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Forum social mondial

Débats sur la stratégie

En marge du Conseil International d’Abuja du 30 mars au 4 avril 2008

Lundi 21 avril 2008, par Gustave MASSIAH

Cette introduction est une synthèse basée sur les cinq rapports introductifs qui ont repris une présentation d’environ cent contributions publiées sur le site, et sur les relations des dix rapporteurs qui ont repris les débats des cinq groupes de travail qui ont fonctionné en parallèle avec les cent-vingt participants du Conseil International. Cette synthèse a été rédigée par Gustave Massiah.

Une résolution du Conseil International a été présentée par la Commission Stratégie à l’issue de la séance plénière qui a discuté le rapport de synthèse.

L’état du débat

Pourquoi organiser une discussion plus formelle maintenant ? Les débats sont présents depuis le début du FSM. Le CI décide d’un débat stratégique dans les deux derniers CI en 2007, ceux de Berlin et Bélém. Il y a des questions nouvelles ; il faut tenir compte du contexte socio-politique et de l’évolution des mouvements ; les stratégies des composantes du mouvement changent.

L’organisation du débat. Depuis la création de la commission stratégie, plus de cent contributions ont été diffusées sur le site, certaines antérieures à Bélém. Certaines sont individuelles, d’autres ont été collectivement présentées. Nous sommes à une étape. Les questions vont être renvoyées aux composantes du FSM et à ceux qui s’y intéressent. Certaines questions et réflexions alimenteront des débats de fond dans la durée. D’autres concernent les prochaines échéances du FSM et, après consultation, donneront lieu à des décisions au prochain CI ou à celui d’après.

Le débat a été organisé en cinq parties : L’appréciation du contexte socio-politique ; l’évolution des mouvements qui sont à la base du FSM ; le débat actuel entre espace ouvert et promotion des actions ; l’avenir du FSM ; les prochaines échéances et l’organisation des prochains événements. Ces questions sont évidemment liées, leur partition correspond à une lecture des contributions en fonction de la mise en évidence des questions en débat.

Le contexte géopolitique

L’appréciation du contexte est construite à travers la lecture qu’en font les mouvements qui sont à la base du FSM et en fonction des conséquences possibles pour les mouvements et pour le FSM.

Quelle rupture et quelle continuité. Sommes-nous dans un contexte différent de 2000/2001 ? Plusieurs positions insistent sur les suites du 11 septembre et le passage à un néolibéralisme de guerre, encore plus agressif, plus oppresseur, plus exploiteur. Deux dimensions sont mises en avant, l’évolution du système économique mondial et la militarisation de la stratégie politique.

L’évolution du système économique mondial met l’accent sur la crise financière. Ce n’est pas la première crise financière (Mexique, Brésil, Inde, Argentine, etc.) mais celle-ci semble structurellement plus grave. La comparaison avec la crise de 1929 est fréquente. L’impact sur l’économie réelle est visible et risque de s’approfondir. Les changements dans le système capitaliste peuvent être très rapides et inattendus.

La crise de la dette entre dans une nouvelle phase. La question du pouvoir d’achat et l’évolution des prix devient préoccupante dans tous les pays. La croissance va de pair avec la précarisation, la remise en cause des régimes sociaux là où ils avaient progressé dans la période précédente. Les inégalités, les discriminations et la grande pauvreté se développent malgré l’expansion rapide des pays émergents. Comment apprécier cette évolution et ses conséquences pour les couches populaires et les mouvements sociaux. Les institutions responsables de la régulation du système économique international, FMI, BM, OMC, sont en crise. Les nouveaux accords économiques bilatéraux remplacent le multilatéralisme. La crise du capitalisme ouvre-t-elle une fenêtre d’opportunité pour les mouvements.

La crise de l’hégémonie des Etats-Unis est entrée dans une nouvelle phase. L’agressivité des Etats-Unis a augmenté, mais leur tentative d’expansion a échoué.
Le Moyen-Orient est au centre de la crise militaire (Afghanistan, Irak, Israël, etc.)
La fuite en avant dans la guerre s’accentue, la déstabilisation est une des manières de conserver le contrôle. Le fondamentalisme des Etats-Unis incarné par l’administration Bush a accentué la montée des fondamentalismes, des nationalismes exacerbés et des sectarismes. Le rôle des militaires alliés des Etats-Unis redevient très important. Les droits fondamentaux sont gravement compromis et sont cantonnés aux discours ; la torture est banalisée, les droits des femmes sont remis en cause, y compris en Europe, les politiques sécuritaires sont déterminantes. La question des libertés et des luttes contre la guerre deviennent fondamentales pour tous les mouvements.

La prise de conscience de la crise écologique a progressé. Mais cette prise de conscience n’a pas atteint la remise en cause du rôle des multinationales ni celle du modèle de production et de consommation dominant. On ne peut pas écarter des propositions de sortie à la crise écologique par la guerre et des politiques autoritaires. Les mouvements à la base des FSM ont la lourde responsabilité de lier la question écologique à la question sociale et de mettre en évidence leurs conséquences sur les guerres et les libertés. L’arme alimentaire renforce la guerre pour le contrôle énergétique.

Les représentations géopolitiques changent. L’apparition d’un pôle émergent (Chine, Brésil, Inde) remet en perspective la centralité occidentale. La bataille idéologique, baptisée guerre des civilisations, construit l’islamophobie. L’Europe accentue un contrôle de nature coloniale dans sa zone d’influence et mène une véritable guerre aux migrants. La concurrence entre l’Europe et les Etats-Unis peut s’accentuer. La concurrence entre les leaders régionaux relance la discussion sur le nucléaire militaire. Les grandes régions réagissent différemment à la crise de l’hégémonie des Etats-Unis ; par la concurrence commerciale en Asie, par la résistance armée à la guerre pour les matières premières énergétiques au Moyen-Orient, par la déstabilisation en Afrique, par des gouvernements se revendiquant des mouvements civiques en Amérique Latine. Pour le processus du FSM, les forums continentaux et régionaux prennent une importance stratégique renforcée.

Il s’agit de questions qui pourront faire l’objet de débats ouverts, dans le FSM et à l’extérieur. Dans le cadre du FSM, nous devons mettre l’accent sur les conséquences pour les couches populaires, les mouvements sociaux et citoyens et les FSM.

La situation des mouvements

Ce mouvement prolonge et renouvelle des mouvements historiques de longue période, et particulièrement les grandes luttes syndicales du 20e siècle, la décolonisation, les mouvements paysans, le mouvement pour les libertés et la démocratie dont une des expressions a été celle des années 68 dans le monde, le mouvement féministe. Ce mouvement a aussi des sources plus récentes, le zapatisme, les luttes contre le FMI et la dette dans le Sud dès les années 80, la jeunesse radicalisée (traitée de globalophobique) contre le G8, le FMI et l’OMC dans les années 90.

Dans les années 90, des réseaux, des coalitions sectorielles construisent des nouvelles alliances, par exemple en Amazonie, les paysans, les femmes et les indigènes. Des campagnes et des plate-formes se construisent à l’échelle mondiale en s’appuyant sur les contre-sommets internationaux que les Nations-Unies, confrontées à la volonté de marginalisation du G8, ouvrent à la société civile. Ainsi des campagnes sur l’environnement après Rio en 92, des luttes féministes après Pékin en 95, sur les droits après Vienne en 94, sur l’habitat et la ville après Istanbul en 96. Ainsi que les grandes campagnes sur la dette, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, les paradis fiscaux, la taxation financière internationale, la pauvreté et les mouvements comme l’économie sociale et solidaire, le commerce équitable, etc.

Le FSM donne une visibilité aux luttes sociales à l’échelle globale. Il est l’outil qui répond à une interrogation fondamentale des mouvements, la nécessité d’intervenir régulièrement et continuellement à l’échelle globale. Et aussi de lier les luttes locales et nationales entre elles, d’affirmer le nécessaire débouché à l’échelle des grandes régions et du monde par rapport au système économique et politique mondial. Le FSM dans ses formes met en évidence la diversité des contestations et leur nécessaire liaison. Le manque de visibilité, d’impact et d’efficacité n’est pas une constante du mouvement, il est à apprécier par rapport à la nouvelle période. De nombreux forums ont montré qu’une culture du travail entre mouvements différents a progressé et que la nécessité de donner leur place aux communautés défavorisées et discriminées trouve droit de cité, même si elle est très difficile à assumer dans la durée.

Le FSM a joué un rôle dans l’émergence d’une nouvelle culture politique. Les composantes de cette structure existaient dans des secteurs restreints ou étaient en gestation sur une base plus large. Les activités autogérées, la démocratie participative, l’horizontalité, le respect affirmé de la diversité en sont quelques uns des éléments. En les affirmant comme constituants de ses formes d’organisation, le FSM a affirmé que la question de la culture politique et des formes de pouvoir faisaient partie des questions stratégiques. Et que la liaison entre l’organisation interne et l’action externe, pour difficile qu’elle soit, faisait partie des impératifs. Il faut maintenant interroger ces constituants d’une culture politique par rapport à l’efficacité des luttes et par rapport aux contradictions nouvelles qu’elles soulèvent et aux difficultés d’une mise en œuvre de plus en plus exigeante. Cette culture politique a permis aussi de lever des tabous, de discuter de la paix au Cachemire au Forum de Karachi, des Sahraouis au Maroc, des minorités sexuelles à Nairobi, etc. de même l’affirmation d’un mouvement à la fois antibureaucratique et anticapitaliste en Russie. Mais, cette culture politique est confrontée à la culture dominante, l’individualisme et l’égoïsme « sacré », la sécurité et la peur de l’autre et de l’étranger.

Le mouvement social et citoyen et le FSM ont-ils eu des résultats ? Huit ans est une période assez courte pour en juger mais on peut avancer des hypothèses. Le mouvement a participé à la délégitimation du système financier international et des institutions internationales chargée de l’organiser. Il a permis dans certains cas de remettre en cause des offensives stratégiques, comme l’ALCA en Amérique Latine. Des gouvernements, très divers, qui se revendiquent des mouvements se sont imposés en Amérique Latine. De même des idées portées par le mouvement sont aujourd’hui acceptées dans le débat international (la redistribution, les taxations, l’accès aux droits pour tous, etc.). Le mouvement a permis l’émergence d’une force mondiale mais n’a pas réussi à traiter de la question d’un pouvoir mondial. La question reste ouverte de savoir dans quelle mesure la crise du capitalisme, liée à des contradictions internes, est aussi liée aux actions des mouvements qui l’ont contestés.

La situation des mouvements sociaux et citoyens qui sont à la base du FSM est contradictoire. Il n’est pas aisé de répondre à la question sur la situation des mouvements et des luttes : sont-elles à l’offensive ou sont-elles en reflux ? L’offensive très agressive après le 11 septembre a mis une partie des mouvements sur la défensive en déplaçant l’offensive vers la guerre et les libertés, notamment par la criminalisation des mouvements. Mais on ne peut pas parler d’un déclin des mouvements. Les luttes continuent dans toutes les régions du monde sur des thèmes et avec des formes qui changent. Il faut les apprécier et travailler sur les stratégies des mouvements qui les mènent. Apprécier l’évolution du mouvement à différents niveaux, local et national, et leurs répercussions continentales et mondiales. Analyser les thématiques, les mots d’ordre et les propositions portées par les mouvements. Le FSM peut jouer son rôle au service des mouvements en mettant en évidence les défis communs et en créant un espace des débats entre les stratégies des mouvements.

Le FSM est le résultat du mouvement. Il n’en est pas la conséquence automatique, sa chance est celle du mouvement. Il s’agit là aussi de lancer des débats ouverts. Ce qu’il nous faut mettre en évidence c’est le rapport entre le FSM et l‘évolution des mouvements sociaux et citoyens qui lui ont donné naissance.

Gustave MASSIAH préside le CRID et IPAM et est membre du secrétariat d’Alernatives-International