel, plus ancré dans l’organisation de la classe ouvrière, des mouvements populaires et des nombreuses couches qui composent le monde du travail, de telle façon à les organiser depuis la base, permettant de la sorte que puissent germer de nouvelles politiques marquées du sceau d’une conception radicale.

Comme les partis n’ont pas réussi à réaliser cela, on constate la domination de la politique traditionnelle. Un exemple pour que cela ne soit pas trop abstrait. Celui qui a réussi à être le plus proche d’une politique alternative et radicale est le MST dans le sens où il a comme axe d’activité l’organisation des sans-terre, des couches paupérisées de la population des campagnes mais aussi des villes, qui ne possèdent plus de terre dans la campagne et pas de travail dans la ville et qui vivent dans la recherche d’autres formes de vie et de sociabilité.

Dès lors, le MST organise cette base populaire qui impulse un autre type de luttes politiques, avec un profil plus radical. C’est pour cette raison que je dis que MST est celui qui se rapproche le plus de la mise en œuvre pratique des orientations indiquées ci-dessus. Le PT depuis longtemps a abandonné cette perspective. Au cours des années 1980, il s’en est approché lorsqu’il impulsait des luttes sociales ; aujourd’hui, il s’est transformé en ce Marx appelait « un parti d’ordre », un parti qui fait toutes les concessions nécessaires pour se maintenir au pouvoir, comme n’importe quel parti bourgeois traditionnel. Il suffit de constater que le PT a dans ses rangs des figures qui dans un passé récent étaient compromises avec le pire de la droite brésilienne. Ce qui se constate lorsque l’on analyse les secteurs qui soutiennent la candidature de Marta Suplicy à la mairie de São Paulo [elle a déjà été maire et attaquée pour corruption].

Le PSOL et le PSTU cherchent à développer une politique électorale alternative, mais avec beaucoup de difficultés de divers ordres et dimensions. Naturellement, à cause de la fragilité de leur densité sociale et populaire, ces organisations ne peuvent pas se présenter à la population avec une autre façon de faire une politique radicale. Dès lors, elles sont aussi considérées comme pratiquant le même type de politique, ce qui conduit à ce que la population, à la fin, regarde ces élections avec une froideur absolue. Cela va se décider, disons-le, beaucoup en fonction des dysjonctions du lulisme. Qu’est-ce que cela signifie ? La population observe Lula, puis les alternatives en jeu (PSDB – Parti de la social-démocratie brésilienne – et les Démocrates – ex-PFL) et conclut que c’est de la farine tirée du même sac. Mais, en même temps, le gouvernement Lula a pratiqué un assitantialisme plus large que celui ultra-restrictif, sélectif et élitiste du PSDB ou de l’ex-PFL qui s’appelle avec ironie aujourd’hui Démocrate.

Nous savons que le gouvernement Lula a garanti la rémunération des classes dominantes, des banquiers et du grand capital comme jamais dans l’histoire de ce pays. Lula lui-même ne cesse de dire que les riches n’ont jamais gagné autant d’argent que sous son gouvernement.

Ainsi, nous voyons ceci : le lulisme répond aux intérêts de ceux qui commandent et élargit sa base par l’assistantialisme et donc sa marge de manœuvre, parmi les couches les plus paupérisées ; dès lors, le lulisme, dans le froid électoral, peut avoir un résultat meilleur dans tout le pays. São Paulo est une inconnue. Car si Marta Suplicy obtient plus de voix, ce que confirment les sondages, il est aussi évident que la division entre les deux candidats bourgeois, Geraldo Alckmin [ex-gouverneur de l’Etat de São Paulo entre 2001 et 2006] et Gilberto Kassab [actuel maire de São Paulo], disparaîtra au second tour. Alckmin, Kassab et Maluf seront d’un côté au second tour, et Marta de l’autre, ce qui rend la situation plus difficile pour le PT, d’autant plus que le vote conservateur à São Paulo est fort. Et dans ce cas, il est réellement difficile de savoir lequel de ces deux pôles est le plus conservateur, car ils partagent beaucoup de ce visage conservateur.