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PALESTINE - ISRAEL

Gaza : Séparation au barrage d’Erez

Samedi 23 juin 2007, par Meron Benvenisti

Il aurait fallu concocter une explication convaincante pour justifier la décision arbitraire prise par Israël d’interdire à quelque 200 personnes le passage de la Bande de Gaza à la Cisjordanie. Après tout, il ne s’agit pas d’une tentative d’infiltration en Israël mais de la demande que soit concrétisé le vieil engagement pris par Israël de permettre un « passage sûr » entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie, un trajet d’une quarantaine de minute depuis le barrage d’Erez jusqu’à celui de Tarkoumiya ; le temps qui sépare la vie de la mort pour quelques uns des prisonniers du « couloir » d’Erez.

Quand on cherche à cacher le vrai motif, on en vient à produire une kyrielle d’explications. On commence par dire qu’il y a là un danger pour la sécurité ; nous ne voulons pas que des experts en matière de roquettes Qassam et de terrorisme passent de l’autre côté. Ensuite on déclare que les gens du Fatah y sont opposés également sauf à décider eux-mêmes qui passera et qui sera renvoyé. Et puis, la situation à Gaza s’est stabilisée et rien n’empêche les fugitifs de retourner chez eux.

Mais le véritable motif montre le bout du nez : les Palestiniens vont profiter de la situation pour tenter de prendre d’assaut le point de passage afin de se rendre du côté israélien. Tel était le raisonnement à la base du refus de laisser entrer les ambulances pour l’évacuation des blessés.

Le scénario de l’horreur qui hante les Israéliens depuis des années, avec des centaines de milliers de réfugiés marchant vers leurs maisons détruites, a resurgi pour les effrayer au point qu’ils sont prêts à provoquer une tragédie humanitaire et une réprobation internationale capable de faire oublier les actes meurtriers du Hamas et de ramener l’attention sur la cruauté d’Israël. L’incident d’Erez n’est qu’une conséquence secondaire du renversement qui a eu lieu dans la Bande de Gaza, mais il est d’une grande signification parce qu’il donne à voir ce qu’Israël est prêt à faire pour mettre en œuvre la « séparation » entre Gaza et la Cisjordanie, ou, dit autrement, pour mettre en œuvre la nouvelle phase de la destruction du peuple palestinien.

La « séparation » de la Bande de Gaza - dont la tragédie du barrage d’Erez vient faire office de symbole - est le dernier d’une série d’actes de séparation et d’écrasement qui a débuté après la guerre de 1948 et s’est toujours poursuivie, comble d’ironie, avec le soutien palestinien, sans lequel elle est impossible à mettre en œuvre.

Les Israéliens sont à ce point accoutumés à la « séparation » que leur action n’a plus besoin d’être préméditée. Le passage est fermé d’une manière automatique. On ressort les bonnes vieilles justifications et la séparation elle-même est présentée comme une grande victoire. On a encore une fois réussi à amputer d’un grand bloc le corps du peuple palestinien et à créer de l’hostilité et de la haine entre ses composantes.

C’est ce qui s’est produit après 1948 lorsqu’on a créé un fossé entre les « Arabes de 1948 » et ceux demeurés en dehors du contrôle israélien ; c’est ce qui s’est produit après la guerre de 1967, lorsqu’on a coupé la diaspora d’avec les habitants des Territoires, pour ensuite officialiser cette coupure à Oslo. C’est encore ce qu’on a fait à Jérusalem en érigeant le mur de séparation et en coupant de leur environnement les Arabes de Jérusalem-Est ; et maintenant, on institutionnalise la séparation physique de la Bande de Gaza.

Chacune de ces séparations se double d’une distinction entre bons Arabes et mauvais Arabes ; Arabes d’Israël face aux impitoyables fedayins, Arabes des Territoires face aux réfugiés de la diaspora exigeant leur retour et désireux de détruire Israël, Arabes de Jérusalem-Est à l’intérieur de la clôture et opposés au terrorisme face aux terroristes-suicide de l’autre côté de la clôture. Et aujourd’hui, les hooligans du Hamas à Gaza face au gouvernement de Mahmoud Abbas (Abou Mazen) en Cisjordanie, qui mérite toute notre assistance.

La suite viendra, selon les intérêts de la séparation israélienne, avec l’entière collaboration du camp des Palestiniens qui, avec une soumission ahurissante (et peut-être en l’absence de choix), acceptent l’identité et l’agenda dictés par Israël. Beaucoup voudraient croire que la séparation de Gaza est vouée à l’échec ; mais l’expérience du passé enseigne que la puissance d’anéantissement israélienne est apte à établir des faits durables. Cela signifie que la Cisjordanie sera annexée à Israël de manière définitive et que les futurs réfugiés d’Erez seront vraiment, eux, des ‘infiltrés’.

Meron Benvenisti - Ha’aretz, le 21 juin 2007

Version anglaise : Separation at the Erez crossing

Traduit de l’hébreu par Michel Ghys

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