Un pays ravagé par la pauvreté
Qui ne se souvient pas des images terribles qui avaient frappé les écrans de télévision du monde dans les années 1980 ? Cette terrible famine éthiopienne est restée dans l’imaginaire collectif. Encore aujourd’hui, les 70 millions d’habitants restent très pauvres. Sur l’échelle du développement humain de l’ONU, l’Éthiopie se range au 170ième rang sur 177 pays. 10 millions de paysans vivent une famine structurelle et permanente (avec moins de 25 cents par jour !) pendant que le reste de la population, à 80% rurale, survit à peine. L’aide humanitaire qui est importante ne parvient pas à changer cette situation d’une manière significative. La structure économique du pays, très dépendante de l’agriculture et de l’exportation de quelques denrées commercialisables (dont le café), ne permet pas une croissance permettant d’améliorer le sort de la majorité et de faire face à l’augmentation de la population.
De la démocratie à la démocrature
En 1994, une révolution avait renversé une dictature appuyée à l’époque par l’Union soviétique. Une coalition qui a alors pris le nom du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) s’est installée au pouvoir. Originaire de la périphérie de l’Éthiopie, le Front dirigé par Meles Zelawi a eu de la difficulté à s’imposer, mais au départ, une majorité d’Éthiopiens était prête à lui laisser le bénéfice du doute. L’opposition était d’autant plus faible puisqu’elle était soit associée à l’ancien régime impérial, soit à des mouvements régionalistes ou ethniques aux objectifs peu définis. En 1995, le Front tentait de consolider son emprise en faisant adopter une nouvelle constitution de nature fédérale, dans laquelle diverses provinces sont découpées sur une base ethnolinguistique. Sur papier, ce projet paraissait bien car il semblait donner une certaine forme d’autonomie aux nations et aux régions. Mais en pratique selon plusieurs observateurs, le FRDPE s’est assuré de contrôler le gouvernement central d’une manière autoritaire. Selon le professeur Christopher Clapham du Centre des études africaines de l’Université Cambridge, le Front a gouverné à la manière de l’URSS, en jouant sur les contradictions interethniques pour éviter une réelle démocratisation. Les régions n’ont pas réellement accédé à davantage de pouvoirs. Et quant au pouvoir central, il a été accaparé par le Front dans une sorte de démocrature.
Des élections qui ont mal tourné
Par la suite, le Parlement et les partis politiques ont été confinés à un rôle subalterne. De même que les associations de la société civile et les médias ont été contraints d’opérer dans des limites étroites. Certes par rapport à la période de la dictature précédente, il y a eu des progrès, mais comme l’explique le professeur Clapham, « le FRDPE n’a jamais opéré de manière démocratique et ouverte. Par exemple, le président Meles est pratiquement invisible, comme un empereur vivant dans son palais d’Arakat Kilo. Entre temps, le fonctionnement du gouvernement est resté opaque, dans la tradition d’un régime marxiste-léniniste où les vraies décisions sont appropriées par le Politburo ». Lors des dernières élections en mai 2005, les principaux partis d’opposition dont la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD) auraient selon les observateurs remporté les élections dans les grandes villes, notamment Adis Abeba. Mais à la dernière minute, une fraude gigantesque a été organisée. Par la suite, l’Union européenne a interpellé le Président Meles pour lui suggérer de mettre en place un gouvernement d’unité nationale, mais celui-ci a rejeté cette proposition. Un rapport récent de Human Rigths Watch fait état d’arrestations arbitraires et d’intimidation contre des personnes associées aux partis d’opposition. Selon Peter Takirambudde, le directeur du secteur Afrique de HRW, « la répression est plus forte dans les régions rurales loin des yeux de la presse internationale, notamment dans les zones oromos au sud. La population y est terrorisée par la police fédérale qui opère avec des milices locales ».