« Comme solution au conflit israélo-palestinien, je préfère l’Etat unique à deux Etats ! ». Combien de fois ai-je entendu cette prise de position au cours de mes réunions publiques à l’étranger ? ! Et plus je l’entends, plus cela m’exaspère car qui s’intéresse à ce que vous préférez, de même que la question n’est pas de savoir ce que moi je préfère. Avez-vous demandé aux Palestiniens ce que, EUX, préfèrent ? leur avez-vous demandé pourquoi ILS combattent ?
Il n’y a aucun doute sur le droit légitime du peuple palestinien à exiger et à se battre pour sa souveraineté nationale sur sa patrie historique, c’est-à-dire, sur la terre de Palestine, de la mer jusqu’au fleuve, une patrie dont il a été dépossédé par l’entreprise coloniale sioniste. Et le rôle des forces de progrès à travers le monde est, en effet, de le soutenir dans ce combat légitime et extrêmement difficile.
En 1988, l’OLP (Organisation pour la libération de la Palestine) et son Conseil national en Algérie, sous la direction de Yasser Arafat, ont accepté un « compromis historique » basé sur une équation composée de deux éléments : une solution pour le conflit avec Israël ET le facteur temps. Quel est le mieux, avait demandé le président de l’OLP : la pleine réalisation des droits nationaux du peuple palestinien dans un siècle, ou un petit Etat indépendant maintenant ? L’opinion du président et, après de rudes discussions politiques, de la grande majorité du CNP a été d’épargner des décennies de souffrance, de morts et de destructions aux prochaines générations palestiniennes, cela au prix d’un douloureux et injuste compromis avec Israël où le peuple palestinien renonçait à exercer ses droits légitimes sur plus des trois quarts de son territoire.
Les Palestiniens sont les seuls autorisés à faire ou à ne pas faire ce choix, certainement pas les Israéliens même quand ceux-ci prétendent défendre les droits du peuple palestinien. Là est toute la question de l’autodétermination.
Le fait est, cependant, que le compromis historique n’a apporté aucune solution : 20 ans après, un Etat palestinien en Cisjordanie et dans Gaza apparaît aussi utopique qu’ « un Etat commun » pour Palestiniens et Juifs. La situation est-elle irréversible comme le déclarait Meron Benvenisti déjà dans le milieu des années 80 ? Les partisans de l’ « irréversibilité de la situation », et donc de l’impossibilité d’un nouveau plan de partition, fondent leur position à partir des « faits sur le terrain » : l’impact de la colonisation de la Cisjordanie, les routes et les colonies, l’intégration économique, etc. Bien qu’il ne faille aucunement sous-estimer le poids de ces réalités matérielles dans le façonnement de la réalité et des options pour demain, ces réalités ne représentent pas ce qu’on appelle une situation irréversible : l’Empire soviétique était réversible, tout comme « les mille ans du Troisième Reich » ; les 130 années de colonisation française de l’Algérie avec une société de « Pieds-noirs » profondément enracinée ont connu une fin, comme la plupart des entreprises coloniales du 19ème siècle.
Ni les maisons ni les arbres, ni même les énormes réalisations de l’homme ne peuvent constituer une situation irréversible : aussi longtemps que les victimes d’un système le combattent, ce système peut être renversé. Réversibilité et irréversibilité dépendent du subjectif au moins autant que des réalités objectives.
La comparaison entre Palestiniens de Galilée et Palestiniens de Cisjordanie est très révélatrice à cet effet : après 6 ou 7 ans d’occupation israélienne, la population palestinienne de ces territoires occupés et annexés [Galilée] par l’Etat israélien n’a plus aspiré à la sécession et elle a modifié ses exigences politiques, lesquelles sont devenues l’égalité des droits, la démocratisation et la pleine citoyenneté. A partir de ce moment-là, l’occupation de la Galilée et du Triangle est devenue irréversible, c’est-à-dire acceptée - contre leur gré - par les premières victimes de la conquête sioniste.
Ce n’est définitivement pas le cas des Palestiniens qui résident à Gaza, en Cisjordanie et même à Jérusalem-Est, comme ce n’est pas le cas de la population syrienne du Plateau du Golan occupé qui se considère toujours, après 40 ans d’occupation et un quart de siècle d’annexion, comme des Syriens et aspire à toujours faire partie de l’Etat syrien.
Même ces Palestiniens qui prétendent la situation irréversible et expliquent avec force argumentation logique pourquoi il n’y aura jamais d’Etat palestinien, même eux projettent le plus souvent leur avenir, ou celui de leurs enfants, dans un temps où il n’y aura plus d’occupation israélienne, plus de colonies et plus de domination étrangère.
Ni le peuple palestinien, ni sa direction, ni la communauté internationale, ni l’opinion israélienne (et sa direction politique) dans sa majorité considèrent l’occupation israélienne comme irréversible.
Michel Warschawski est journaliste et écrivain. Fondateur du Centre d’information alternative (AIC) en Israël, il est l’un des représentants du courant radical antisioniste en Israël.
15 avril 2008 - Alternative Information Center - traduction : JPP