Les sondages d’opinion montrent qu’Israéliens et Palestiniens n’ont plus confiance dans une résolution de paix basée sur la formule à « deux Etats ».
Nous sommes au milieu d’une nouvelle reprise du processus de paix au Moyen-Orient. Sept ans après la faillite du processus de paix d’Oslo, les conditions politiques en Israël et pour l’Autorité palestinienne, de même qu’en Europe et aux Etats-Unis, semblent remplies.
Depuis l’échec du gouvernement d’union nationale palestinien en juin de cette année, la révocation d’Ismail Haniyeh, du Hamas, en tant que Premier ministre et la constitution par décret d’un gouvernement palestinien dirigé par Salam Fayyad, les Etats-Unis et l’Europe ont entrepris d’amener Israël et l’Autorité palestinienne à la table de négociations. Des émissaires internationaux se sont déplacés régulièrement dans la région, essayant de rapprocher les parties. De plus, l’Union européenne a organisé différentes rencontres dans les sociétés civiles locales pour promouvoir la « paix par le bas ».
C’est sur cette toile de fond que l’administration US a voulu une conférence régionale pour la paix afin de conclure. La presse israélienne prétend que la conférence aura lieu à Washington DC courant novembre. Nous devons nous demander cependant, étant donné le contexte politique existant, si cette conférence régionale pour la paix parrainée par les USA aura quelque capacité réelle à sortir de l’impasse politique.
Il est essentiel que nous mesurions bien l’écart important qui existe toujours entre la proposition probable de résolution par Israël et les exigences minimales palestiniennes. Israël et les Etats-Unis exigent la reconnaissance palestinienne des « réalités sur le terrain » et le droit de contourner le droit international et les résolutions concernées des Nations unies. Autrement dit, ils insistent pour que l’Autorité palestinienne accepte la création d’un Etat palestinien dont les frontières seront définies par le tracé alambiqué et usurpateur du mur de séparation. De l’autre côté, un consensus politique palestinien exige un Etat palestinien sur tous les territoires occupés par Israël en 1967 ainsi que le respect du droit international et des résolutions des Nations unies.
D’une façon générale, les analystes européens et américains divisent l’arène politique palestinienne en radicaux et en modérés ; ils considèrent que Mahmoud Abbas et le gouvernement qu’il a désigné en juin de cette année sont des modérés en se fondant sur l’hypothèse qu’ils vont finir par accepter les exigences américaines et israéliennes.
Mais la façon de voir de Mahmoud Abbas est loin de celle de l’opinion publique palestinienne dominante. Selon un sondage réalisé par le centre de média et de communication de Jérusalem (JMCC), la plupart des Palestiniens sont opposés à un accord qui maintiendrait les blocs de colonies sur les territoires occupés par Israël en 1967 et à des concessions sur Jérusalem, de plus ils soutiennent le droit au retour du peuple palestinien. (1)
Dans le même temps, aussi longtemps que le président Abbas sera le chef légitime de l’Etat avec un gouvernement inconstitutionnel, il ne pourra signer aucun accord cédant sur des concessions substantielles en opposition avec le consensus national palestinien.
Selon l’article 110 (1) de la Loi fondamentale palestinienne (2), le président « a le pouvoir de former un gouvernement par décret » quand il y a menace contre la sécurité nationale en raison d’une guerre, d’une invasion, d’une insurrection armée, ou lors d’une catastrophe naturelle, pour une durée n’excédant pas trente (30) jours. » Cet état d’urgence ne peut être prolongé de 30 jours supplémentaires qu’avec l’approbation des deux tiers du parlement.
Du fait qu’un tiers des députés palestiniens sont dans les prisons israéliennes et qu’Israël impose des restrictions aux déplacements des députés restants, le Conseil législatif palestinien (CLP) ne pouvait qu’en théorie se réunir pour débattre d’une prolongation de l’état d’urgence pour une seconde période en août ou voter la confiance au gouvernement désigné de Salam Fayyad (3). Cependant, il est peu probable que le CLP actuel, qui a une majorité Hamas, approuve l’état d’urgence du gouvernement de Salam Fayyad.
L’Autorité palestinienne peut revenir à la constitutionnalité soit par la libération des députés emprisonnés soit par de nouvelles élections. Seul, un gouvernement autorisé et légitimé par la constitution palestinienne aura le pouvoir de négocier avec Israël. Dans le cas contraire, les accords signés par l’Autorité palestinienne risquent d’être jugés illégitimes.
Ce ne sera pas la première fois qu’Israël signera un accord de paix avec un gouvernement dépourvu de légitimité. Le 17 mai 1983, Israël a signé un accord de paix avec le Liban après trois mois de négociations avec les Etats-Unis comme médiateur. L’accord n’a jamais été ratifié par le gouvernement libanais et n’a jamais été mis en application.
En Israël, Olmert est à la tête d’un gouvernement faible. La coalition au gouvernement s’appuie sur Israel Betinu, un parti d’extrême droite, et sur le Shas, un parti ultra orthodoxe. Ces deux partis sont favorables à l’extension des colonies et s’opposent actuellement même au démantèlement des avant-postes non autorisés construits après mars 2002, comme stipulé par la Feuille de route.
Olmert a aussi des problèmes à l’intérieur de son propre parti, le Kadima, où il est confronté à une forte opposition à droite qui voit un risque inutile dans toute concession substantielle faite à l’Autorité palestinienne (4). La droite du Kadima exige qu’Olmert ne fasse aucune concession politique à l’Autorité palestinienne sans qu’il y ait d’abord concertation au sein du parti.
Selon une enquête d’opinion périodique réalisée par le centre Tami Steinmetz pour la recherche de la paix (TSC) sur l’attitude des Israéliens à l’égard de la paix, il ressort que la majorité d’entre eux ne croient pas possible la paix avec l’Autorité palestinienne. Par conséquent, « bien qu’une minorité importante de juifs israéliens soutiennent un large retrait israélien de Cisjordanie (sauf des grands blocs de colonies), une majorité n’approuve pas un tel désengagement même s’il s’inscrit dans le cadre d’un accord de paix avec les Palestiniens. » (5)
Des analystes israéliens, tel qu’Akiva Eldar, pensent que la proposition la plus favorable qu’Olmert peut faire au président Abbas est un Etat palestinien dont les frontières seront le mur de séparation, avec quelques quartiers de Jérusalem-Est, quelques échanges de territoires, et un compromis compliqué sur la Vieille Ville de Jérusalem. Akiva Eldar prétend qu’afin d’apaiser Israel Bitenu, Olmert pourrait proposer que le Triangle arabe, une région densément peuplée de citoyens palestiniens en Israël, à l’ouest de la Ligne verte entre Tulkarem et Qalqilya, soit inclus dans le futur Etat palestinien. Les Palestiniens devront alors abandonner le droit au retour, accepter la réinsertion des réfugiés à l’extérieur de la Palestine ou en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza. Les résultats de l’enquête de TSC montrent que même ces concessions sont trop éloignées de l’opinion publique israélienne. (6)
Cette proposition sera rejetée par l’opinion publique et les forces politiques palestiniennes, y compris le Fatah, et ne pourrait être imposée à la société palestinienne que par la force.
Les sondages d’opinion montrent qu’Israéliens et Palestiniens n’ont plus confiance dans une résolution de paix basée sur la formule à « deux Etats ». De plus, cette formule, dans ses différentes interprétations, est au cœur de l’impasse actuelle. Qui plus est, la conférence convoquée par les Etats-Unis ne pourra pas sortir de cette impasse car cette conférence va essayer de dicter une interprétation spécifique de la signification de deux Etats.
Le temps des négociations bilatérales est passé et avec lui a disparu l’idée d’une solution à « deux Etats ». La seule possibilité est de remplacer les négociations basées sur cette formule par des accords multilatéraux.
Aujourd’hui, le seul cadre multilatéral est celui proposé par la Ligue arabe, lequel comprend des négociations multilatérales entre Israël et les membres de la Ligue où, une fois achevées, Israël signerait des accords de paix et serait reconnu par tous les Etats de la Ligue, en échange d’un retour complet à ses frontières du 4 juin 1967 et d’une solution à la question des réfugiés palestiniens. Autrement, des discussions multilatérales peuvent aussi se tenir dans le cadre des Nations unies en vertu des stipulations du droit international et des résolutions concernées des Nations unies.
Toutefois, il nous faut aussi considérer que peut-être l’idée des deux Etats s’est perdue dans une réalité créée par plus de 40 ans d’occupation israélienne. Si c’est le cas, alors la seule issue démocratique est l’instauration d’un Etat unique partagé. Toute autre alternative n’aboutirait simplement qu’à un Etat d’apartheid.
Notes
1 - JMCC, sondage n° 62, août 2007. (pdf)
2 - Projet d’amendement à la loi fondamentale pour l’Autorité nationale palestinienne, 2003.
3 - Cependant, selon la constitution palestinienne, le gouvernement Haniyeh est aussi inconstitutionnel. Selon l’article 81 (6) de la loi fondamentale palestinienne, le président de l’Autorité palestinienne a le pouvoir de révoquer le Premier ministre et de contraindre le gouvernement à démissionner.
4 - Voir Mazal Mualem, Haaretz, 4 septembre 2007.
5 - Le centre Tami Steinmetz pour la recherche de la paix (TSC) à l’université de Tel Aviv, index Paix, juillet 2007.
6 - Akiva Eldar, Haaretz, 23 août.
* Sergio Yahni travaille avec l’Alternative Information Center (AIC) à Jérusalem.