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CORÉE DU NORD

Dans la mire

Lundi 23 octobre 2006, par Pierre BEAUDET

Le monde entier convient que le gouvernement nord-coréen devrait abandonner ses projets d’armement nucléaire. Presque tous les États estiment également qu’il faut exercer des pressions diplomatiques et économiques pour ramener Pyongyang à la raison. La résolution adoptée par le Conseil de sécurité pourrait, si les différences d’interprétation qui opposent la Chine aux États-Unis sont résolues, apaiser la tension actuelle. Mais on le voit déjà, les stratégies différentes mises en place par les uns et les autres pourraient faire dérailler le processus. Il importe dès lors d’appréhender la complexité de la crise actuelle.

Comme on le sait, le conflit concernant la péninsule coréenne traine depuis plusieurs décennies. Mais au début des années 1990 à l’époque du Président Clinton, des négociations entamées impliquant les États-Unis, la Russie, la Chine et les deux Corées avaient laissé poindre l’éventualité de la paix. Sur la base d’un projet global, on avait dessiné une région démilitarisée, des rapports d’États à États régularisés, et l’augmentation des échanges économiques et diplomatiques. Les deux Corées semblaient d’accord de jouer le jeu. Puis, l’arrivée au pouvoir de George W. Bush a tout bouleversé. D’emblée, le nouveau Président a voulu marquer le ton en avertissant qu’il allait s’occuper des « États voyous » et de l’« axe du mal », dans lequel il incluait la Corée du Nord. Peu de temps après l’élection, Bush a remis à l’ordre le Président de la Corée du Sud de l’époque qui était à la veille de signer un accord d’envergure avec la Corée du Nord, prévoyant une diminution majeure des engagements militaires des deux pays et l’ouverture économique. Évidemment, le régime nord-coréen s’est braqué et a décidé de poursuivre sa propre militarisation.

L’enjeu nucléaire

Parallèlement, l’administration Bush s’est efforcée de se démarquer des administrations précédentes en plaçant le renforcement des capacités nucléaires américaines en haut de ses priorités. Le traité (START) avec la Russie engageant les deux pays à geler et même à réduire le stock d’armes nucléaires a été abandonné par Washington. Quelque temps après, les États-Unis étaient seuls avec Israël à voter contre une résolution de l’assemblée générale de l’ONU préconisant l’interdiction des armes nucléaires. Actuellement, plus de 15 000 ogives nucléaires américaines sont déployées et réparties dans plusieurs régions dans le monde sur terre, dans l’air et sur mer. Au-delà de l’aspect quantitatif, l’armée américaine dispose également d’une nouvelle génération d’armes nucléaires dites « tactiques » (les fameux « bunker busters ») et dont le but est d’attaquer des cibles limitées, dans le genre palais présidentiel ou quartier général des forces armées. Comme leur nom l’indique, ces armes sont faites pour pénétrer profondément sous la terre et pour détruire des cibles stratégiques. En principe selon l’administration Bush, ces armes seraient utilisables contre les « États voyous » (« rogue States »), qu’elle définit comme « en dehors » de la légalité internationale. Pour l’administration actuelle, les États-Unis ont le « droit » d’attaquer de manière préventive, unilatérale et avec tous les moyens nécessaires, quiconque menacerait ses intérêts.

Menaces

Les menaces actuelles ne sont pas tout à fait nouvelles. Car depuis Hiroshima, les États-Unis ont brandi plusieurs fois la menace nucléaire, à commencer par la guerre en Corée en 1950. À l’époque, le commandant en chef de l’armée américaine, le général Douglas MacArthur, avait préconisé de « renvoyer la Corée du Nord à l’âge de pierre ». Au moment de la guerre au Vietnam dans les années 1960, le général Curtis Lemay avait affirmé la même chose car disait-il « c’est la seule façon d’imposer la suprématie américaine ». Depuis 2000, ce langage agressif s’est renforcé considérablement. Selon le vice-président américain Dick Cheney, sept États sont potentiellement des cibles nucléaires : l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord, la Chine, la Russie, la Libye et la Syrie. Récemment estime le journaliste américain Seymour Hersh, le Pentagone a élaboré des plans détaillés pour attaquer l’Iran et la Corée du Nord avec des armes nucléaires tactiques. La décision de les employer a cependant été jugée prématurée par l’administration qui craint des retombées internationales et régionales négatives.

Est-il trop tard pour la paix ?

Selon plusieurs, la solution à la crise coréenne est surtout politique et implique un accord multilatéral global, impliquant tous les États concernés. Au-delà de ses fantasmes, le régime nord-coréen serait prêt à jouer le jeu si on lui garantit que les États-Unis ne vont pas attaquer dans le cadre de la guerre « préventive ». De cette manière, le temps ferait son œuvre en rapprochant les deux Corées et en créant les conditions pour une réunification progressive, comme cela est survenu en Allemagne de l’Est. On a cependant l’impression que cette perspective ne plaît pas à l’administration Bush qui voudrait en découdre avec un État somme toute très faible si on considère que 50% de la population nord-coréenne (de 23 millions) crève de faim et que l’infrastructure du pays est en miette. L’avantage de relancer la tension contre la Corée du Nord pour Washington serait de forcer le Japon à se remilitariser, ce que le nouveau Premier Ministre japonais semble enclin à faire, et en conséquence, de menacer la Chine. Pour les néoconservateurs qui constituent une partie de l’entourage du Président américain, la confrontation avec la Chine est inévitable et doit être préparée.