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Du conflit politique vers une guerre de religion ?

Mercredi 24 mai 2006, par Bernard Ravenel

De la provocation sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem en septembre 2000 à l’assassinat du cheikh Ahmed Yassine, Ariel Sharon a mis en oeuvre une stratégie visant à transformer le conflit israélo-palestinien en guerre des religions. Un choix qui passe, parallèlement, par une tentative de délégitimation de l’Autorité palestinienne.

S’interroger aujourd’hui sur les rapports entre le Hamas et le pouvoir israélien, et plus particulièrement sur le rôle de la stratégie israélienne dans l’affirmation du Hamas, ne peut dispenser de s’interroger aussi sur les atouts politiques de ce mouvement comme organisation de résistance nationale islamique face à Israël. Il est important de questionner les responsabilités politiques du Fatah dans sa propre défaite. Mais l’histoire des rapports entre la politique israélienne et le mouvement islamique mérite une approche particulière car elle éclaire les objectifs réels de la droite israélienne désormais au pouvoir.

Ariel Sharon choisit le Hamas

Au-delà d’une stratégie élaborée dès le milieu des années 70 qu’en est-il de la stratégie qu’Ariel Sharon a mise au point puis appliquée une fois arrivé au pouvoir en février 2001 ? Tout commence avec sa « promenade » provocatrice sur l’esplanade des mosquées, en septembre 2000 et qui revêt un double sens. Nationaliste, elle réaffirme la souveraineté d’Israël à la fois sur Jérusalem- Est et sur le Mont du Temple ; idéologique, elle situe l’affrontement sur le terrain du religieux. Plus qu’à l’Autorité palestinienne, le message, en revendiquant le Mont du Temple en lieu et place des mosquées, s’adresse au Hamas comme étant l’ennemi choisi.

Pour comprendre la stratégie d’Ariel Sharon, qui arrivera au pouvoir en février 2001 dans la foulée de cette « promenade », il faut en revenir à Oslo. Les accords d’Oslo en 1993 ont été considérés par la droite nationaliste israélienne comme une défaite, un désastre par rapport à ses objectifs et ceux des ultra-orthodoxes qui visaient l’annexion pure et simple des territoires occupés en 1967. La réalisation du rêve du Grand Israël - Eretz Israel - constitue pour la droite religieuse un principe absolu, intangible, lié à la promesse divine, et pour une partie des militaires -mais une partie seulement- une nécessité en matière de sécurité... Ariel Sharon, bien que laïc, représente politiquement cette mouvance militaromessianique quand il déclare : « L’accord d’Oslo est le plus grand malheur qui se soit abattu sur Israël et tout doit être fait pour le détruire ». Une fois au pouvoir en février 2001 - et surtout après le 11 septembre 2001 - Sharon estime que c’est le moment ou jamais de prendre sa revanche sur la défaite temporaire d’Oslo.

Or, pour annuler les accords d’Oslo, il est nécessaire de parvenir à délégitimer l’Autorité palestinienne. Liquider ou exiler Arafat, qu’importe ! Il faut transformer tout Palestinien en un ennemi. Cette stratégie suppose l’écroulement à court terme d’Arafat qui serait remplacé, dans les fantasmes des dirigeants israéliens, par une classique - dans l’histoire coloniale - « troisième force » issue de l’oligarchie palestinienne plus pragmatique et plus accommodante... C’est le rôle qu’Ariel Sharon aurait souhaité pouvoir faire jouer à Abou Mazen. Mais cette troisième force, espère-t-il encore, serait vite balayée par le mouvement islamiste avec lequel la confrontation serait violente et dans laquelle Israël serait soutenu par tout l’Occident.

Nous y sommes. C’est tout le sens de la politique unilatérale menée depuis par Ariel Sharon qui a visé à compromettre, décrédibiliser le groupe dirigeant palestinien « laïque », faisant ainsi croître le poids des tendances religieuses.

Face à cette Autorité ainsi progressivement réduite à l’impuissance, le Hamas apparaît aux yeux des Palestiniens comme la force qui se bat de la manière la plus déterminée contre l’occupation israélienne. Il en tire nécessairement un grand bénéfice politique.

L’assassinat du Cheikh Yassine

Mais le développement du Hamas comme mouvement politique de masse sous l’autorité de son fondateur et chef spirituel, le cheikh Ahmed Yassine, s’est accompagné d’une évolution politique importante. A partir de la position idéologico- religieuse de sa Charte visant à rétablir la présence musulmane sur toute la terre « sacrée » de Palestine - ce qui signifie le refus de l’existence d’Israël - le Hamas, sous l’influence de Cheikh Yassine, dessine progressivement une perspective politique de reconnaissance de facto de l’ennemi avec lequel il envisage une trêve de longue durée. Dans un entretien au journal Le Monde du 7 mai 2003, Ahmed Yassine assure qu’une trêve ne lui pose aucun problème et, précise-t-il, « c’est possible si Israël accepte l’évacuation des zones occupées depuis 1967, l’établissement d’un Etat palestinien sur Gaza et la Cisjordanie avec Jérusalem comme capitale. »

A ce moment précis, le cheikh Yassine se rapproche du compromis historique avec Israël tel qu’il a été proclamé par le Conseil national palestinien d’Alger en novembre 1988. Se situant dans une perspective d’accession au pouvoir, il se pose du même coup comme interlocuteur possible et crédible d’une négociation politique avec Israël. Neuf mois après, le cheikh Yassine est assassiné sur ordre de Sharon.

Avec l’élimination physique d’Ahmed Yassine, Ariel Sharon poursuit un objectif précis et stratégique : faire avorter toute possibilité de négociation faute d’interlocuteur, jeter les masses palestiniennes dans les bras des secteurs les plus extrêmes, appeler - presque invoquer- la « riposte terroriste » de la résistance et inscrire la lutte palestinienne dans la « guerre contre le terrorisme » lancée par les Etats-Unis.

Ce faisant, Ariel Sharon entend altérer profondément la nature du conflit. Il veut transformer le conflit politique avec les Palestiniens en une guerre entre le « peuple musulman de Palestine » et le « peuple juif d’Israël ». Il allume la mèche de la guerre sainte entre le monde judéochrétien et le monde de l’islam. En même temps, il s’adapte aux ambitions des néo-conservateurs américains et aux annonces apocalyptiques des chrétiens fondamentalistes. Finalement, Ariel Sharon propose de fait une guerre totale avec le monde islamique. C’est là que se situe la convergence entre l’unilatéralisme américain et ses propres plans unilatéraux. Ariel Sharon pousse le monde vers une catastrophe globale. Après l’assassinat du cheikh Yassine, le Hamas a émis un communiqué proclamant que Sharon avait « ouvert les portes de l’enfer ».

Délégitimer Abou Mazen : la farce du retrait de Gaza

Bien vite, il est apparu que la sortie de Gaza ne représentait pas la relance d’un processus de paix mais une stratégie tendant à imposer aux Palestiniens une solution qui ignore leurs principales revendications. Quand tout le monde attendait des négociations, celles-ci n’ont jamais démarré. Et la paralysie diplomatique a confirmé, aux yeux des Palestiniens, que la voie diplomatique d’Abou Mazen et du Fatah ne fonctionnait pas. Ceux-ci, ayant les rênes du pouvoir dans une situation d’impasse politique totale, de marginalisation et d’unilatéralisme, en ont payé le prix.

Ainsi, après ce « retrait unilatéral », le gouvernement israélien a démontré aux Palestiniens que la voie de vraies négociations n’existait pas. Cela a été le meilleur argument pour convaincre beaucoup de Palestiniens que le Hamas était peut-être l’alternative. Le soutien à Abou Mazen et à son gouvernement a diminué à mesure qu’apparaissaient les limites de l’ouverture israélienne à des négociations de paix (refus de tenir la promesse de libérer des prisonniers, de lever des barrages en Cisjordanie, etc.) Le consensus a encore diminué quand la bande de Gaza s’est révélée une grande prison et que la vie dans les territoires occupés devenait de jour en jour plus difficile. Si on ajoute à tout cela la corruption et le processus de désintégration du gouvernement palestinien, on comprend mieux la défaite du Fatah et par conséquent la victoire du Hamas. A présent, pour Israël qui a gelé toute négociation politique depuis 2001, beaucoup de choses paraissent se simplifier. Son gouvernement espère pouvoir compléter tranquillement la construction du Mur en Cisjordanie et préparer de nouveaux plans unilatéraux. Avec un gouvernement Hamas, on mise sur le fait qu’il n’y aura plus grand monde à l’extérieur pour protester. Face au Hamas qui semble choisir la voie politique, les héritiers de Sharon vont-ils comprendre que s’ils continuent sur la même ligne unilatérale, ils vont à la catastrophe ?

Pour la Palestine n°49