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L’apartheid made in Israel

Enquête sur les conditions de travail des Palestiniens dans les colonies

Lundi 30 avril 2007, par Simone Korkus

Les zones industrielles et les colonies sont habituellement situées dans la soi-disant "Zone C", ce qui signifie qu’elles tombent sous la juridiction israélienne. On pourrait s’attendre à ce que la législation du travail israélienne y soit appliquée, mais le tribunal du travail a décidé que la législation jordanienne était applicable aux ouvriers palestiniens, à moins cela viole l’intérêt public. Résultat : Les ouvriers palestiniens sont juridiquement discriminés par rapport à leurs collègues israéliens sur un même lieu de travail, et c’est inacceptable.

Il est six heures un froid matin d’hiver à Tulkarem, une importante ville de Cisjordanie.

Devant une étroite porte métallique le long d’un mur en béton, dans la rue de Taybeh, en face du garage d’Adjib, des centaines de Palestiniens en bleu de travail et pull-over, des sacs de sandwichs à la main, sont rassemblés et attendent patiemment l’ouverture de la porte.

Ils se frottent les bras et le corps pour garder la chaleur et sous la lumière des projecteurs placés en haut du mur, leur respiration crée de petits nuages.

Derrière la porte en fer, il y a la zone industrielle israélienne au nom poétique de Nizzane Ha Shalom (littéralement : les bourgeons de la paix) et pour beaucoup de Palestiniens, ce nom symbolise leur dernière chance de travail.

Nizzane Ha Shalom, qui est située entre Tulkarem d’un côté, et le mur de séparation et la route israélienne n° 6 de l’autre, a été construite en 1995 en tant que l’une des neuf zones industrielles prévues en Cisjordanie.

Il y a sept usines, qui fournissent du travail à environ 700 Palestiniens dans diverses industries telles que la production de cartons, des pièces de rechange en plastique, des pesticides et des liquides toxiques.

"C’est mieux que pas de travail du tout" commente M., 35 ans, qui travaille dans l’usine de cartons Tal El Iesoef Ve Mihzoer Ltd. M. nous supplie de ne pas publier son nom.

Ce père de 5 enfants vient ici tous les jours – six fois par semaine, 9 heures par jour – pour un salaire horaire de 11 shekels (2€), ce qui représente plus de 7 shekels de moins que le salaire horaire minimum pour les Israéliens. Et pour ce salaire, M. se donne littéralement à mort.

Pourquoi ? Parce qu’il est un homme privilégié, dit-il.

"Bien sûr, je sais que les conditions sont mauvaises mais au moins, j’ai un travail. Je peux nourrir ma famille et envoyer mes enfants à l’école."

Mais parfois, M. a peur. Son patron le renverra-t-il s’il demande une augmentation ou s’il arrive en retard ou s’il tombe malade ? Cela est déjà arrivé. Les retardataires sont punis et ils n’ont plus de travail et de salaire pendant au moins une semaine. Les rebelles, les malades et les faibles sont virés sur le champ.

"Là où je travaille, mon patron peut trouver immédiatement dix autres personnes," explique M.. Et donc, il quitte sa maison à cinq heures du matin, il ne demande pas le minimum salarial, il travaille quand il est malade et pendant les fêtes de l’Id Al Adha et il n’a jamais entendu parlé de vacances.

Son collègue plus vieux de 10 ans, J., sait ce qui arrive si vous protestez.

"J’ai déjà travaillé pendant dix ans dans une usine de bois israélienne ici. L’entreprise n’a pas de nom et je doute qu’elle soit même enregistrée. Je gagne 100 shekels (18€) par jour pour 9 heures de travail. Nous sommes 30 employés.

Il y a à peine de protection contre le soleil ou la pluie et l’usine n’a pas de plancher. En hiver, nous sommes toute la journée dans la boue. Il n’y a pas de toilettes et nous ne sommes pas autorisés à sortir, parce que cette porte de fer ne s’ouvre qu’à quatre heures.

Pouvez-vous imaginer à quel point c’est sale, avec trente hommes ? Il y a deux ans, j’ai enfin trouvé le courage de me plaindre. Vous savez ce qui s’est produit ?

J’ai été renvoyé sur le champ et je suis rentré à la maison sans salaire. Deux semaines plus tard, le téléphone a sonné. C’était mon patron. Il m’a dit qu’il me donnait une dernière chance, mais que je devais la fermer."

Et c’est ce que J. a fait. Il ne s’est pas plaint au sujet du manque de vêtements de protection et il n’a rien dit quand le jeune Namer s’est blessé par accident au ventre avec une agrafeuse électrique et qu’il a été renvoyé chez lui sans toucher de salaire.

Mais il admet qu’il est furieux. "Le pire, c’est que le directeur s’en fout. Ce n’est pas qu’il nous traite comme des animaux. C’est qu’il ne nous voit même pas."

Le comble !

En fait, la construction de la barrière a rendu Nizzane ha Shalom – ainsi que des colonies israéliennes et d’autres zones industrielles proches de la barrière – plus attrayant pour les hommes d’affaires israéliens, dit Shahiye Yacub, un représentant du Ministère palestinien du Travail à Tulkarem.

"D’un côté, la construction de la barrière a aggravé le problème déjà chronique du chômage palestinien ; 150.000 Palestiniens qui travaillaient légalement ou non en Israel avant 2000 ne peuvent plus y aller. Et des dizaines de milliers de fermiers sont séparés de leurs propres terres par le mur. Aujourd’hui seule une moyenne de 10.000 Palestiniens - cela dépend de la situation de sécurité - peut entrer en Israel. Par conséquent le nombre de travailleurs palestiniens bon marché se développe. Ces personnes sont désespérées et veulent obtenir un travail pratiquement à n’importe quel prix.

D’un autre côté, les entreprises israéliennes se sentent en confiance dans les zones industrielles proches du mur en raison du haut niveau de sécurité."

Selon le Bureau Central des Statistiques Palestinien, le taux de chômage atteignait 28.4% au 4ème trimestre 2006.

Cela pourrait sembler relativement bas mais il faut avoir à l’esprit que plus de la moitié de la population palestinienne est composée d’enfants et donc le nombre de personnes à charge est élevé. Parfois, un ouvrier doit faire vivre 10 personnes.

Yacub : "Officiellement, il y a environ 18.000 Palestiniens qui travaillent dans des usines et des colonies israéliennes en Cisjordanie mais je ne peux même pas estimer combien travaillent sans permis, en particulier dans le secteur agricole."

Blessures et amputations

Pendant ce temps, un groupe de 15 ouvriers s’était rassemblé à côté de nous devant la porte métallique à Tulkarem. Ils chuchotaient et dodelinaient la tête.

Abdelatif Abu Raye, un jeune homme avec des yeux bleus lumineux, est assez courageux pour me raconter son histoire.

Il y a plusieurs mois sa main a été sectionnée en deux alors qu’il travaillait sur une machine à découper dans l’usine de cartons. Après l’accident, l’employeur l’a renvoyé chez lui et il a arrêté de lui payer son salaire.

En raison de cet accident, Abu Raye est paralysé d’un côté. L’hôpital de Tulkarem n’a pas pu effectuer l’opération plutôt compliquée qui aurait pu lui sauver la motricité de sa main et il n’a pas été autorisé à aller dans un hôpital israélien ce qui aurait pu l’aider.

Abu Raye : Mon employeur ne m'a payé aucun indemnité et en raison de ma blessure, je ne peux trouver du travail nulle part. Ma carte magnétique (le permis pour travailler dans les secteurs israéliens) a été annulée. J'ai parlé à un avocat qui a démarré des procédures auprès d'un tribunal en Israel, mais je ne peux même pas le rencontrer parce que je ne suis pas autorisé à franchir le checkpoint." Un autre ouvrier, Mohammed Abu Harma, ne peut même plus raconter son histoire. Il y a 5 ans, on lui a demandé de construire une barrière autour de l'usineRational Systemsà Nizzane Ha Shalom, se souvient son fils, Majed. "Ils ont utilisé des barils en plastique avec des déchets de produits chimiques pour soutenir la barrière. Un de ces barils a explosé et mon père a été blessé à la tête. Il est mort de ses blessures quatre jours plus tard, laissant ma mère se débrouiller seule avec huit enfants. Nous n'avons jamais reçu de pension ou d'indemnités." Majed, qui avait à l'époque 22 ans, a dû arrêter ses études et trouver un travail pour faire vivre la famille. "Il y a eu des procédures devant les tribunaux avec l'employeur de mon père ces deux dernières années mais les juges n'ont toujours pas donné leurs conclusions." D'autres se sont mis à raconter des histoires de doigts amputés, de blessures et de problèmes respiratoires qui se sont déroulées pendant leur travail dans l'une des usines. A écouter ces Palestiniens, il semble que les accidents du travail en raison de risques professionnels, sécuritaires et sanitaires sur leurs lieux de travail soient une pratique courante ici. A exactement six heures et demi, la porte métallique s'est ouverte et tous les hommes ont disparu. La porte a été fermée à 7 heures et elle est restée fermée pendant les 9 heures suivantes. {{Symbiose}} C'est une étrange sensation que d'entrer dans la zone industrielle un peu plus tard que les autres, du côté israélien. Ici, il n'y a pas de portes métalliques fermées, pas de longues files d'attente d'ouvriers, pas de barrière de séparation. A l'intersection avec la Route n° 6, vous tournez à droite et passez devant un garde somnolent à l'entrée de la porte. Les hauts murs autour de la zone industrielle cache la vue de Tulkarem et donne l'impression que vous êtes en Israel. Nous tentons d'obtenir des rendez-vous avec deux patrons d'entreprises, mais nous n'allons pas plus loin que la secrétaire qui nous dit de partir poliment. Gil Letterman, le patron de Rational Systems - une fabrique de pièces en polyuréthane pour les imprimeurs et les équipements médicaux – accepte de nous parler et nous invite à venir voir par nous-mêmes. Il a créé son entreprise il y a 25 ans dans la ville côtière de Netanya, mais avec le début de l'Intifada il est devenu de plus en plus difficile pour ses ouvriers palestiniens de venir travailler et donc Letterman a déplacé une partie de ses activités - le montage des pièces, la peinture, le contrôle et l'emballage – dans cette zone. "En raison de son emplacement à côté du Mur, il est facile de venir ici. Un autre avantage est que cette zone industrielle est déclarée en tant que "Zone C" et nous ne payons pas "Arnona" (un impôt israélien)." explique Letterman. Certaines usines ont parfois d'autres motifs pour venir s'installer dans cette zone. Par exemple,Geshuri Industry, le voisin de Letterman, qui est probablement la plus grande usine de la zone industrielle de Tulkarem et est spécialisée dans les pesticides et autres produits chimiques, était implantée à Kfar Saba jusqu'en 1985, mais les habitants locaux se sont plaints de ses horribles fumées et elle est venue s'installer en Cisjordanie. Les résidents de Tulkarem et deLev Ha Sharondu côté israélien se sont plaints mais ils n'ont pas pu faire partir Geshuri de Tulkarem. L'usine de Rational Systems semble bien organisée et les ouvriers portent des vêtements de protection. Letterman insiste sur le fait qu'il n'a pas de problèmes avec ses employés et les conditions de sécurité. Mais qu'en est-il de l'accident d'Abu Harma dont nous avons entendu parler ? Il admet qu'il a eu des problèmes avec des sous-traitants comme Abu Harma par le passé, mais ceux-ci ont été résolus au niveau juridique. "Il y a des ouvriers palestiniens qui sont avec nous depuis la création de l'entreprise et maintenant j'emploie même la deuxième génération, leurs fils. Je connais leurs familles ; j'ai assisté à leurs mariages. Ce sont des gens sympas dignes de confiance qui sont bien payés. Vous devez comprendre que les Palestiniens tirent profit des usines israéliennes ici, au moins ils ont du travail, et je vous parie qu'ils gagnent plus à Nizzane Ha Shalom que chez un employeur palestinien de Tulkarem." Avec 50% de la population palestinienne qui vit sous le seuil de pauvreté que les organisations internationales ont fixé à 2.10 dollars par jour - Letterman a peut-être raison et les Palestiniens devraient en effet être heureux de pouvoir travailler et nourrir leurs familles. Mais la question est dans quelles conditions et pour quel prix ? Ici, entre la barrière de séparation et la ville palestinienne de Tulkarem, le paradoxe israelo-palestinien devient soudainement atrocement clair. L'occupation et le conflit ont créé une intense symbiose entre les employeurs israéliens qui se sont déplacés en Cisjordanie dans des conditions favorables, et les ouvriers palestiniens qui ont besoin de travail. Si vous liquidez les employeurs par des sanctions économiques ou la fermeture, vous tuez également les employés palestiniens, et si les employés palestiniens ne sont pas autorisés à travailler, les entreprises israéliennes ne peuvent pas exister. {{Problème structurel }} En 2007, ces histoires semblent incroyables mais elles ne sont pas exceptionnelles. Salwa Alinat, un représentant de Kav La Oved, une organisation qui protège les droits des ouvriers, a commencé il y a un an et demi un programme d'information et d'aide aux ouvriers palestiniens employés par des entreprises israéliennes en Cisjordanie et il a entendu des histoires similaires voire pires un peu partout. "J'ai parlé aux ouvriers agricoles de Jéricho, qui ont été employés dans une colonie israélienne pendant la période de récolte en avril et en mai et ils ont dû rester dans une palmeraie sous le soleil brûlant pendant 9 heures de suite, sans même une coupure pour aller aux toilettes. Et ils n'ont même pas été payé au minimum salarial." "Une Palestinienne qui est femme de ménage dans une colonie doit supporter le harcèlement des gardes à l'entrée de la colonie pour ne pas perdre son travail. J'ai rencontré des employés d'usine qui travaillent de longues heures avec une protection insuffisante dans des circonstances dangereuses et ils gagnent 10 shekels (moins de 2 €), voire moins. Le pire, ce sont les histoires au sujet du travail des enfants. Pendant les mois d'été, des enfants de 12 ou 13 ans travaillent en équipe de 2 x 12h. J'ai rencontré un garçon de 10 ans qui travaille dans un entrepôt de la Vallée du Jourdain pendant les vacances d'été mais également le soir après l'école, parce que son père est au chômage et que sa famille a besoin d'argent." La Cisjordanie a été divisée en trois gros centres économiques par des barrières, des checkpoints et des barrages routiers : le nord, le centre et le sud. En conséquence, la production et les intérêts sont localisés, explique Alinat. Les Palestiniens ne peuvent pas circuler librement entre ces centres et donc l'information reste également limitée aux données locales. "Les gens ne comprennent pas que nous ayons un problème structurel en Cisjordanie"dit Alinat. {{Un système de permis et de cartes }} Il n'est pas facile d'obtenir légalement un travail dans l'une des colonies ou des zones industrielles, parce que vous devez avoir une autorisation de l'autorité militaire – la fameuse "carte magnétique" – pour entrer dans les colonies et les zones industrielles, explique Alinat. Certains ouvriers travaillent donc "au noir" sans contrat ou sans aucune assurance. Vous recevez seulement la carte après un contrôle complet des risques possibles pour la sécurité duShabak, l'agence de sécurité israélienne. Alinat : "Les motifs pour l'obtention ou le refus du permis ne sont pas clairs. Il y a des ouvriers dont les permis ont été rejetés pour des raisons de sécurité bien qu'ils n'aient aucun casier judiciaire ou liens avec ce qu'Israel qualifie d'organisations terroristes." En conséquence, l'employeur doit solliciter un permis de travail (Ishur Avoda). Les coûts de ces permis, environ 1.200 shekels (218 €), doivent être payés à l'avance par l'employé et même avant de commencer son travail, il dépense déjà une petite fortune. Alinat : "Ce permis vaut de l'or pour les Palestiniens et représente un atout important pour des employeurs et parfois mène à du chantage. S'il n'agit pas selon les instructions du patron, il perd sa carte et son travail." {{Enquête}} Il est encore difficile de croire que ce système presque colonial ait lieu sous notre nez et que personne ne semble être au courant ou vouloir le changer. Nous décidons avec le guide palestinien, l'activiste des droits de l'homme, Zakaria Sadea, de faire une petite enquête sur le terrain. Notre premier arrêt est dans la zone industrielle de Karnei Shomron, une colonie de 6.500 habitants datant de 1978, située au sud de Tulkarem. Dans la zone industrielle, nous avons compté 10 usines israéliennes. Devant l'acierie "G.T.", qui est entourée par de hauts murs - selon les Palestiniens, elle fabrique des pièces pour l'armée - nous tombons sur Hakan, 46 ans. Hakan travaille depuis 9 ans pour "G.T." mais il ne veut plus y rester. "Je travaille 10 heures par jour et je gagne 100 shekels (18€). Mon patron est très dur. L'autre jour, un bloc de 200 kilos est tombé sur le pied de mon collègue et le patron lui a dit de continuer de travailler parce que la douleur passerait. Je ne suis pas assuré et je suis inquiet de ce qui arrivera à ma famille si je suis blessé ici. Ca ne vaut pas le coup." Nous avons tenté de parler à l'employeur d'Hakan mais la porte est restée fermée. Les espions ne sont pas les bienvenus ici. Sur le parking de l'usine voisine de poubelles en métal - nous n'avons pas trouvé son nom – il s'est produit un incident particulier. Un jeune Palestinien s'est approché de notre voiture et il nous a chuchoté par la vitre à demi ouverte, tout en nous regardant et en surveillant nerveusement l'entrée de l'usine : "Je travaille ici et je gagne 9 shekels (1,6€) de l'heure mais je ne peux pas le prouver que parce que je n'ai aucun bulletin de salaire ou tout autre document." Quand un homme âgé s'est dirigé vers nous – plus tard, nous avons compris qu'il s'agissait de son chef – il nous a dit nerveusement : "Ne lui dites rien" et soudain il a disparu entre les voitures sur le parking. Mais Faleh – le contremaitre palestinien – insiste sur le fait que les conditions de travail sont parfaites. "Les Palestiniens devraient être heureux d'avoir un travail ici. Tout le monde est bien payé. Moi, par exemple, je gagne 11.000 shekels (2.000€) par mois." Perplexes par les contradictions des histoires, nous quittons de l'usine. Qui dit vrai, qui dit faux ? Est-ce que tous ces ouvriers racontent des histoires ou est-ce l'indication d'un phénomène qui existe dans certaines usines que m'avait expliqué Alinat : un système colonial du genre "diviser pour régner" dans lequel certains "bons" Palestiniens obtiennent des faveurs - de meilleurs salaires et conditions - en échange d'informations sur la conduite des autres ouvriers et d'un contrôle quotidien ? {{Barkan}} Après être passés par les zones industrielles d'Alfei Menashe et d'Emanuel, où nous avons entendu des plaintes similaires de la part des ouvriers, nous nous rendons à Barkan, à l'est de la Cisjordanie, qui est située au sommet d'une colline près d'Ariel. Barkan existe depuis 25 ans et elle est, avec ses 120 usines, l'une des principales zones industrielles en Cisjordanie. De toute évidence, Barkan projette une nouvelle expansion, puisque, en bas de la pente, nous remarquons des constructions en cours. Les usines fabriquent divers produits, allant du plastique, du métal, à de la nourriture et du textile et emploient environ 5.000 ouvriers. Certains des produits sont exportés vers le marché européen, selon le rapport publié en 2006 par United Civilians for Peace. La multinationale européenne Unilever détient une majorité d'actions dans l'entreprise Beigel et Beigel, où environ 50 Palestiniens travaillent et Ketter Plastics vend ses produits en Hollande et en Belgique. Les rues sont vides. La plupart des usines se trouvent derrière des murs et des barrières. Via l'intercom de la porte, nous essayons de parler à plusieurs employeurs, mais nous nous faisons renvoyer. AOram Joram Arizot, une usine d'emballages plastique, le directeur, Ronnie Kaufman, nous invite dans son bureau. Nous ne sommes pas autorisés à entrer dans l'usine, dit Kaufman, parce que nous ne sommes pas assurés. Cette usine avec un chiffre d'affaires annuel de 5.000.000 dollars emploie 20 ouvriers, moitié Israéliens et moitié Palestiniens. Nous entendons la même histoire. Selon Kaufman, les relations sont bonnes et il appelle un Palestinien pour le confirmer. Ibrahim, un vieil homme avec des rides autour des yeux, travaille ici depuis 18 ans et il dit qu'il est satisfait de son travail. "Je gagne 5.000 shekels (910€) et il y a une bonne ambiance. Que peut-on demander de plus ?" Mais quand nous revenons à notre voiture, un autre employé qui a reconnu Sadea l'appelle sur son téléphone portable et met en garde : "Ne soyez pas déçus par l'histoire d'Ibrahim. Nous ne gagnons que 9 shekels de l'heure et nous travaillons dix heures par jour." {{Chaos juridique }} Notre confusion est totale quand nous essayons de vérifier quelle législation régit la relation entre une entreprise israélienne et un ouvrier palestinien sur le sol palestinien. Est-ce la législation du travail israélienne ou peut-être la loi militaire ? Ou même la législation palestinienne ? Selon Juval Livnat, un avocat spécialisé dans la législation du travail et conseiller juridique de Kav La Oved, ce n'est pas clair. Les zones industrielles et les colonies sont habituellement situées dans la soi-disant "Zone C", ce qui signifie qu'elles tombent sous la juridiction israélienne. On pourrait s'attendre à ce que la législation du travail israélienne y soit appliquée, mais le tribunal du travail a décidé que la législation jordanienne était applicable aux ouvriers palestiniens, à moins cela viole l'intérêt public. Une telle décision est interprétable de différentes facons et vague. D'ailleurs, la législation jordanienne remonte à 1967 - avant la Guerre des Six Jours - et donne aux ouvriers des droits et une protection très limités concernant les heures de travail, les normes de sécurité et les vacances. Résultat : Les ouvriers palestiniens sont juridiquement discriminés par rapport à leurs collègues israéliens sur un même lieu de travail, et c'est inacceptable." Les Palestiniens semblent avoir droit au salaire minimum israélien, selon un ancien ordre militaire israélien, mais le Minhal Izrahi, l'Administration Civile pour la "Judée et Samarie", qui doit surveiller cet ordre, ne le fait pas. Livnat : "J'ai envoyé des plaintes au sujet de fausses formes de rémunération – par exemple, l'employeur a déclaré moins de jours que l'ouvrier a travaillé - et des bulletins de salaires falsifiés au Minhal Izrahi, mais il n'a pas donné suite." Dans un Etat démocratique, la solution semble évidente. Pourquoi ces Palestiniens ne poursuivent-ils pas leurs employeurs devant un tribunal du travail israélien ? Mais même s'ils avaient le courage de le faire, ces Palestiniens seraient confrontés à encore une autre barrière. Ils sont considérés comme des résidants étrangers en Israel qui pourraient ne pas payer leurs dettes et donc ils doivent déposer de fortes sommes d'argent pour garantir le paiement des dépenses de tribunal qui peuvent s'élever jusqu'à 5.000 shekels avant même que les procédures n'aient commencé. Et le droit international ne peut pas les aider non plus, explique un représentant de l'organisation OIT (Organisation Internationale du Travail de l'ONU), parce qu'il y a une incertitude juridique quant au fait de savoir si Israel appliquera les engagements des traités internationaux concernant des normes de travail dans les territoires occupés. {{L'autorité}} Le chaos juridique, l'insécurité au sujet des droits, le manque d'information parce que les témoins ont peur de parler et une totale dépendance entre les histoires des employeurs et des employés semblent avoir transformé la Cisjordanie en "no-man's land" juridique où tout est possible et rien n'est interdit. Nous nous tournons vers la seule institution indépendante qui devrait et pourrait connaître tous les faits : le Minhal Izrahi. Selon les Mesures de l'Etat d'Israel pour améliorer le bien-être de la population dans les territoires, "cette institution est responsable :(…) de l’administration des activités civiles (…) pour le bien-être et dans le meilleur intérêt de la population Arabe et l’une des mesures qui est mentionnée est "l’établissement d’un salaire minimum".

Mais le représentant responsable des affaires concernant le travail, Itzhak Levi, n’est pas autorisé à nous fournir d’informations sur le nombre d’usines israéliennes en Cisjordanie, leur nombre d’employés, ou si le "Minha" est au courant de plaintes semblables et ce qu’il prévoit de faire sur le sujet.

Il nous a renvoyé vers le capitaine Tzidki Maman qui nous a promis une réponse rapide. C’était le 18 février mais depuis, nous n’avons pas entendu parler de lui.

Et tandis que (le capitaine) Maman cherche des réponses, l’ouvrier palestinien M. continue à travailler en silence dans la zone industrielle de Tulkarem.

Pour lui, il n’y a aucune autre solution.

* Simone Korkus est une journaliste et juriste hollandaise qui travaille en Palestine depuis 2002