Asia Times Online, le 16 février 2009
Si les projets au Moyen-Orient de Barack Obama ont fait deux avancées impressionnantes il y a deux week-ends de cela, ils ont en fin de compte été pratiquement stoppés net par une autre [avancée].
Lundi dernier, dans sa conférence de presse, Obama a fait l’ouverture la plus marquée jusqu’à présent en direction de l’Iran et Téhéran s’y est très vite accroché en l’espace de quelques heures. Mais la décision de Mohammed Khatami de se lancer dans la bataille présidentielle de juin prochain introduit des complications dans l’entreprise US-iranienne hautement sujette aux accidents.
La semaine [dernière], l’administration Obama a fait une autre avancée en direction de la Syrie, en programmant la visite d’une délégation parlementaire à Damas, conduite par le puissant président de la commission des affaires étrangères du Sénat américain, John Kerry. La visite de Kerry [de cette semaine] a été minutieusement organisée durant l’interrègne entre la première série de visites régionales de l’envoyé spécial George Mitchell, en Israël et dans les Etats pro-arabes, et le retour attendu de ce dernier dans la région vers la fin du mois.
Mais, hélas, dans l’entrefaite, les résultats du scrutin législatif en Israël ont commencé à se faire sentir. Ils rendent assurément problématique tout réchauffement significatif à court terme des relations entre les Etats-Unis, l’Iran et la Syrie.
Les ouvertures US-Iraniennes
Le flot de commentaires diplomatiques de la semaine dernière entre Washington et Téhéran souligne qu’un réchauffement des relations est peut-être déjà en cours. Obama a renforcé un peu plus la célèbre remarque de son discours d’investiture, il y a trois semaines, selon laquelle il était prêt à « tendre la main si vous êtes enclin à desserrer le poing ». Lors de sa conférence de presse de lundi dernier, Obama a spécifiquement envisagé de « regarder vers des zones où nous [les Etats-Unis et l’Iran] pouvons avoir un dialogue constructif ». Renouvelant son appel à un dialogue direct avec l’Iran, Obama a dit qu’il espérait créer les conditions pour « commencer à s’asseoir à la même table, face à face » dans les mois à venir, avec « des ouvertures diplomatiques qui nous permettrons d’orienter notre politique dans une nouvelle direction ».
Vu le décalage horaire entre Washington et Téhéran, il est extraordinaire que Mahmoud Ahmadinejad ait répondu en quelques heures : « Notre nation est prête à avoir des discussions basées sur le respect mutuel et dans une atmosphère d’équité ». Un peu d’activité en coulisses a rendu possible cet échange. Obama a éludé la mise en garde de Joseph Biden – amplifiée par David Miliband – lors de la 45ème Conférence sur la Sécurité à Munich, que si l’Iran poursuivait dans la voie actuelle, les sanctions s’intensifieraient. Téhéran avait amplement fait savoir son mécontentement vis-à-vis des propos durs tenus par Biden.
En tout cas, mardi dernier, Ahmadinejad a choisi la tribune des célébrations du 30ème anniversaire de la révolution iranienne de 1979 pour faire sa déclaration. Cela n’a évidemment échappé à personne que l’anniversaire de la révolution, occasion historique cette année, n’ait pas eu les envolées au vitriol contre le « Grand Satan » - comme certains iraniens appellent les Etats-Unis.
Mercredi dernier, Hillary Clinton a très rapidement repris le fil de sa propre déclaration, selon laquelle elle avait de l’espoir que les Etats-Unis et l’Iran seraient capables de « trouver un moyen de se parler ». Et son homologue iranien n’a pas été en reste.
Ainsi que Manouchehr Mottaki l’a formulé : « Nous considérons comme positif le slogan qu’Obama a lancé dans les élections. Le monde a réellement changé. Si l’administration américaine veut poursuivre dans la voie du changement, ce sera une bonne nouvelle… Nous pensons que ces changements fourniront d’excellentes opportunités pour l’administration américaine dans ses relations avec les autres pays du monde… et nous espérons que cela se vérifiera. »
Plus important, Mottaki pourrait avoir indiqué, à la manière persane détournée, que Téhéran serait prêt à travailler avec Washington pour stabiliser la situation en Afghanistan – une priorité pour Obama – de la même façon pragmatique avec laquelle les deux adversaires ont coopéré sur l’Irak.
Un trublion entre en scène
Alors que les choses commençaient vraiment à se réchauffer rapidement, Khatami est entré en scène. Les ambitions présidentielles de Khatami, que ce dernier a annoncées ainsi à Téhéran lundi dernier : « Est-il possible de rester indifférent au sort de la Révolution Islamique et de se tenir à l’écart des élections ? », introduisent un nouvel angle dans le discours US-Iranien. En fait, cet un angle est vieux de 30 ans – les Etats-Unis figurant comme un protagoniste dans l’ombre, boxant dans la bruyante politique iranienne.
Ce n’est qu’il y a deux ans, durant sa visite aux Etats-Unis, que Khatami s’est pratiquement juxtaposé, face à son auditoire américain, comme l’antithèse d’Ahmadinejad. Il s’est ouvertement offert comme pragmatiste, avec lequel les Etats-Unis pouvaient faire des affaires, et comme force politique, bien qu’il n’ait actuellement aucun pouvoir. Khatami peut être ou ne pas être un challenger sérieux à Ahmadinejad dans les élections de juin prochain. Le programme populiste d’Ahmadinejad attire les pauvres du pays, et l’Ayatollah Ali Khamenei lui a publiquement donné sa préférence.
Mais avec l’entrée de Khatami dans la course présidentielle, se glisse un élément d’incertitude. On ne peut jamais vraiment prédire le résultat des élections iraniennes. La candidature de Khatami posera probablement un dilemme à l’administration Obama. Est-il prudent pour les Etats-Unis d’initier la moindre avancée diplomatique avant que l’on ne sache clairement qui sera le prochain président iranien ? Bien sûr, Washington ne devrait pas envisager « d’influencer » le résultat de l’élection iranienne, puisque que cela ne pourrait avoir que des conséquences catastrophiques et provoquer un sérieux retour de manivelle.
En même temps, il est imprudent de laisser se dissiper la construction actuelle de cet élan. Tout compte fait, le meilleur cap serait de prendre des mesurettes en vue d’établir un dialogue à part entière. La bonne chose est que l’administration Obama a également besoin de temps pour formuler sa « stratégie à grande échelle ». Mais traîner délibérément des pieds pourrait aussi donner une fausse impression à Téhéran, qui est prêt à interpréter la moindre avancée ou « non-avancée » des Etats-Unis. C’est contre cette toile de fond complexe que les résultats des élections législatives israéliennes de mercredi dernier arrivent comme un revers pour Washington. Pour l’instant, une dimension entièrement nouvelle se fait jour, alors que tout délai dans le dialogue US-iranien pourrait être exploité par Israël afin d’obtenir que Washington adopte sa tactique.
Israël bascule à droite
Telles que sont les choses, la forte probabilité est que l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou reprenne du service. Bien que son parti de droite, le Likoud, soit arrivé second derrière le parti centriste Kadima, conduit par la ministre des affaires étrangères Tzipi Livni, il s’attend à avoir la main pour former le gouvernement, grâce à sa capacité de concocter à la hâte une majorité de soutien au parlement.
La question est de savoir quelle sorte de coalition gouvernementale Netanyahou dirigerait. Livni a fait une avancée vers la base de l’aile gauche du parti Travailliste et de Meretz, en faisant une « remontée » de dernière minute, mais les résultats électoraux en tant que tels montrent clairement un basculement en faveur des partis de droite, qui ont empoché la majorité des 120 sièges au parlement.
Netanyahou doit faire des choix importants. Fera-t-il une coalition exclusivement de droite, ce qui est parfaitement faisable en termes arithmétiques, mais qui est quelque chose qu’il pourrait aussi refuser consciemment étant donné la perspective peu appétissante de devenir prisonnier des forces d’extrême droite ? Ou bien, optera-t-il pour un gouvernement d’unité nationale impliquant Kadima, mais qui pourrait très bien éroder en même temps sa base électorale de droite ? Essayer de déchiffrer la façon dont les politiciens israéliens assemblent leurs gouvernements de coalition n’est jamais chose aisée. Et cette fois-ci, c’est virtuellement impossible.
Ce qu’il est possible de prédire est que vis-à-vis de la situation concernant l’Iran, le nouveau gouvernement israélien de droite pourrait se retrouver, dès le départ, en friction avec l’administration Obama. Il y a une rupture fondamentale d’intérêts sur l’Iran entre Washington et Jérusalem. Israël insiste sur le fait qu’un affrontement avec l’Iran est inévitable, malgré la diplomatie forte d’Obama envers l’Iran. Et pour aggraver l’affaire, il y a une quasi-unanimité dans l’opinion israélienne à propos de la perception d’une menace iranienne, à tel point que le besoin d’un débat public sur ce sujet ne se fait pas ressentir.
Israël ne peut pas raisonnablement espérer se mettre en travers des intérêts étasuniens en matière de sécurité ou torpiller un projet majeur de la politique étrangère d’Obama, mais la perception d’Israël concernant la marche inexorable de l’Iran vers une capacité nucléaire militaire ne semble pas ouverte à la raison, et Israël possède sans aucun doute la capacité technique de frapper l’Iran.
Ce qui complique encore plus le calcul est que la prépondérance des partis de droite – 65 sièges pour les blocs indépendants de « droite » contre 55 pour ceux du « centre » – poussera probablement le gouvernement israélien à résister à toute pression décisive de la part des Etats-Unis pour relancer les négociations en vue d’un règlement israélo-palestinien et arabo-israélien.
Malgré son discours électoral – jurant de ne pas diviser Jérusalem, de ne pas renoncer à la Cisjordanie, de ne pas rendre le Plateau du Golan, etc. – Netanyahou pourrait ne pas être le problème pour Obama, puisqu’il est lié avec l’establishment étasunien et qu’il ne contemplerait jamais vraiment l’idée de mettre en danger le soutien américain. D’autre part, il est également un homme aujourd’hui aguerri, après avoir été longtemps dans la jungle politique, à tel point que certains disent qu’il serait même susceptible de céder à la pression des Etats-Unis.
Mais, plus fondamentalement, la stabilité de la politique israélienne, qui tourne traditionnellement autour de deux partis principaux – le Likoud et les Travaillistes –, a elle-même été bousculée par l’émergence d’autres partis. C’est une recette assurée pour une coalition gouvernementale branlante qui pourrait se concentrer sur sa survie plutôt que sur la nécessité de faire la paix avec les voisins d’Israël.
Il y a des questions pressantes qui doivent être abordées dans les jours et les semaines à venir, comme des pourparlers indirects avec le Hamas en vue d’un cessez-le-feu avec Gaza, la reconstruction de Gaza, etc. Mais le paradoxe est qu’Aaron David Miller, en tant qu’ancien négociateur de paix américain, a dit au Washington Post que même un gouvernement d’unité élargi serait incapable d’avancer en direction de la paix et qu’il pourrait se trouver dans une bien meilleure position pour arriver à un consensus sur des frappes militaires contre le Hamas ou le Hezbollah au Liban. « On peut avoir un gouvernement [israélien] qui serait bon pour faire la guerre, pas la paix », a-t-il ajouté.
En somme, les Israéliens ont donné leur préférence à ces partis politiques qui ont promis de se battre, non seulement contre le Hamas, mais aussi contre ses sponsors iraniens, et qui n’ont aucun doute que l’objectif ultime du programme nucléaire iranien est de fabriquer la bombe et, par conséquent, que l’Iran pose une menace existentielle à Israël. D’un autre côté, les Etats-Unis ne peuvent se permettre de laisser la dynamique délicate de la normalisation des relations avec l’Iran ou de la mission de Mitchell vaciller. La coopération de l’Iran est vitale pour la réussite de la nouvelle stratégie afghane des Etats-Unis, qui est une priorité de politique étrangère pour Obama, et le temps tourne sur la question nucléaire de l’Iran.
Les Moyens-Orientaux observent aussi de près les progrès de Mitchell, enracinés qu’ils sont dans leur scepticisme, selon lequel plus les choses semblent changer, plus elles restent les mêmes. Par-dessus tout, la crédibilité de la nouvelle administration des Etats-Unis est en jeu et toute érosion supplémentaire de la réputation des Etats-Unis dans la région affaiblirait sa capacité à conclure de grands marchandages avec des clients durs comme l’Iran et la Syrie. Obama a quelques pas à faire sur la corde raide afin de réconcilier Israël avec son projet pour le Moyen-Orient.
L’Ambassadeur M K Bhadrakumar a servi en tant que diplomate de carrière dans les services extérieurs indiens pendant plus de 29 ans. Parmi ses affectations : l’Union Sovétique, la Corée du Sud, le Sri Lanka, l’Allemagne, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Ouzbékistan, le Koweït et la Turquie.