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IRAN - ÉTATS-UNis

De nouvelles cibles

Seymor Hersh du NewYorker parle

Mardi 2 octobre 2007

Dans son dernier article, Hersh décrit la nouvelle tactique à l’oeuvre à Washington. La justification du conflit contre l’Iran à cause de son programme nucléaire a laissé place à de nouvelles accusations de déstabilisations en Irak. Seymour Hersh répondait hier soir aux questions de Wolf Blitzer sur CNN. Transcription VF

Blitzer : Parlons de votre article « Changement de cibles : le plan de l’administration pour l’Iran . » Je voudrais présenter une vidéo d’une déclaration du président Bush le 28 août au Nevada.

Bush : Les attaques sur nos bases et sur nos troupes menées à l’aide de munitions fournies par l’Iran ont augmenté ces derniers mois malgré les engagements de l’Iran d’aider à la stabilisation de la situation sécuritaire en Irak.

Je prendrais les mesures nécessaires pour protéger nos troupes. J’ai autorisés nos chefs militaires en Iran à se confronter aux activités meurtrières de l’Iran.

Blitzer : Vous citez cette déclaration parmi de nombreuses autres qui montrent une escalade dans les discours de Washington. Que se passe-t-il ?

Hersh : Ils ont changé de discours, vraiment. Le leitmotiv était précédemment : il y a une menace nucléaire. L’Iran va avoir la bombe rapidement, nous devons agir.

Quelque chose de semblable à ce que nous avons eu avant la guerre en Irak. Ce qui s’est passé, c’est qu’au cours des derniers mois, ils se sont rendu compte qu’ils ne convainquaient pas. Cela ne marche pas. L’opinion américaine ne se préoccupe pas d’une menace nucléaire iranienne comme elle le faisait pour l’Irak. Il y a du scepticisme. Alors ils ont basculé, vraiment.

Blitzer : Est-ce uniquement une tactique de communication, ou comme l’affirme le gouvernement il y a des preuves d’une importante implication des iraniens dans le développement des violences confessionnelles en Irak ?

Hersh : Absolument, les iraniens sont profondément impliqués dans les attaques meurtrières contre les forces américaines et britanniques de la coalition. Mais il faut dire également que nous ne savons pas si l’Iran tente d’obtenir une bombe ou pas.

Mais le fait est qu’il n’y a pas de preuve. La Maison Blanche a finalement admis l’idée, partagée par à peu près tout le monde aux USA, que les iraniens en sont éloignés de cinq ans au moins.

Blitzer : d’obtenir une bombe nucléaire.

Hersh : Absolument : Ils [les iraniens] n’arrivent à rien avec leurs recherches, malgré leurs bravades. Donc la Maison Blanche a basculé.

Au lieu d’essayer de vendre, non seulement aux américains mais aussi à nos alliés, l’idée d’un bombardement massif contre les infrastructures - ce qu’ils appellent une contre-prolifération dirigée contre les infrastructures de la bombe iranienne, en frappant les différentes installations que nous savons exister - ils ont maintenant décidé qu’ils vont frapper les iraniens en représailles pour nous avoir attaqué.

Ils vont frapper les quartiers généraux des Gardiens de la Révolution et leurs installations. Ils vont réviser à la baisse les bombardements. Ils vont les réorienter. Cela sera plus chirurgical. Cela sera beaucoup plus limité.

Blitzer : Frappes aériennes. Je vais citer votre article : « Pendant une video-conférence sur un circuit de communication sécurisé qui a eu lieu cet été, le président a dit à Ryan Crocker, l’ambassadeur US en Irak qu’il réfléchissait à une frappe contre des cibles iraniennes à travers la frontière et que les britanniques étaient partie prenante. Bush a terminé en donnant à Crocker des instructions pour dire aux iraniens d’arrêter d’interférer en Irak sinon ils auraient à faire face à des représailles américaines. »

Vous interprétez cela comme un changement dans la stratégie américaine ?

Hersh : C’est un changement de ciblage. Nous menaçons l’Iran, nous le faisons constamment. Mais au lieu de dire au américains, à l’intérieur, que c’est au sujet des armes nucléaires, c’est désormais pour s’occuper des gens qui tuent nos boys.

Nous allons frapper les installations à la frontière, les installations en Irak dont nous pensons qu’elles servent à entraîner les terroristes. Nous allons frapper les installations dont nous pensons qu’elles fournissent des explosifs en Irak. Voilà la position du gouvernement.

Blitzer : Il s’agirait d’une attaque aérienne ? Des missiles de croisière et des frappes chirurgicales ? Est-ce cela ?

Hersh : Bien sûr. De nombreux missiles de croisière, de nombreuses frappes chirurgicales. On doit aussi intervenir au sol car il faut supprimer leurs défenses anti-aériennes. Il faut s’assurer, comme quelqu’un me l’a dit, de disposer d’un chemin d’entrée et d’un chemin de sortie.

L’un des problèmes avec tout ceci, c’est qu’à l’intérieur de la communauté du renseignement, l’idée que l’Iran en fait autant que le dit le président n’est pas acceptée. Il y a un grand débat pour savoir à quel point l’Iran est impliqué.

Blitzer : dans ce qui passe en Irak ?

Hersh : Oui.

Blitzer : je cite encore votre article : « J’ai été averti plusieurs fois lors de mes entretiens que le président n’avait pas encore promulgué « l’ordre exécutif » qui serait requis pour une opération sur le sol iranien, et qu’un tel ordre ne serait peut-être jamais émis. Mais il y a eu une accélération significative dans le tempo de planification de l’attaque. »

Pouivez vous expliquez ce que vous entendez par accélération du tempo ?

Hersh : Publiquement nous fustigeons la Garde Républicaine. Le ton se durcit, tout comme nous venons de l’entendre avec la déclaration du président en août dans le clip que vous avez montré.

A l’intérieur, la CIA a beaucoup accru son dispositif. Il y a quelque chose qui s’appelle le Groupe d’Opération Iranien. Nous avions le même type de groupe pour la guerre d’Irak. Il a soudainement connu une explosion en nombre de personnel. Ils faisaient le tour, prenant une dizaine de personnes ici, une dizaine là. Ils ont construit un très très gros groupe opérationnel.

On m’a également dit, je ne l’ai pas écrit dans l’article, que le Conseil National de Sécurité à la Maison Blanche est beaucoup plus centré sur l’attaque de l’Iran qu’il ne l’était avant. Il y a eu un accroissement significatif à l’intérieur des services.

Blitzer : sur l’opération militaire voici ce que Dana Perino, du secrétariat de presse de la Maison Blanche nous a dit : « Le président pense que ce problème peut être solutionné diplomatiquement. Et le gouvernement travaille avec la communauté internationale via le Conseil de Sécurité de l’ONU plus l’Allemagne pour que les mesures diplomatiques conduisent l’Iran à mettre un terme à ses activités d’enrichissement. »

Hersh : Au même moment où j’écrivais mon article, ils défendaient cette idée d’une attaque planifiée frappant les Gardiens de la Révolution, de façon plus limitée, chirurgicale.

Et où les britanniques...qui étaient très hostiles à l’idée d’un millier de cibles, de bombes, de toute la force aérienne arrivant et bombardant les installations nucléaires dont de nombreuses sont enterrées - cela requiert de très nombreuses bombes.

Les britanniques sont intéressés à cette idée. Il y a eu des manifestations d’intérêt de la part de l’Australie, d’autres pays. Les israéliens, bien sûr, ont eu leurs récompenses. Ils sont très énervés à l’idée de ne pas y participer.

Si on aborde l’Iran, la position israélienne est très ferme. Ils veulent que nous y allions. Et ils veulent que nous frappions fort. Comme un israélien me l’a dit, si l’on tombe nez à nez avec un lion, on l’abat ou on l’ignore. On ne se contente pas de lui tirer les moustaches.

Y aller et éliminer les Gardiens de la Révolution et ne pas éliminer les installations nucléaires est inacceptable pour les israéliens. Mais c’est le plan. Le plan c’est d’être plus chirurgical, plus précautionneux, et d’avoir quelques alliés dans le coup.

Blitzer : Vous écrivez également : « Désormais l’accent est mis sur des frappes chirurgicales sur les bases des Gardiens de la Révolution à Téhéran et ailleurs, qui sont selon l’administration à l’origine des attaques contre les américains en Irak. Ce qui à l’origine était présenté comme une mission contre la prolifération [nucléaire] a été repensé sous la forme du contre terrorisme. »

Il y a évidemment différentes formes d’actions militaires selon que l’on combatte le terrorisme ou la prolifération, les armes nucléaires, par exemple.

Hersh : Absolument. Et on peut aussi plus facilement vendre le contre terrorisme. C’est plus logique. On peut dire aux américains, nous frappons seulement ces gens qui tentent, pensons-nous, de s’en prendre à nos soldats et aux forces de la coalition. Cela semble plus raisonnable.

Parce que la Maison Blanche pense qu’elle peut vraiment promouvoir cela, elle pense que cela pourrait marcher. En d’autres termes, on peut bombarder sans que le monde ne nous hurle dessus et en ayant les britanniques avec nous.

Blitzer : Je vais encore vous citer : « un conseiller en contre terrorisme du Pentagone m’a dit que si la campagne de bombardement avait lieu, elle serait accompagnée par une série de d’incursions courtes et très déterminées d’unités des Forces Spéciales US dans des sites d’entraînement suspectés. Il a déclaré « Cheney est décidé à cela, sans aucun doute »

Il ne s’agirait donc pas uniquement de frappes aériennes. Vous dites qu’il y aurait également des attaques terrestres limitées, y compris des Forces Spéciales.

Hersh : Nous avons des Forces Spéciales sur la frontière en ce moment même, se préparant à y aller. Il y en a au Waziristan également. Ils veulent entrer pour chercher Ben Laden. Nous avons de nombreux hommes des Forces Spéciales, qui sont très compétents, agressifs, qui veulent y aller. Il s’agira d’un aller et retour rapide, je pense. Je ne sais pas ce qui va arriver.

Si nous entrons, on devra y aller au sol, pas seulement pour prendre les camps avec les Forces Spéciales. Les Iraniens ont de nombreux missiles anti-aériens le long de la côte et sont enterrés. On [ne ] peut probablement les atteindre depuis le ciel, donc on peu avoir à envoyer des Marines pour les faire sauter un par un. On ne veut pas que ces gens abattent nos avions.

Blitzer : Vous écrivez sur la possibilité d’une attaque contre l’Iran depuis un certain temps.

Hersh : un an et demi

Blitzer : Ce n’est pas arrivé, mais vous pensez qu’avant que le président ne quitte ses fonctions cela puisse arriver ?

Hersh : Il n’y a pas.... Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’il veut faire quelque chose. Il ne laissera pas l’Iran en situation de devenir une puissance nucléaire, en situation de devenir une menace.

Un autre élément de l’article, c’est que la Maison Blanche comprend que le monde perçoit l’Iran comme le gagnant de l’échec colossal de l’Amérique en Irak. Le ratage en Irak a placé l’Iran en position de pouvoir car les chiites du sud sont très proches de leurs desseins.

Blitzer : Un nouvel élément dans tout ça - vous avez mentionné les britanniques comme étant « à bord », les australiens - mais la France, le nouveau gouvernement du président Sarkozy, le nouveau ministre des AE, qui était ici la semaine dernière, ils semblent très différents de leurs prédécesseurs, le président Chirac et Dominique de Villepin.

Hersh : Absolument. Ils sont très durs. Les français croient vraiment que les iraniens sont près d’obtenir la bombe, et ils voient cela comme un problème. Mais c’est également intéressant car mes amis qui ... il y a des gens... les français aussi font savoir qu’ils ne sont pas en faveur d’une frappe.

Donc le plus... Ils sont ceux qui parlent le plus fort à l’extérieur. Il font beaucoup de bruit pour que nous fassions quelque chose politiquement. Ils mettent une forte pression sur les iraniens. Je pense que les français aimerait vraiment que les iraniens prennent ça au sérieux.

Mais de notre point de vue, ils ne le font pas dans les discussions car tant qu’ils n’abandonnent pas l’enrichissement de l’uranium, nous ne négocierons pas avec eux.


publication originale CNN, traduction Contre Info