|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > Complicités états-uniennes

PAKISTAN

Complicités états-uniennes

Mercredi 7 novembre 2007, par Vilani Peiris et Keith Jones

Gaz, gourdins, pierres ... Tout est bon pour réprimer les manifestations - Photo : AFPL’homme fort de l’armée pakistanaise, le général Pervez Musharraf, un allié clé de l’administration Bush dans sa soi-disant guerre au terrorisme sort les griffes encore une fois. Dans la soirée de samedi, les forces de sécurité ont été déployées à Islamabad, occupant les édifices du Parlement et de la Cour suprême, fermant les chaînes privées de télévision et plaçant les membres de l’opposition en « détention préventive ». Musharraf, qui a pris le pouvoir au moyen d’un coup d’état en octobre 1999, a décrété l’état d’urgence.

Dans ce qui constitue en fait un second coup, Musharraf a indéfiniment suspendu la constitution et la liberté de parole, la liberté de rassemblement, la liberté d’association et la liberté de déplacement. Il a aussi abrogé le pouvoir constitutionnel des tribunaux d’émettre des injonctions contre lui en tant que président, contre le premier ministre ou contre quiconque agissant sous leur autorité. Musharraf a imposé une sévère censure à la presse et introduit de dures peines pour le « crime » de « ridiculiser » le président, les forces armées ou tout autre organe exécutif, législatif ou judiciaire.

Les forces de sécurité ont arrêté et détiennent sans accusation des centaines, si ce n’est des milliers de politiciens et d’avocats de l’opposition qui ont contribué à diriger la récente agitation populaire contre le gouvernement militaire. Parmi les détenus, on compte Jahvé Hashmi, le dirigeant de la Ligue musulmane du Pakistan (Nawaz) et Aitzaz Ahsan, le chef de l’Association du barreau de la Cour suprême du Pakistan et partisan en vue du Parti du peuple du Pakistan (PPP).

Toutes les chaînes de télévision privées et quelques radios internationales, y compris BBC World, étaient encore fermées dimanche. La police et les forces paramilitaires sont postées aux points de contrôle de la capitale et, selon des reportages, rapidement déployées pour briser tout mouvement de protestation.

Musharraf a démis de ses fonctions le juge en chef de la Cour suprême, Muhammad Chaudhry. On dit que Chaudhry et six autres juges de la Cour suprême qui avaient refusé d’endosser l’ordre d’urgence de Musharraf, le soi-disant ordre constitutionnel provisoire (OCP) ont été assignés à résidence. Un lèche-botte de Musharraf, le juge Abdul Hameed Dogar, a été nommé en remplacement de Chaudhry. Les hautes cours provinciales ont aussi été purgées, plusieurs juges refusant de promettre de soutenir l’OCP de Musharraf, les autres n’ayant même pas eu l’occasion de le faire.

Toutes ces mesures soulèvent la menace que l’armée aura recours à la violence de masse si le peuple pakistanais devait résister. Mais l’ampleur du coup de Musharraf et sa détermination à militariser le pays sont démontrées par sa décision de proclamer un ordre constitutionnel provisoire et de le faire en tant que chef des forces armées pakistanaises plutôt que d’utiliser l’autorité du président pour se donner les pouvoirs d’urgence que prévoit la constitution pakistanaise de 1973.

« C’est l’imposition d’un véritable régime militaire », a dit Hasan Askari Rizvi, un expert des affaires militaires pakistanaises. « Il n’y a pas de constitution et le Pakistan est dirigé en vertu d’un ordre constitutionnel provisoire émis par Musharraf en tant chef de l’armée et non en tant que président du Pakistan. »

Complicité américaine

L’administration Bush, le gouvernement travailliste britannique et les autres puissances occidentales ont répondu au coup de force de Musharraf avec les plus faibles critiques que l’on puisse imaginer.

La secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, qui comme son patron, George W. Bush, a plusieurs fois fait l’éloge de Musharraf et de son soi-disant engagement envers la démocratie, a décrit la déclaration de l’état d’urgence comme « très regrettable », tout en réaffirmant que Washington continuera à coopérer étroitement avec le régime militaire pakistanais. Rice a appelé « tous les protagonistes à se restreindre dans ce qui est de façon évidente une situation très difficile ».

Prenant la parole dans un avion en route vers Israël, Rice a dit que les Etats-Unis avaient conseillé à Musharraf de ne pas aller dans cette direction et qu’ils voulaient « un retour rapide à la constitutionnalité ». Mais elle a vite adouci cette faible critique en ajoutant que Musharraf avait jusqu’ici fait « beaucoup » pour mettre le Pakistan sur la « voie de la démocratie ».

Dimanche, Rice a affirmé que Washington allait revoir l’aide fournie au Pakistan. Depuis septembre 2001, Washington a offert à Islamabad au moins 10 milliards de dollars, une somme constituée majoritairement d’aide militaire. Cependant, la déclaration de Rice n’était pas une menace, mais une simple admission que certaines lois américaines pourraient forcer l’administration Bush à réduire son aide financière au régime militaire du Pakistan.

Le Pentagone a été probablement encore moins critique du coup de force de Musharraf. Le porte-parole du Pentagone, Geoff Morrell, a affirmé : « La déclaration [d’état d’urgence] n’influencera pas notre soutien militaire au Pakistan dans sa guerre contre le terrorisme. »

Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Miliband, a repris les commentaires de Rice. « Nous collaborons étroitement avec les amis du Pakistan à travers la communauté internationale en montrant de la retenue et en travaillant ensemble vers une résolution pacifique et démocratique. » Affirmant être « profondément inquiet », Miliband a affirmé qu’il exprimerait l’opposition de la Grande-Bretagne à la suspension de la constitution par Musharraf en s’adressant personnellement au ministre pakistanais des Affaires étrangères, Khurshid Kasuri.

La réaction placide face au coup de force de Musharraf et à sa menace implicite de massacres offre un vif contraste avec les vigoureuses dénonciations venues de Washington, de Londres et d’autres capitales occidentales le mois dernier après que la junte militaire birmane eut violemment réprimé des manifestations s’opposant à la montée des prix du pétrole et au manque de démocratie.

La différence est que le régime pakistanais est un allié crucial de Washington dans la poursuite de ses intérêts prédateurs dans les régions riches en pétrole de l’Asie centrale et du Moyen-Orient. Musharraf a offert un appui logistique essentiel aux invasions et occupations américaines de l’Afghanistan et de l’Irak et il a fourni aux services du renseignement américains des centres de torture à l’extérieur du pays. Il aurait aussi permis à l’armée des Etats-Unis de se servir du territoire pakistanais pour se préparer à une guerre contre l’Iran en tenant des exercices d’entraînement au Pakistan et en simulant des incursions de reconnaissance à la frontière le séparant de son voisin de l’ouest.

Ceci étant dit, le recours de Musharraf à l’état d’urgence constitue un énorme fiasco pour l’administration Bush.

Reconnaissant que le régime de Musharraf se désintégrait face à l’opposition populaire croissante, Washington tente depuis longtemps d’en arriver à un rapprochement entre le régime militaire de Musharraf et le Parti du peuple pakistanais de Benazir Bhutto.

Comme l’a écrit le New York Times dimanche dans un article intitulé « Un partenaire égaré laisse la Maison-Blanche en plan » : « Durant plus de cinq mois, les Etats-Unis ont tenté d’organiser une transition politique au Pakistan qui aurait d’une certaine façon maintenu le général Pervez Musharraf au pouvoir sans discréditer complètement la défense par le président Bush de la démocratie dans le monde musulman.

« Samedi, cette stratégie méticuleusement planifiée s’est effondrée de façon spectaculaire. »

Et c’est n’est pas seulement parce que l’imposition de la loi martiale par Musharraf a démenti encore une fois le verbiage démocratique utilisé par l’administration Bush et l’élite politique et financière américaine pour justifier leurs guerres criminelles en Irak et en Afghanistan.

Washington et Londres voient bien que le coup de force de Musharraf est un pari désespéré qui pourrait mal tourner et précipiter une explosion populaire qui se retournerait contre les intérêts des généraux pakistanais, de la bourgeoisie pakistanaise dans son ensemble et de l’impérialisme américain.

Afin justement d’empêcher qu’un tel développement ne se produise, l’administration Bush et le gouvernement britannique ont cherché à sceller une entente entre Musharraf et le parti populiste PPP qui, à deux précédentes occasions où s’était effondrée une dictature militaire soutenue par les Etats-Unis, était venu à la rescousse de l’armée contre la colère populaire et avait ainsi maintenu en place le principal rempart de l’ordre bourgeois.

Juste avant le simulacre d’élection présidentielle du 6 octobre, les Etats-Unis avaient manigancé un accord entre le PPP et Musharraf en vertu duquel le PPP s’était dissocié du reste de l’opposition, légitimant ainsi la dernière perversion de la constitution par le général. Douze jours plus tard, Bhutto revint de son exil, mais fut, seulement quelques heures après son arrivée à Karachi, la cible d’une tentative d’assassinat lors de laquelle 139 personnes furent tuées. Bhutto accusa certains éléments du régime militaire, mais pas Musharraf lui-même, d’être les auteurs de cette tentative d’assassinat.

Imitant ses promoteurs de Londres et de Washington, la réponse de Bhutto au coup de force de Musharraf a été pour le moins silencieuse. Pendant que l’armée démontre son mépris pour les droits démocratiques du peuple pakistanais, Bhutto a dit qu’elle ne veut pas la confrontation. Dimanche, en s’adressant à CNN, elle a refusé d’écarter la possibilité de tenir de nouveaux pourparlers sur le partage du pouvoir avec le général président.

Opposition populaire grandissante

Depuis des mois, Musharraf et ses complices ont menacé d’imposer les mesures d’urgence face à l’opposition grandissante parmi toutes les couches de la société, une opposition qui a été alimentée par le manque de démocratie, la hausse des prix pour la nourriture, la croissance des inégalités sociales, la corruption régnante et les pratiques pro-capitalistes du régime militaire et, dernier facteur mais non le moindre, l’appui de Musharraf pour les guerres de Washington.

L’évènement qui a déclenché le coup de force de samedi fut l’échec apparent des menaces de Musharraf envers la Cour suprême afin qu’elle donne une légitimité judiciaire et constitutionnelle aux élections frauduleuses du mois dernier.

Le système de justice pakistanais a une longue histoire d’approbation d’actes illégaux commis par les dictateurs militaires. Mais, reflétant les craintes de l’élite que le régime militaire exacerbe la colère populaire et ses plaintes que l’armée a monopolisé les bénéfices de la croissance capitaliste, la Cour suprême, sous le juge Chaudhry, a émis plusieurs jugements qui entravent les plans de l’armée et de ses complices politiques. En mars dernier, lorsque Musharraf a congédié Chaudhry parce qu’il craignait ne pouvoir compter sur le juge en chef de la Cour suprême pour truquer les prochaines élections à son avantage, des manifestations populaires se déclenchèrent et Musharraf subit en fin de compte une défaite humiliante lorsque la Cour suprême ordonna que Chaudhry soit remis à son poste.

Cet automne, pendant plusieurs semaines, un jury de la Cour suprême a reçu des pétitions remettant en cause la légalité de l’élection présidentielle et de la candidature de Musharraf. D’un point de vue légal, c’était une question déjà réglée : la constitution pakistanaise empêche un membre de l’armée, y compris le chef des forces armées, de se présenter comme candidat lors d’élections. Elle interdit aussi clairement le stratagème de Musharraf visant à laisser un parlement national et des assemblées provinciales élus en 2002, dans un scrutin manipulé par l’armée, choisir un président pour un mandat de cinq ans à partir de novembre 2007.

Mais, Musharraf espérait encore qu’en combinant les menaces d’un recours aux mesures d’urgence si son élection présidentielle était jugée anticonstitutionnelle avec une participation dans le rapprochement avec Benazir Bhutto commandité par les Etats-Unis, il pourrait forcer la cour à endosser son élection.

Cependant, Musharraf en est venu à la conclusion ultime que la cour légiférerait contre lui. Dans le milieu de la semaine dernière, la cour a annoncé qu’elle suspendait ses délibérations sur la question jusqu’au 13 novembre, ce qui est seulement deux jours avant que le mandat présidentiel actuel n’expire. Après, la cour est revenue sur sa décision et a indiqué qu’elle pourrait émettre un jugement aussi tôt qu’hier. Conséquemment, Musharraf a pris la décision d’imposer la loi martiale.

Musharraf a commencé sa proclamation des mesures d’urgence en faisant référence à la montée des attaques terroristes et des autres contestations de l’autorité du gouvernement par les groupes islamiques armés - des groupes qui, historiquement, ont été alimentés par l’armée et les services secrets en tant que rempart contre la classe ouvrière et comme instrument dans les manœuvres géopolitiques du Pakistan contre l’Inde.

Mais, ce qui constitue la majeure partie de la proclamation et de la justification de Musharraf pour la loi martiale est l’affirmation selon laquelle « certains membres du système judiciaire travaillent à d’autres fins que la branche exécutive et la branche législative ». La proclamation accuse le pouvoir judiciaire de miner la lutte contre le terrorisme en ordonnant le relâchement de personnes détenues sans accusation et de déstabiliser l’État pakistanais en exerçant un modeste contrôle sur le gouvernement et l’armée.

La proclamation se plaint de « constante interférence » de la cour « dans les fonctions exécutives incluant, entre autres, le contrôle des activités terroristes, la politique économique, le contrôle des prix, les coupures dans les entreprises et la planification urbaine [qui] ont affaibli la portée du gouvernement » et que, suite à l’abus par la cour de son autorité constitutionnelle « la police est devenue complètement démoralisée et a perdu rapidement son efficacité à combattre le terrorisme et les agences du renseignement ont été contrecarrées dans leurs activités et n’ont pu pourchasser les terroristes. »

Ces plaintes ne servent pas seulement à justifier des mesures dictatoriales. Elles constituent un avertissement que le régime de Musharraf a l’intention d’utiliser ses pouvoirs autoritaires pour intensifier l’implantation de politiques économiques néolibérales et d’utiliser la répression étatique pour supprimer l’opposition grandissante au manque de droits démocratiques et aux inégalités sociales.

L’administration Bush et l’élite politique américaine ont, depuis des années, soutenu la dictature de Musharraf. Elles sont, pas moins que le général lui-même, responsables du viol systématique des droits démocratiques du peuple Pakistanais et de la menace de terreur étatique qui plane maintenant sur le Pakistan.

6 novembre 2007 - World Socialiste Web Site - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.wsws.org/francais/News/2...


Voir en ligne : www.info-palestine.net