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LIBAN

Comment le Hezbollah a-t-il vaincu Israël ?

Lundi 23 octobre 2006, par CROOKE Alaistair, PERRY Mark

La victoire du Hezbollah dans son récent conflit avec Israël est beaucoup plus significative que bien des analystes, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, ne semblent en avoir pris conscience. La victoire du Hezbollah est en effet un renversement total de la guerre de 1967, qui avait vu une défaite écrasante de l’Egypte, de la Syrie et de la Jordanie redistribuer totalement les cartes dans la région, installant des régimes se consacrant entièrement à déterminer leur politique étrangère en fonction d’un unique objectif : tenir tête à la puissance israélo-américaine. Cette puissance ayant été bafouée et renversée, ce à quoi nous assistons, c’est à l’émergence d’un leadership entièrement nouveau.

INTRODUCTION

Ecrivant cinq années après les attentats du 11 septembre 2001, l’expert militaire états-unien Anthony Cordesman a publié un rapport sur le conflit entre le Hezbollah et Israël.
Ce rapport, intitulé "Preliminary Lessons of the Israeli-Hezbollah War" [Les premières leçons à tirer de la guerre entre Israël et le Hezbollah], a suscité un intense intérêt au Pentagone, où il a été étudié par les stratèges de l’état-major uni des trois armées.
Plus largement, il a circulé de main en main chez les experts militaires à Washington. Cordesman n’a pas fait de cachotteries sur ses modestes conclusions ; il a reconnu, honnêtement, que non seulement son étude était « préliminaire », mais qu’elle ne tenait aucun compte de la manière dont le Hezbollah avait mené la guerre et dont il en évaluait l’issue.
Ainsi, Cordesman a fait observer que "Cette analyse était… limitée, du fait qu’aucune visite d’étude n’avait été effectuée dans ce cadre au Liban, le Hezbollah n’ayant a fortiori pas été rencontré."
Mais, aussi imparfaite qu’ait été son étude, Cordesman a satisfait à deux demandes : il a apporté une base permettant de comprendre la guerre du point de vue israélien et il a soulevé les bonnes questions sur la manière dont le Hezbollah a combattu, ainsi que sur le degré de succès qu’il a atteint. Près de deux mois après la fin du conflit entre Israël et le Hezbollah, il est désormais possible de compléter certaines des lignes laissées en pointillés par Cordesman.
La description que nous présentons ici est elle-même limitée. Les responsables du Hezbollah ne s’expriment bien entendu ni publiquement, ni « for the record » sur la manière dont ils ont combattu ; ils n’exposent pas en détail leurs déploiements, et ils ne sont pas enclins à débattre avec quiconque de leur stratégie future. Mais cela n’empêche que les leçons de la guerre, du point de vue du Hezbollah, commencent aujourd’hui à émerger et que quelques modestes leçons sont en train d’en être retirées par les planificateurs stratégiques états-uniens et israéliens.
Nos conclusions sont fondées sur les évaluations effectuées sur le terrain au cours de la guerre, sur des interviews d’experts militaires israéliens, états-uniens et européens, sur les compréhensions du conflit émergeant au cours de discussions avec des stratégistes militaires, ainsi que sur un réseau de hauts responsables au Moyen-Orient, intensément intéressés par l’issue du conflit, et avec lesquels nous avons échangé.
Notre conclusion générale contredit le point de vue que certains responsables de la Maison Blanche et d’Israël essaient de vendre aujourd’hui, et qui voudrait que l’offensive israélienne au Liban ait considérablement endommagé la capacité militaire du Hezbollah, qu’Israël ait réussi à porter atteinte à la capacité du Hezbollah de l’emporter dans un éventuel conflit à venir et que l’armée israélienne, après son déploiement massif au Sud Liban, ait été capable de s’imposer à ses ennemis et de dicter un arrangement favorable à l’establishment politique israélien.
La réalité est l’exact contraire. Dès le début du conflit et jusqu’à ses dernières opérations, les commandants du Hezbollah ont réussi à pénétrer le cycle de prise de décision stratégique et tactique d’Israël, grâce à un ensemble d’opérations de renseignement, d’opérations militaire et d’opérations politiques, avec pour résultat le fait que le Hezbollah a enregistré une victoire décisive et complète dans sa guerre contre Israël.

PREMIERE PARTIE : LA GUERRE DU RENSEIGNEMENT

Au lendemain du conflit, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a reconnu que la réplique militaire d’Israël à l’enlèvement de deux de ses soldats et à la perte de huit autres, le 12 juillet au matin – précisément, à 9 heures 4 minutes – a surpris la direction du Hezbollah.
Ce commentaire de Nasrallah mit fin à des rumeurs journalistiques selon lesquelles le Hezbollah aurait délibérément provoqué une guerre avec Israël et que ces enlèvement auraient fait partie d’un plan approuvé conjointement par le Hezbollah et l’Iran.
Le Hezbollah ayant répété, depuis plusieurs années, qu’il avait l’intention d’enlever des militaires israéliens, il y avait de bonnes raisons de supposer qu’il ne le ferait pas au plus fort de l’été – c’est-à-dire en une saison où un grand nombre de familles chiites aisées de la diaspora ont l’habitude de venir au Liban (dépenser leur argent dans la communauté chiite), et où les Arabes des pays du Golfe étaient attendus en grand nombre dans le pays, comme chaque année.
Il n’est pas exact non plus, comme cela a été dit au début du conflit, que le Hezbollah ait coordonné son action avec celle du Hamas. Le Hamas a été pris par surprise par les enlèvements, et même si le leadership du Hamas a défendu l’action du Hezbollah, il est facile de subodorer, avec un peu d’intuition, qu’elle n’a pas dû vraiment lui plaire : pendant même le conflit au Liban, Israël a en effet lancé de nombreuses opérations militaires contre le Hamas, à Gaza, tuant des dizaines de combattants et des centaines de civils. Cette offensive est passée largement inaperçue en Occident, remettant en circulation le vieil adage qui veut que « quand le Moyen-Orient brûle, on oublie les Palestiniens… »
En vérité, l’enlèvement des deux militaires israéliens, accompagné de la mort de huit autres, a pris le leadership du Hezbollah par surprise ; il n’a été effectué que parce que les unités du Hezbollah déployées le long de la frontière libano-israélienne avaient des ordres permanents d’exploiter les faiblesses militaires d’Israël. Nasrallah avait lui-même signalé depuis longtemps l’intention du Hezbollah de kidnapper des soldats israéliens, après que l’ex-Premier ministre israélien Ariel Sharon eut renié son engagement à libérer tous les prisonniers du Hezbollah – au total, trois – au cours du dernier échange de prisonniers du Hezbollah contre des prisonniers israéliens.
Ces enlèvement, furent, en réalité, plus que tentants : des militaires israéliens, à proximité de la frontière, ont apparemment violé des procédures opérationnelles en vigueur, laissant leurs véhicules à la vue de positions du Hezbollah, et cela, alors qu’ils n’étaient plus au contact de leurs commandants, et hors couverture.
Nous relevons qu’alors que les médias occidentaux ont déformé de manière constante les événements survenus à la frontière israélo-libanaise, le quotidien israélien Ha’aretz a confirmé substantiellement ce déroulé des événements : « Une force composée de tanks et de transports de troupes blindés a été immédiatement envoyée à l’intérieur du Liban afin de pourchasser les assaillants [du Hezbollah].
C’est au cours de cette poursuite, à environ 11 heures du matin, qu’un tank Merkava a roulé sur une mine de forte puissance, renfermant sans doute de 200 à 300 kg d’explosifs, à environ 70 mètres au nord de la barrière frontalière [en territoire libanais, donc, ndt]. Le tank a été presque entièrement détruit, et les quatre membres de l’équipage ont été tués sur le coup.
Durant les heures suivantes, les militaires israéliens ont mené des combats acharnés contre des tirailleurs du Hezbollah… Au cours de cette bataille, à environ 3 heures de l’après-midi, un autre militaire israélien a été tué et deux autres légèrement blessés. »
Les enlèvements donnèrent le signal du début d’une série de bobards de l’armée israélienne, à base de commandants agissant en violation de leurs procédures frontalières normales. Des membres de la patrouille en cause étaient dans les derniers jours de leur déploiement au nord et leur garde était amoindrie. Il n’est pas vrai non plus que les combattants du Hezbollah aient tué les huit Israéliens au cours de leur opération d’enlèvement des deux soldats israéliens.
Les huit soldats ont été tués du fait qu’un commandant garde-frontière de l’armée israélienne, apparemment gêné d’avoir enfreint les procédures en vigueur, a donné l’ordre à des véhicules blindés de pourchasser les kidnappeurs.
Les deux véhicules blindés ont pénétré à l’intérieur d’un réseau de mines anti-tanks du Hezbollah, et c’est la raison de leur destruction. Les huit militaires israéliens ont été tués au cours de cette opération, ou au cours d’actions de combat qui l’ont immédiatement suivie.
Le fait qu’une unité de l’armée israélienne ait pu errer si près de la frontière sans être couverte par l’artillerie et qu’elle ai pu ainsi s’exposer à une attaque du Hezbollah a conduit des officiers israéliens à se poser la question de savoir si cette unité n’aurait pas agi, par hasard, en-dehors de la chaîne de commandement.
Une commission d’enquête interne a été apparemment convoquée par des hauts gradés de l’armée israélienne, immédiatement après l’incident, afin d’établir les faits et de reconsidérer les procédures relatives au commandement d’unités agissant au long de la frontière nord [d’Israël]. Les résultats des constats de cette commission n’ont toujours pas été annoncés.
Bien que surpris par la réplique israélienne, les combattants du Hezbollah au Sud-Liban ont été placés en état d’alerte maximale durant les minutes qui ont suivi les enlèvements et des commandants de l’arsenal ont été mis en alerte par leurs supérieurs.
Les défenses du Hezbollah, particulièrement robustes et encore renforcées étaient le résultat de six années de travaux acharnés, entrepris dès le retrait israélien de la région, en 2000. Beaucoup des bunkers de commandement dessinés et construits par les ingénieurs du génie du Hezbollah étaient fortifiés, et certains d’entre eux disposaient même d’une installation d’air conditionné.
Le creusement des dépôts d’armes, au cours des années précédentes, s’était accompagné d’un programme d’installation de leurres, certains bunkers étant construits à l’air libre, à la vue des observations des drones israéliens et au vu et au su de civils libanais fortement liés aux Israéliens. A de rares exceptions près, ces bunkers étaient des leurres.
La construction des véritables bunkers se poursuivait, sur ces entrefaites, dans des zones interdites à la population libanaise. Les bunkers de commandement et d’entreposage d’armes les plus importants étaient creusés à l’intérieur des collines rocheuses du Liban, à un profondeur atteignant jusqu’à quarante mètres. Près de 600 bunkers d’entreposage d’armes et de munitions furent ainsi creusés en des positions stratégiques au Sud de la rivière Litani.
Pour des raisons de sécurité, aucun commandant ne connaissait à lui seul la localisation de chacun de ces bunkers, et chaque unité distincte de la milice du Hezbollah se voyait affecter seulement trois bunkers – un bunker de munitions de première intention et deux bunkers de munitions de secours, au cas où ce premier bunker aurait été détruit.
Des points séparés de commandement du front et de l’arrière avaient été également assignés à chaque unité combattante, les unités combattantes ayant été chargées de s’armer, de se ravitailler et de combattre à l’intérieur de zones de combat spécifiques et précisément délimitées. Les protocoles de sécurité concernant le commandement des troupes étaient observés avec une diligence extrême. Aucun membre du Hezbollah n’avait individuellement connaissance de l’ensemble de la structure des bunkers.
Les arsenaux de première intention et les points de commandement du Hezbollah ont été pris pour cibles par l’aviation israélienne durant les 72 premières heures du conflit.
Les commandants israéliens avaient identifié ces bunkers grâce à un recoupement de rapports des services de renseignement – interceptions de signaux de communications du Hezbollah, photos de reconnaissance par satellite glanées grâce à des accords de coopération avec l’armée états-unienne, analyses de clichés réalisés au cours des survols de la région par l’aviation israélienne, photos prises par les drones déployés au-dessus du Sud Liban et, surtout, réseau de sources humaines de renseignement, recrutées par des officiers du renseignement israélien vivant au Sud Liban, dont un certain nombre de « nationaux » étrangers (non-libanais), enregistrés en tant que coopérants dans le pays.
L’attaque initiale contre les points de commandement et les principaux complexes de bunkers du Hezbollah, au cours des 72 premières heures de la guerre, échoua.
Le 15 juillet, l’aviation israélienne s’en prenait [donc] au QG de la direction du Hezbollah, à Beyrouth. Cette attaque fut elle aussi un échec. A aucun moment de la guerre, aucune personnalité majeure du Hezbollah n’a été tuée, en dépit de l’insistance constante d’Israël sur l’information selon laquelle le commandement de cette organisation aurait essuyé des pertes.
Selon un responsable états-unien qui a suivi la guerre de très près, l’offensive de l’aviation israélienne n’a détruit, "tout au plus, que 7%" des ressources militaires dont les combattants du Hezbollah disposaient durant les trois premiers jours de combats, ajoutant qu’à son avis, les attaques aériennes israéliennes contre les dirigeants du Hezbollah étaient "absolument futiles".
Des informations selon lesquelles la haute hiérarchie du Hezbollah auraient trouvé refuge à l’ambassade d’Iran à Beyrouth (qui n’a pas été atteinte par l’offensive aérienne israélienne) ne sont pas véridiques, même si on ne sait pas précisément où les dirigeants du Hezbollah se sont réfugiés.
"Je ne savais pas, moi-même, où je me trouvais", a dit à un de ses associés le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Même en tenant compte de tous ces éléments, il n’est pas avéré que les plans de l’armée israélienne visant à détruire la totalité de l’infrastructure libanaise auraient résulté de l’incapacité de l’aviation israélienne à dégrader les capacités militaires du Hezbollah durant les premiers jours du conflit.
Les plans de l’armée israélienne prônaient un bombardement précoce et soutenu des principales autoroutes et des principaux ports du Liban, en sus de ses projets de détruire les atouts militaires et politiques du Hezbollah.
Le gouvernement israélien n’a absolument pas caché son intention, à savoir saper le soutien dont bénéficiait le Hezbollah auprès des communautés libanaises chrétiennes, sunnite et druze. Cette idée de punir le Liban pour avoir donné asile au Hezbollah, de façon à retourner le peuple libanais contre cette milice, faisait partie du plan d’Israël depuis le retrait israélien du Sud Liban, en 2000.
Contrairement aux responsables de l’armée israélienne, annonçant tant en privé que publiquement le succès de son offensive, ses hauts commandants recommandaient au Premier ministre Ehud Olmert de donner le feu vert à une intensification des raids aériens contre des caches potentielles du Hezbollah, dans des zones cibles marginales, à la fin de la première semaine des bombardements. Olmert approuva ces attaques, bien qu’il sût pertinemment qu’en présentant une telle requête, ses hauts officiers n’avaient fait que reconnaître que leurs évaluations initiales des dommages infligés au Hezbollah avaient été manifestement exagérément optimistes.
Le résultat de l’approbation par Olmert de "l’élargissement de l’ampleur de la cible" fut [le massacre] de Qana.
Un expert militaire israélien ayant suivi le conflit de très près a fait ce commentaire, après le bombardement de Qana : "Les choses ne sont pas aussi complexes qu’on se plaît à le dire".
Après l’échec de la campagne initiale, les officiers planificateurs de l’aviation ont repris leurs fichiers de cibles afin de voir s’ils n’avaient pas raté quelque chose d’important.
Ayant décidé que ça n’était pas le cas, quelqu’un s’est probablement levé pour passer dans la pièce attenante, après quoi il en est revenu avec de nouvelles enveloppes de cibles dans des zones densément peuplées, disant : "Eh, les mecs, qu’est-ce que vous pensez de ces nouvelles zones à cibler ?" Et c’est ainsi qu’ils en convinrent. C’est-à-dire, que le bombardement de cibles « très rapprochées » des zones du Sud-Liban densément peuplées a été résultat de l’échec des Israéliens dans la manière de mener leur guerre – et absolument pas de leur succès.
L’"extension des cibles visées" n’a cessé de connaître une escalade tout au long du conflit ; frustrés par leur incapacité à identifier et détruire les principaux atouts militaires du Hezbollah, l’aviation israélienne entreprit de se venger en s’en prenant aux écoles, aux centres communautaires et aux mosquées – croyant que leur incapacité à identifier et à frapper d’interdit les bunkers du Hezbollah était la conséquence d’une volonté délibérée du Hezbollah de dissimuler ses principaux atouts stratégiques à l’intérieur des concentrations de civils.
Des officiers de l’aviation arguèrent aussi du fait que la capacité du Hezbollah à poursuivre inlassablement ses attaques par roquettes contre Israël signifiait que cette milice étaient réapprovisionnée en continu. Qana est un carrefour de communication, cinq autoroutes s’y croisent et, cela, au cœur du territoire du Hezbollah.
Supprimer la chaîne d’approvisionnement du Hezbollah, voilà qui allait fournir à l’aviation israélienne l’opportunité d’apporter la preuve que, si le Hezbollah était en mesure de poursuivre ses opérations, c’était en raison de sa dépendance en un approvisionnement que lui fournissaient, précisément, ces villes – nœuds routiers.
Toutefois, en réalité, les hauts dirigeants de l’armée de l’air savaient que l’élargissement du nombre des cibles [des bombardements] au Liban allait s’avérer très peu efficace en terme de dégradation des capacités du Hezbollah, parce que celui-ci poursuivait ses attaques en l’absence de tout espoir en un quelconque réapprovisionnement, ainsi qu’en raison de la possibilité qui était la sienne de s’approvisionner à partir de caches contenant des armes et des roquettes, qui avaient été fortifiées au point de les rendre inexpugnables par les Israéliens. Au lendemain du massacre de Qana, dans lequel vingt-huit civils furent tués, Israël concéda un cessez-le-feu de 48 heures.
Ce cessez-le-feu fut la première preuve que le Hezbollah avait soutenu avec succès les attaques aériennes israéliennes et qu’il envisageait une défense soutenue et prolongée du Sud Liban. Les commandants du Hezbollah respectèrent le cessez-le-feu, sur les ordres de leur hiérarchie politique. A deux ou trois exceptions près, il n’y eut aucun tir de roquettes contre Israël durant cette période de cessez-le-feu.
Bien que la capacité du Hezbollah d’effectivement faire « cesser le feu » a été largement ignorée par les experts ès renseignement israéliens et occidentaux, la capacité du Hezbollah à imposer sa discipline sur les commandants de terrain a provoqué une surprise sidérante pour les hauts gradés de l’armée israélienne, qui en tirèrent la conclusion que les capacités de communication du Hezbollah avaient survécu au blitz aérien israélien, que le Hezbollah était au contact de ses commandants sur le terrain des opérations et que ces commandants étaient en mesure de maintenir un réseau robustes de communications, en dépit des efforts déployés par les Israéliens pour les mettre hors d’usage.
Plus simplement, la capacité du Hezbollah à faire respecter un cessez-le-feu signifiait que l’objectif consistant, pour Israël, à couper les combattants du Hezbollah de leur structure de commandement (considéré comme une nécessité absolue par les armées modernes menant une guerre sur un champ de bataille high tech) n’avait pas été atteint.
Les hauts commandants de l’armée israélienne ne purent en tirer qu’une seule conclusion : ses renseignements antérieurs à la guerre sur les atouts stratégiques du Hezbollah étaient fâcheusement incomplets, voire mortellement erronés.
De fait, durant deux années, les responsables du renseignement du Hezbollah avaient réussi à édifier une importante capacité d’émettre des signaux de contre-renseignement. Tout au long de la guerre, les commandants du Hezbollah ont été en mesure de prédire où et quand les combattants et les bombardiers israéliens allaient frapper. De plus, le Hezbollah avait identifié les atouts humains clés en matière de renseignement au Liban [c’est-à-dire les espions israéliens, ndt].
Un mois avant l’encerclement de la patrouille frontalière israélienne et l’attaque qui s’en est ensuivie, les responsables libanais du renseignement avaient réussi à démanteler un réseau d’espionnage israélien opérant à l’intérieur du pays.
Les responsables du renseignement tant libanais qu’hezbollahis avaient en effet arrêté au minimum 16 espions israéliens au Liban, bien qu’ils n’aient pas été en mesure de trouver, ni a fortiori d’arrêter, le chef du réseau.
De plus, pendant deux ans, depuis 2004 jusqu’à la veille de la guerre, le Hezbollah avait réussi à « retourner » un certain nombre d’agents israéliens libanais chargés de donner aux services de renseignement d’Israël des indications sur les principales caches d’armes du Hezbollah au Sud Liban.
Dans un petit nombre d’une particulière importance, les hauts responsables du renseignement hezbollahi ont été capable de « renvoyer » de la fausse information sur leurs plus importants emplacements de la milice du Hezbollah vers Israël – ce qui eut pour effet que les dossiers d’identification de cibles potentielles d’Israël comportaient des emplacements qui, de fait, étaient vides…
Enfin, l’aptitude du Hezbollah à intercepter et à « lire » les actions israéliennes a eu un impact décisif sur l’offensive terrestre qui allait se produire à la fin de la guerre. Les responsables du renseignement hezbollahi avaient perfectionné leur capacité à déchiffrer les signaux ennemis à un tel point qu’ils étaient en mesure d’intercepter les communications terrestres entre commandants israéliens.
Israël, se fiant à un ensemble hautement sophistiqué de techniques de « sauts de fréquences » censé permettre à ses commandants de communiquer entre eux, a sous-estimé la capacité du Hezbollah à maîtriser les technologies des contre-signaux.
Le résultat allait avoir un impact crucial sur les Israéliens, qui escomptaient que l’effet de surprise allait à lui seul ménager une marge permettant à ses soldats de gagner la guerre. Il est aujourd’hui évident que l’establishment politique israélien a été choqué par l’échec rencontré par ses forces armées à remplir ses objectifs primordiaux, dans cette guerre, dont notamment la destruction d’un nombre suffisant d’arsenaux du Hezbollah, ainsi que celle de ses capacités opérationnelles de commandement.
Mais l’establishment politique israélien n’avait pratiquement rien fait afin de se préparer au pire : la première réunion du cabinet de sécurité israélien, au lendemain de l’enlèvement des deux militaires, le 12 juillet, ne dura que trois heures.
Et si Olmert et son cabinet de sécurité ont demandé des détails précis sur le plan de l’armée israélienne prévu pour les trois premiers jours de la guerre, ses membre ont été incapables de formuler des objectifs politiques clairs en ce qui concerne l’après-conflit, ni d’esquisser une stratégie politique de sortie, au cas où l’offensive échouerait. Olmert et son cabinet de sécurité ont violé le premier principe s’imposant lors de toute guerre : ils ont montré du mépris pour leur ennemi.
A bien des égards, Olmert et son cabinet étaient prisonniers d’une confiance absolue dans l’efficacité de la dissuasion israélienne. A l’instar de l’opinion publique israélienne, ils voyaient dans toute interrogation quant aux capacités de l’armée israélienne un sacrilège.
L’échec du renseignement israélien en cours de conflit a été catastrophique. Il a eu pour conséquence qu’après l’échec de la campagne aérienne israélienne visant à détruire de manière significative les atouts du Hezbollah au cours des trois premiers jours de conflit, la chance, pour Israël de remporter une victoire décisive contre le Hezbollah était devenue de plus en plus, pour finir par hautement, improbable.
"Israël a perdu la guerre durant les trois premiers jours", a dit un expert militaire états-unien. "Si vous êtes confronté à ce type de surprise et que vous disposez de ce niveau de puissance de feu, vous avez intérêt à gagner ! Sinon, vous êtes cuits, et durablement."
Les hauts responsables de l’armée israélienne ont conclu qu’en raison de l’échec de la campagne aérienne, ils n’avaient donc plus qu’une seule option : envahir le Liban au moyen de troupes terrestres, dans l’espoir de détruire la volonté de victoire du Hezbollah.

DEUXIEME PARTIE : REMPORTER L’OFFENSIVE TERRESTRE

La décision prise par Israël de lancer une offensive terrestre afin d’accomplir ce que son aviation avait été incapable de réaliser a été prise de manière hésitante et hasardeuse. Tandis que des unités de l’armée israélienne opérait des percées à l’intérieur du territoire du Sud Liban, durant la deuxième semaine de la guerre, le commandement demeurait indécis sur la question de savoir quand et où – et même si – il devait déployer ses unités terrestres.
Pour partie, le degré d’indécision de l’armée quant à la question de savoir où ?, quand ? et si ? elle devait déployer ses principales unités terrestres dépendait des affirmations de victoire de l’aviation.
L’aviation israélienne continuait en effet à clamer qu’elle allait réussir, depuis les airs – seulement une journée de plus… et puis encore une autre… Cette indécision s’est reflétée dans l’incertitude occidentale quand à la question de savoir quand une campagne terrestre allait avoir lieu – voire même s’il allait en être question.
De hauts responsables israéliens continuaient à dire à leurs contacts dans la presse que le timing d’une offensive terrestre était rigoureusement gardé secret, alors qu’en réalité, ils ne le connaissaient pas eux-mêmes… L’hésitation était aussi la conséquence de l’expérience acquise par de petites unités de l’armée israélienne, qui avaient d’ores et déjà pénétré en territoire libanais.
Des unités spéciales de l’armée israélienne opérant au Sud Liban rapportaient à leurs commandants que, dès le 18 juillet, des unités du Hezbollah se battaient avec ténacité pour conserver leurs positions sur la première ligne de fortifications dominant Israël depuis le haut d’une falaise.
C’est à ce moment-là que le Premier ministre Ehud Olmert prit une décision politique : il allait déployer toute la puissance de l’armée israélienne afin de battre le Hezbollah, au moment même où ses conseillers directs signifiaient qu’Israël était prêt à accepter un cessez-le-feu et le déploiement de forces internationales… Olmert était déterminé à ce qu’Israël ne mette pas les pouces : Israël accepterait le déploiement d’une force de l’Onu, mais seulement en dernier recours.
Tout d’abord, décida Olmert, Israël dirait qu’il accepterait une force de l’Otan. C’est conformément à cette stratégie que les forces de réserve israéliennes furent réquisitionnées et envoyées sur le front, le 21 juillet.
La mobilisation surprise (surprise, car l’armée israélienne était censée battre le Hezbollah avec l’aviation, puis – en cas d’échec – recourir à ses forces régulières, sans faire appel aux réservistes) fut à l’origine du caractère prématuré et brouillon du déploiement initial des bataillons de réservistes. (Il est vraisemblable, encore une fois, qu’Israël ne pensait pas avoir à faire appel à ses réservistes durant ce conflit, sinon, il les aurait mobilisés bien plus tôt).
De plus, la décision de faire appel aux réservistes a pris par surprise y compris des officiers supérieurs de réserve, lesquels sont généralement les premiers à être informés d’une mobilisation imminente. La mobilisation des réservistes a été réalisée de manière chaotique, le « train » du soutien logistique ayant de vingt-quatre à quarante-huit heures de retard sur le déploiement des unités de réserve.
Cette mobilisation du 21 juillet a donné un signal patent aux militaires du Pentagone que la guerre d’Israël ne se déroulait pas comme sur des roulettes. Ceci explique aussi pourquoi les troupes israéliennes de réserve sont arrivées sur le front sans l’équipement indispensable, sans plan de bataille cohérent, et sans même les munitions indispensables pour poursuivre le combat. (Tout au long du conflit, Israël a eu du mal à apporter un soutien logistique suffisant à ses réservistes : les fournitures de nourriture, de munitions et même d’eau potable ne parvenaient aux unités qu’après un délai minimum allant de un à deux jours de retard sur l’arrivée d’une unité sur la base de déploiement qui lui avait été désignée, dans le Nord d’Israël).
L’effet de cette désorganisation a été immédiatement perçu par les observateurs militaires. "Les troupes israéliennes semblaient non-prêtes, rétives et démoralisées", a ainsi relevé un haut gradé états-unien. "Cela n’avait rien à voir avec la flamboyante Tsahal que nous avions connue lors de précédentes guerres."
En conformité avec le pli politique pris par Olmert, l’objectif de destruction totale du Hezbollah que l’armée israélienne s’était fixé était lui aussi considérablement diminué. "Il y a une sorte de frontière entre nos objectifs militaires et nos objectifs politiques", a ainsi déclaré le brigadier général Ido Nehushtan, membre de l’état major israélien, au lendemain de la mobilisation des réservistes. "L’objectif n’est pas nécessairement d’éliminer jusqu’à la moindre roquette du Hezbollah. Ce qu’il faut faire, c’est casser la logique militaire du Hezbollah. J’aurais tendance à dire que cela n’est toujours pas une question seulement de jours…"
C’était décidément là une manière bien étrange de présenter une stratégie militaire – mener une guerre à seule fin de « casser la logique militaire » d’un ennemi, quel qu’il soit… La déclaration de Nehushtan a fait l’effet d’une douche froide sur les commandants des unités de l’armée israélienne sur le terrain, qui se demandèrent quel pouvait bien être, exactement, le but de cette guerre ?
Mais d’autres commandants avaient, quant à eux, le moral – même si l’aviation israélienne n’était pas parvenue à arrêter les attaques du Hezbollah contre les villes israéliennes, au moyen de roquettes, ces tirs de roquettes n’avaient jamais diminué autant, autour des 19, 20 et 21 juillet qu’à aucun moment (un très petit nombre de roquettes a été enregistré le 19, et il en est tombé au maximum une quarantaine, le 20 juillet, même chose le 21, et une cinquantaine, le 22).
Ce même 22 juillet vit aussi la première réponse militaire des Etats-Unis au conflit. Tard dans la nuit du 21, la Maison Blanche reçut une demande de fourniture de grandes quantités de munitions téléguidées de haute précision, formulées par Olmert et l’armée israélienne – signe supplémentaire révélateur du fait que l’aviation avait échoué dans sa mission de destruction des atouts militaires du Hezbollah de manière significative au cours des premières phases de la guerre.
La requête israélienne fut promptement approuvée [comme d’hab’, ndt] et les munitions commencèrent à être chargées et expédiées vers Israël dès l’aube du 22 juillet. De hauts responsables du Pentagone étaient profondément inquiets de ces expéditions d’armes, étant donné qu’elles signifiaient qu’Israël avait employé la plupart de ses munitions au cours des dix premiers jours de la guerre – ce qui représentait une énorme dépense de tirs, suggérant qu’Israël avait abandonné l’option des frappes stratégiques sur les atouts du Hezbollah et qu’il était déterminé à s’attaquer à tout ce qui pouvait rester debout en fait d’infrastructures libanaises, une stratégie qui n’avait pas marché durant la Seconde guerre mondiale, quand les Etats-Unis et la Grande-Bretagne détruisirent les soixante-six principales villes de l’Allemagne, sans aucun impact discernable sur le moral des Allemands, ni sur leurs capacités militaires.
Mais il y eut peu de rodomontades au Pentagone, même si un ex-officier d’active a fait observer que la fourniture de munitions américaines à Israël rappelait une requête similaire, formulée par Israël en 1973 – au plus fort de la guerre d’Octobre. « Cela ne peut signifier qu’une seule chose… », commenta alors cet officier : « … Ils ont du fil à retordre ».
En dépit de leur profonde déconvenue au sujet de la réplique israélienne (et cette déconvenue, même si personne n’en a fait état, était extrêmement profonde et grave – elle s’étendait jusqu’aux échelons supérieurs de l’aviation américaine), des officiers supérieurs de l’armée américaine n’ont pas fait état publiquement de leurs opinions. Et il y avait, à cela, une très bonne raison : des critiques à l’encontre de la requête d’envoi d’armes formulée par Israël au plus fort de la guerre de 1973 avaient en effet abouti à la démission du responsables des états-majors unis des armées de l’époque, le général George Brown. Brown était ulcéré que des armes et des munitions soient expédiées en Israël au moment même où le commandement de l’aviation israélienne au Vietnam protestaient contre l’insuffisance des approvisionnements dont ils avaient besoin pour mener leur guerre en Asie du Sud-Est…
Le responsable actuel de cet état-major uni, Peter Pace, qui est resté remarquablement silencieux durant la guerre entre Israël et le Hezbollah, a bien compris la leçon données par l’Histoire. Claquant les talons, il choisit de saluer et de fermer sa gueule. Mais les commandants supérieurs de l’état major uni et des différents corps d’armée n’étaient pas les seuls responsables états-uniens à être profondément inquiets en raison des piètres performances d’Israël. Tandis que les nouvelles munitions américaines volaient vers Israël (via Prestwick, en Ecosse), les responsables du renseignement procédaient à de premières évaluations des premiers jours de la guerre, y compris un d’entre eux, qui releva qu’en dépit de l’offensive aérienne israélienne extraordinairement intensive, la télévision Al-Manar continuait à émettre à Beyrouth, bien que l’aviation israélienne ait détruit les émetteurs des principales chaînes de télévision libanaises. (Cela allait rester le cas durant toute la durée de la guerre – Al-Manar n’a jamais connu d’interruption de programme supérieure à quelques minutes…) Comment pouvait-on attribuer une quelconque efficacité à une campagne aérienne israélienne, dès lors qu’elle n’avait même pas réussi à interrompre les transmissions d’une chaîne de télévision ?
La mobilisation des réservistes était censée conforter des forces d’ores et déjà au combat au Sud Liban, et ajouter du poids à l’offensive terrestre. Le 22 juillet, les unités hezbollahies de la Brigade Nasr ont livré des combats urbains contre les forces israéliennes dans la ville de Maroun al-Ras. Bien que l’armée israélienne ait clamé à la fin de la journée qu’elle avait pris cette ville, ce n’était pas le cas. Les combats avaient été sanglants, mais les combattants du Hezbollah n’avaient nullement été délogés. De nombreux hommes de la Brigade Nasr avaient passé des jours interminables à attendre l’assaut israélien et, grâce à l’aptitude du Hezbollah à intercepter les communications militaires israéliennes, les soldats israéliens se sont cassé les dents contre des unités hezbollahies puissamment retranchées.
Les détachements israéliens n’ont été à aucun moment en mesure de déborder les défenseurs, et ils ont même dû faire face à des contre-offensives, à l’ouest de la ville. Des équipes spéciales de la Brigade Nasr, composées de trois tirailleurs, ont détruit plusieurs véhicules blindés israéliens au cours des combats, au moyen de missiles légers anti-tanks portables. « Nous savons qu’ils allaient faire ça… », a dit à ce moment-là Ilay Talmor, un sous-lieutenant israélien épuisé. « Ils disent que ce territoire leur appartient. Nous ferions exactement la même chose, si quelqu’un envahissait Israël ! »
Tandis que l’armée israélienne persistait à affirmer que ses incursions seraient de « portée limitée », en dépit du rappel de milliers de réservistes, les bataillons israéliens commencèrent à se former au sud de la frontière. « Nous ne sommes pas en train de préparer une invasion du Liban », déclara Avi Pazner, important porte-parole du gouvernement. L’armée israélienne qualifia alors Maroun al-Ras de premier « pied-à-terre » au Sud Liban. « Une combinaison de pressions de l’aviation, de l’artillerie et de nos forces terrestres mettra le Hezbollah hors d’état de nuire sans qu’il soit besoin d’en arriver au point où nous aurions à envahir et à occuper [le Liban], a dit Palmer.
La différence entre « chasser » une force et envahir et occuper une ville était dès lors établie, ce qui envoyait un nouveau signal très clair, aux experts militaires américains, que l’armée israélienne pouvait pénétrer dans une ville, mais non l’occuper. Un officier américain formé dans une école militaire des Etats-Unis compara l’incursion israélienne au Sud Liban à l’attaque sanglante du commandant Robert E. Lee contre des positions des Unionistes à Gettysburg, en Pennsylvanie, durant la Guerre de Sécession des Etats-Unis. « Oh, certes, je peux aller là-bas… le problème, ce sera d’y rester… ! », avait-il dit.
Des rapports de commandants du Hezbollah sur les combats sont venus confirmer que les troupes israéliennes n’ont jamais totalement sécurisé la zone frontalière et que la ville de Maroun al-Ras n’a jamais été totalement prise. De même, le Hezbollah n’a jamais éprouvé la nécessité de mobiliser ses réservistes, comme l’a fait Israël. « Toute la guerre a été menée par une seule brigade du Hezbollah, composée de 3 000 hommes, et pas plus… » a indiqué un expert militaire spécialiste de la région. « La Brigade Nasr a combattu du début de la guerre jusqu’à la fin. Le Hezbollah n’a jamais éprouvé le moindre besoin de la renforcer… »
Des rapports émanant du Liban soulignent ce point. A leur grande surprise, les commandants du Hezbollah ont constaté que les troupes israéliennes étaient mal organisées et indisciplinées. La seule unité israélienne qui se soit montrée à la hauteur fut la Brigade Golani, d’après plusieurs observateurs libanais. L’armée israélienne était « composée de bric et de broc », « a motley assortment », a indiqué un responsable officiel fortement versé dans l’argot américain. « Mais c’est le genre de choses qui arrivent, quand vous avez passé quarante ans à tirer des balles revêtues de caoutchouc sur des femmes et des enfants, en Cisjordanie et à Gaza… »
Les commandants israéliens ont eux aussi été profondément perturbés par les piètres performances de leurs troupes, et ils ont noté un manque de discipline, y compris parmi leurs soldats d’active les plus entraînés. Les réservistes étaient pires, et certains commandants israéliens ont même hésité à les lancer dans la bataille…
Le 25 juillet, la stratégie olmertienne consistant à en rabattre sur un objectif initialement proclamé de détruire le Hezbollah était dans toute sa vigueur.
Le ministre israélien de la Défense, Amir Péretz, fut chargé d’annoncer cette reculade, disant que l’objectif israélien du moment consistait à créer une « zone de sécurité » au Sud Liban. Ses propos s’accompagnèrent, toutefois, d’une menace : "S’il n’y a pas une force multinationale qui vienne contrôler la frontière, nous continuerons à la contrôler par nos propres moyens, en tirant sur quiconque s’approcherait de la zone de sécurité définie, que ceux qui s’en aviseraient sachent qu’ils peuvent être atteints !"
Comme par enchantement, on n’entendit plus parler de l’affirmation israélienne, selon laquelle Israël allait détruire le Hezbollah… Evanouie, aussi, l’affirmation que seul l’Otan serait acceptable, comme unité de maintien de la paix sur la frontière… Le 25 juillet, Israël fit savoir aussi qu’Abu Jaafar, un commandant du « secteur central » du Hezbollah, sur la frontière libanais, avait été tué "au cours d’un échange de tirs" avec des soldats israéliens près du village frontalier de Maroun al-Ras – lequel n’avait pas encore pu être conquis. Or, cette information était fausse : Abu Jaafar prit un malin plaisir à se répandre en déclarations publiques, dès la guerre finie…
Plus tard, dans la journée de ce même 25 juillet, pendant que la Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice était en visite à Jérusalem, l’armée israélienne avançait vers Bint Jbeil, renommée « capitale de la terreur du Hezbollah ».
La bataille pour la conquête de Bint Jbeil se poursuivit durant neuf jours. Mais cette ville resta aux mains du Hezbollah jusqu’à la fin de la guerre… Quand celle-ci arriva enfin, la ville était entièrement détruite, les combattants du Hezbollah ayant été capables de survivre à des bombardements constants, de l’aviation et de l’artillerie israéliennes, en s’abritant dans leurs bunkers au plus fort des bombardements, et n’en ré-émergeant qu’au moment où des troupes israéliennes, au cours d’opérations terrestres ultérieures, tentèrent de « pacifier » la ville…
La tactique du Hezbollah n’était pas sans rappeler celle de l’armée nord-vietnamienne durant les premiers jours du conflit vietnamien – époque où les commandants de l’armée nord-vietnamienne dirent à leurs hommes qu’ils devaient « éviter les bombes », puis se battre contre les Américains au cours d’engagements menés par de petites unités. "Vous devez les attraper par la boucle de leur ceinture", avait dit un commandant vietnamien afin de faire comprendre en quoi consistait cette tactique.
Le 24 juillet, un signe supplémentaire, au cas où il en aurait été besoin, de son échec annoncé au Liban, Israël déploya ses premiers milliers de bombes à sous-munitions contre ce qu’il qualifia d’"emplacements du Hezbollah" au Sud Liban.
Les bombes à sous-munitions sont un moyen de combat efficace – même s’il est particulièrement cruel – et les pays qui en utilisent, dont tous les pays membres de l’Otan (ainsi que la Russie et la Chine) ont toujours refusé de parapher un accord international en interdisant l’utilisation.
Les pays les plus responsables qui les utilisent, toutefois, "doublent les détonateurs" de leurs munitions afin d’abaisser le taux d’échec des "petites bombes", après l’utilisation de bombes à sous-munitions.
Durant l’administration Clinton, le secrétaire d’Etat à la Défense, William Cohen, a donné son feu vert au doublement des détonateurs des sous-munitions de bombes à sous-munitions ainsi qu’à l’élimination du "haut taux de long feu" des munitions stockées dans les arsenaux américains, qui était prévue pour faire passer le taux d’échec de ces munitions de 14 % (certains experts donnent un chiffre encore supérieur) à moins de 3 % (certaines estimations donnent un chiffre encore inférieur).
Même si les enquêtes sur l’utilisation par Israël de ce type de munitions n’en sont qu’à leur commencement, il semble d’ores et déjà que l’armée israélienne ait eu recours à des munitions à un seul détonateur.
Des rapports récents, publiés dans la presse israélienne, indiquent que les officiers d’artillerie israéliens ont tapissé des dizaines de villages de ces bombes miniatures – ce qui correspond à la définition de ce qu’on entend par "indiscriminés" lorsque ce terme est utiliser pour qualifier des tirs.
Les munitions israéliennes en cause ont fort bien pu avoir été achetées d’occasion à des entreposages d’armes américaines d’un modèle tombé en désuétude, en particulier parce qu’elles n’avaient pas de sous-détonateurs, ce qui serait de nature à rendre les Etats-Unis complices de ces frappes totalement arbitraires.
Une telle conclusion semble correspondre avec la date fixée pour le réapprovisionnement d’Israël en munitions, le 22 juillet.
L’armée israélienne a fort bien pu être capable de décharger ces [chargements de] munitions et de les avoir mises en œuvre suffisamment rapidement pour être responsable de la création de la crise des sous-munitions de bombes "à fragmentation" à laquelle nous assistons au Liban, et qui continue à handicaper lourdement ce pays, ainsi qu’elle l’a fait depuis son apparition, le 24 juillet.
Le 26 juillet, des responsables de l’armée israélienne concédaient que les vingt-quatre heures précédentes de leur tentative de conquérir Bint Jbeil avaient été "la journée la plus difficile de tous les combats livrés par les nôtres au Sud Liban".
Après avoir échoué à arracher la ville au Hezbollah dans la matinée, des commandants de l’armée israélienne ont décidé d’envoyer leur formation d’élite : la Brigade Golani. A deux heures de l’après-midi, neuf soldats de cette brigade avaient été tués et vingt-deux autres, blessés. Tard dans l’après-midi, l’armée israélienne a déployé une autre brigade d’élite, celle des Parachutistes, à Maroun al-Ras, où les combats avec des éléments de la Brigade Nasr se poursuivaient pour la troisième journée consécutive.
Le 27, afin de répondre à l’échec de ses unités à s’emparer de ces villes, le gouvernement israélien donna son accord pour la mobilisation de trois divisions supplémentaires de réservistes – soit un total de 15 000 hommes.
Le 28, toutefois, l’ampleur de l’échec de l’armée israélienne, dans ses vaines tentatives de mettre un terme aux attaques du Hezbollah au moyen de roquettes tirées sur Israël, commença à devenir patente. Ce jour-là, le Hezbollah eut recours à un nouveau type de roquette, la Khaibar-1, qui frappa la ville portuaire d’Afula.
Le 28, la gravité des échecs du renseignement israélien finirent par venir à la connaissance du public israélien. Ce jour-là, des responsables du Mossad ont « laissé filtrer » des informations selon lesquelles, à leur avis, le Hezbollah n’avait pas subi de destructions significatives de ses capacités militaires, et par conséquent, cette organisation pourrait être en mesure de poursuivre le conflit durant encore plusieurs mois. L’armée israélienne fit connaître son désaccord, affirmant que le Hezbollah avait été fortement endommagé. De premières fissures dans la communauté israélienne du renseignement commençaient à apparaître.
Aux Etats-Unis, les experts commençaient eux aussi à se poser des questions quant à la stratégie et aux capacités d’Israël. L’Institution Brookings, habituellement très prudente, publia un commentaire de Philip H. Gordon (accusant le Hezbollah d’être responsable de la crise), contenant notamment l’avis suivant : "La question n’est pas de savoir si le Hezbollah est responsable, ou non, de cette crise – car, responsable, il l’est – ni si Israël a le droit de se défendre – car c’est le cas – mais bien celle de savoir si cette stratégie particulière [consistant essentiellement en une campagne de bombardements aériens intenses et répétés va fonctionner ou non. Cela ne marchera pas. Cela n’affaiblira pas le Hezbollah, car il est tout simplement impossible d’éliminer des milliers de petits missiles, qui sont, par surcroît, mobiles, bien cachés et aisément renouvelable au moyen d’un éventuel pont aérien."
Ce commentaire de Gordan reflétait les vues d’un nombre croissant d’officiers, qui s’afféraient à épousseter leurs propres plans d’attaque aérienne au cas où leur parviendrait un ordre de la Maison Blanche de viser des sites nucléaires iraniens. "Il y a une impression erronée, selon laquelle l’aviation américaine aurait été enthousiasmée par la manière dont la guerre d’Israël a été menée au Liban", nous a dit un expert ès Moyen-Orient ayant accès à de hauts responsables du Pentagone. "Ils étaient frappés de stupéfaction. Ils connaissent parfaitement les limites de leur propre puissance, et ils savent comment on pourrait aussi en faire un mauvais usage."
"Il leur semblait [à ces officiers de l’aviation américaine] qu’Israël avait jeté le manuel aux orties, au Liban : ça n’était ni chirurgical, ni précis, et ce qu’il faisaient n’était certainement pas intelligent ! Vous ne pouvez tout simplement pas espérer l’emporter en recouvrant tout un pays d’éclats de bombes !"
Les données chiffrées de la guerre, froides et impitoyables, soulignent l’ineptie des offensives israéliennes, tant aérienne que terrestre.
Le Hezbollah avait emmagasiné jusqu’à 18 000 roquettes dans ses arsenaux, avant le déclenchement du conflit. Ces sites étaient fortifiés contre les frappes aériennes israéliennes et elles ont aisément survécu à la campagne de bombardements. Les responsables du Hezbollah escomptaient qu’entre le moment où ils tiraient, et celui où l’armée de l’air israélienne était en mesure d’identifier l’origine des tirs et de déployer des combattants pour s’emparer des missiles mobiles, il s’écoulait environ une minute et demie.
Après des années d’un entraînement intensif, les équipes d’artilleurs du Hezbollah avaient appris à se déployer, à tirer et à dissimuler leurs lanceurs mobiles en moins d’une minute, ce qui a eu pour conséquence que les avions et les hélicoptères de l’aviation israélienne (hélicoptères dont l’armée israélienne dispose d’un bien moindre nombre qu’elle ne le prétend) étaient incapables d’empêcher le Hezbollah de poursuivre ses tirs de roquettes contre le territoire israélien (« Israël n’en est plus qu’à trois hélicoptères du désastre total », a commenté un officier américain.)
Le Hezbollah a tiré quelque 4 000 roquettes contre Israël (un chiffre plus précis, bien qu’incertain, circule : 4 180 roquettes tirées), ce qui a « réduit » son stock à environ 14 000 roquettes – ce qui lui aurait permis de poursuivre la guerre durant au moins encore trois mois.
De surcroît, et de manière encore plus significative, les combattants du Hezbollah ont apporté la démonstration qu’ils étaient dévoués et disciplinés. En utilisant leurs atouts en matière de renseignement pour clouer sur place les incursions de l’infanterie israélienne, ils ont prouvé qu’ils étaient les égaux des combattants des meilleurs unités israéliennes.
Dans certains cas, des unités israéliennes ont été vaincues sur le champ de bataille, et contraintes à des retraits soudains ou contraints à recourir à une couverture aérienne pour sauver certains de leurs éléments d’un débordement inéluctable.
Même vers la fin de la guerre, le 9 août, l’armée israélienne a annoncé que quinze de ses réservistes avaient été tués, et quarante blessés, au cours de combats dans les villages de Marjayoun, Khiam et Kila – ce qui représente un taux étonnamment élevé de mortalité pour une parcelle marginale de biens immobiliers.
La robuste défense du Hezbollah infligeait également un lourd tribu aux blindés israéliens. Israël ayant finalement accepté un cessez-le-feu et commencé à se retirer de la zone frontalière, il abandonna derrière lui sur le terrain quarante véhicules blindés, presque tous détruits par des missiles anti-tanks AT-3 « Sagger », utilisés avec une grande expertise – il s’agit du nom utilisé par l’Otan pour désigner un missile de fabrication russe, lancé depuis un véhicule ou portable, guidé par fil, le 9M14 Malyutka de deuxième génération (Malyutka signifiant « Petit Bébé »…)
Atteignant des cibles se situant jusqu’à une distance de trois kilomètres, le Sagger (le Malyutka) s’est avéré extrêmement efficace dans l’élimination des tanks israéliens, et cela n’a sans doute pas manqué de donner des sueurs froides aux commandants des blindés israéliens, dans une grande mesure parce que le missile Sagger mis en œuvre par le Hezbollah est une version ancienne (mise au point et diffusée en 1973) d’une version plus moderne, encore plus aisée à dissimuler et à déployer, et porteur d’une tête explosive plus importante.
Si l’armée israélienne n’a pas été capable de protéger ses blindés contre la version de « deuxième génération » 1973, ses commandants doivent aujourd’hui se demander comment ils pourront se protéger contre une version plus moderne, encore plus sophistiquée et létale…
Avant la mise en application du cessez-le-feu, l’establishment politique israélien a décidé d’envoyer des parachutistes israéliens en petites brigades isolées [« clear drop »] sur des positions clés, près de la rivière Litani.
Apparemment, cette décision a été prise afin de convaincre la communauté internationale que les règles d’engagement d’une force de l’Onu devrait s’étendre dès le sud du Litani. Une telle prétention n’aurait pas pu être faite si Israël s’était avéré incapable d’affirmer de manière crédible qu’il avait été en mesure de nettoyer cette partie du Liban située entre la frontière israélienne et le Litani.
Un nombre significatif de parachutistes israéliens furent donc amenés par avion au-dessus de zones clés, juste au sud du Litani, afin de remplir cet objectif. Cette décision aurait fort bien pu aboutir à un désastre.
La plupart des forces israéliennes aéroportées jusqu’à ces sites furent en effet immédiatement encerclées par des unités du Hezbollah, et elles auraient très bien pu se faire décimer si le cessez-le-feu ne leur avait pas sauvé la mise. La décision des politiques a eu le don d’ulcérer des officiers israéliens à la retraite, dont un d’entre eux a accusé Olmert de "faire de la hasbara avec l’armée" [« spinning the military »], c’est-à-dire d’utiliser l’armée à des fins de relations publiques.
L’indice le plus éloquent de l’échec militaire israélien est sans aucun doute le bilan des morts et des blessés. Israël affirme aujourd’hui avoir tué de 400 à 500 combattants du Hezbollah, ses propres pertes étant très inférieures.
Mais un décompte plus précis montre que les pertes étaient sensiblement comparables du côté israélien et du côté hizbollahi. Il est impossible, pour des Chiites (et donc, pour le Hezbollah), de ne pas autoriser à ce que ses martyrs soient enterrés de manière digne, donc, du côté chiite, il est facile de connaître le bilan des pertes : il suffit de compter les funérailles. Moins de 180 enterrements de combattants du Hezbollah tués ont été relevés – cela correspond pratiquement au nombre de tués du côté israélien. Ce nombre doit être révisé à la hausse (mais très faiblement, ndt) : nos informations les plus récentes en provenance du Liban indiquent que le nombre des enterrements de martyrs chiites [du Hezbollah] au Sud Liban s’établit aujourd’hui très précisément à 184.
Mais quelle que soit la méthode d’évaluation – soit le décompte des roquettes, des véhicules blindés ou des morts et des blessés – le combat du Hezbollah contre Israël ne saurait être qualifié autrement que de victoire décisive, tant militairement que politiquement. Même s’il en allait autrement (ce qui n’est, à l’évidence, pas le cas), l’impact global de la guerre du Hezbollah contre Israël, sur une période de 34 jours, en juillet et en août, a causé un séisme politique dans l’ensemble de la région.
La défaite infligée par le Hezbollah à Israël a été décisive, mais la défaite politique qu’il a infligée aux Etats-Unis – qui ont incontestablement pris parti pour Israël durant le conflit et qui ont refusé d’y mettre fin – est catastrophique, et il aura un impact durable sur le prestige des Etats-Unis dans la région.

TROISIEME PARTIE : LA GUERRE POLITIQUE

Au lendemain du conflit entre Israël et le Hezbollah, un sondage d’opinion a été effectué en Egypte : on a demandé à un échantillon représentatif de la population égyptienne de citer les deux dirigeants politiques les plus admirés. Un nombre écrasant d’Egyptiens a cité Hassan Nasrallah, le président iranien Mahmud Ahmadinejad arrivant immédiatement après…
Ce sondage est une répudiation manifeste non seulement du président égyptien Hosni Mubarak, qui avait exprimé sa désapprobation du Hezbollah dès le début du conflit, mais également des dirigeants sunnites, dont le roi d’Arabie saoudite Abdullah et celui de Jordanie, Abdullah II, qui ont critiqué le mouvement chiite, dans une tentative avouée de détourner le monde sunnite de son soutien à l’Iran.
"Vers la fin du conflit, ces types étaient en train de jouer des coudes pour se frayer un chemin vers les issues de secours", a déclaré un diplomate américain en poste dans la région, à la fin du mois d’août. "On ne peut pas dire qu’on entende beaucoup parler d’eux, ces derniers temps, vous ne trouvez pas ?"
Moubarak et les deux Abdullah ne sont pas les seuls à se précipiter vers la sortie – la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen-Orient, y compris à la lumière de ses énormes difficultés en Irak, est en lambeaux. "Ce que cela signifie, c’est que toutes les portes nous sont [désormais] fermées – au Caire, à Amman, en Arabie saoudite", a confirmé un autre diplomate américain. "Notre accès est désormais coupé. Personne ne veut plus nous voir. Quand nous appelons, personne ne soulève le combiné…"
Un camée de cet effondrement peut être vu dans l’itinéraire effectué par la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, dont l’incapacité à persuader le président George Deubeuliou Bush de mettre fin au conflit et son commentaire au sujet du conflit marquant selon elle "les douleurs de l’enfantement" d’un Nouveau Moyen-Orient ont tout simplement détruit sa crédibilité.
Les Etats-Unis ont fait savoir qu’ils allaient tenter de recouvrer leur position en soutenant un [énième] plan de paix israélo-palestinien non encore annoncé, mais l’étranglement en cours par l’Amérique du gouvernement démocratiquement élu de l’Autorité palestinienne a fait de cet engagement un programme politique mort-né. La raison en est désormais parfaitement claire.
Au beau milieu de la guerre, un responsable européen en poste au Caire a eu ce commentaire au sujet des émotions qui secouaient les milieux politiques égyptiens : "Quand les Egyptiens rencontrent dans la rue des dirigeants politiques, ils changent de trottoir… "
L’échec catastrophique des armes israéliennes a ravivé la revendication iranienne du leadership du monde musulman dans plusieurs régions cruciales du monde.
Primo, la victoire du Hezbollah a démontré qu’Israël – et donc que n’importe quelle armée occidentale moderne et sophistiquée – peut être battue à plate couture, dès lors que c’est la bonne tactique militaire qui est employée et poursuivie sur une période prolongée. Le Hezbollah a donné le modèle de la mise en déroute d’une armée moderne.
La tactique est simple : laisser passer la première vague de campagne aérienne occidentale, puis déployer des forces équipées de roquettes visant des atouts clés, tant militaires qu’économiques, chez l’ennemi, ensuite, laisser passer une seconde campagne aérienne, plus intense et dure à supporter, puis prolonger le conflit autant que possible.
A un moment ou à un autre, comme ce fut le cas avec l’offensive d’Israël contre le Hezbollah, l’ennemi sera forcé d’engager des forces terrestres pour finir ce que ses forces aériennes n’auront pas pu achever. C’est durant cette ultime phase – critique – qu’une force motivée, bien entraînée et bien commandée pourra infliger des pertes extrêmement douloureuse à un establishment militaire moderne, et le vaincre.
Secundo, la victoire du Hezbollah a montré aux peuples musulmans que la stratégie utilisée par les gouvernements arabes et musulmans alliés des Occidentaux – en raison d’une politique d’apaisement vis-à-vis des intérêts états-uniens, dans l’espoir [souvent vain, ndt] d’obtenir des compensations politiques substantielles (reconnaissance des droits des Palestiniens, prix équitable pour les ressources importées du Moyen-Orient, non-interférence dans les structures politiques dans la région, élections libres, équitables et ouvertes) – ne saurait fonctionner, et qu’elle ne fonctionnera jamais.
La victoire du Hezbollah apporte un autre modèle, différent, consistant à faire voler en éclat l’hégémonie états-unienne et à détruire son prestige dans la région. Des deux événements récents les plus importants au Moyen-Orient – l’invasion de l’Irak et la victoire remportée par le Hezbollah sur Israël – le second est, de très loin, le plus important. Y compris des formations [anti-américaines mais] par ailleurs anti-Hezbollah, notamment celles qui sont liées aux mouvements de résistance révolutionnaire sunnite, qui voient dans les chiites des apostats, se sentent humbles devant le Hezbollah.
Tertio, la victoire du Hezbollah a eu un impact terrible sur les alliés de l’Amérique dans la région. Les responsables du renseignement israélien ont calculé que le Hezbollah aurait été en mesure de poursuivre sa guerre jusqu’à trois mois après sa fin effective, à la mi-août. Les estimations du Hezbollah correspondent au constat israélien, à ceci près que ni le Hezbollah, ni les dirigeants iraniens n’avaient été en mesure de prévoir quelle démarche adopter après une victoire du Hezbollah… Pendant ce temps, les services de renseignements jordaniens se consacraient vingt-quatre heures sur vingt-quatre à ce qu’il n’y ait aucune manifestation pro-Hezbollah en Jordanie, et les services égyptiens tentaient de contrôler la colère croissante de la population égyptienne devant les bombardements israéliens au Liban.
Le soutien ouvert au Hezbollah, dans l’ensemble du monde arabe (il est piquant de noter que des portraits du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ont été disposé dans certaines églises où l’on célébra des messes de Te Deum) mettent en alarme les dirigeants arabes les plus liés aux Etats-Unis : l’accentuation de l’érosion de leur prestige pourrait leur faire perdre leur emprise sur leurs propres sujets.
Il semble vraisemblable que cela amènera Mubarak et les deux Abdullah à ne pas soutenir une initiative états-unienne prônant des sanctions économiques, politiques, et a fortiori militaires, à l’encontre de l’Iran.
Une guerre future – éventuellement une offensive armée des Etats-Unis contre les sites nucléaires de l’Iran – pourrait fort bien ne pas ébranler le gouvernement de Téhéran, mais au contraire ébranler les régimes de l’Egypte, de la Jordanie, voire même éventuellement de l’Arabie saoudite.
A un moment clé du conflit, vers la fin de la guerre, les dirigeants de partis islamistes d’un certain nombre de pays se demandaient s’ils pourraient conserver leur contrôle sur leurs mouvements respectifs, ou bien, comme ils le redoutaient, si l’action politique ne risquait pas d’être récupérée par des capitaines des rues et des révolutionnaires.
Singulière notion que celle qu’on rencontre aujourd’hui communément dans les milieux du renseignement des Etats-Unis : c’est Israël (et non le Hezbollah) qui recherchait désespérément, dès le 10 août, une porte de sortie du conflit !
Quarto, la victoire du Hezbollah a dangereusement affaibli le gouvernement israélien. Au lendemain de la dernière défaite israélienne, en 1973, le premier ministre d’alors, Menachem Begin, décida d’accepter une proposition de paix du président égyptien Anwar el-Sadate. L’avancée était, de fait, plutôt modeste, les deux pays étant des alliés des Etats-Unis… Aucune percée de cette nature ne se produira au lendemain de la guerre entre le Hezbollah et Israël…
Israël est convaincu d’avoir perdu ses capacités de dissuasion, et qu’il doit les recouvrer. Certains responsables israéliens en poste à Washington confirment aujourd’hui que la question posée n’est pas de savoir « si », mais « quand » Israël reprendra l’offensive. Il est néanmoins difficile de déterminer de quelle façon Israël pourrait le faire. Pour se battre contre le Hezbollah et l’emporter, Israël aura besoin de ré-équiper et de ré-entraîner son armée.
Comme les Etats-Unis après leur débâcle au Vietnam, Israël devra restructurer sa hiérarchie militaire et reconstruire ses atouts en matière de renseignement. Cela prendra non pas quelques mois, mais des années.
Il se peut qu’Israël opte, en cas de nouvelles opérations, pour le déploiement d’armes de plus en plus puissantes contre des cibles de plus en plus étendues. Mais compte tenu de ses [piètres] performances au Liban, ce recours à des armes plus puissantes risquerait de s’attirer une réponse encore plus cinglante. Néanmoins, cela n’est nullement à exclure.
Une attaque des installations nucléaires par les Etats-Unis entraîneraient sans doute une attaque iranienne par missiles contre les installations nucléaires israéliennes – et contre les concentrations urbaines israéliennes. Personne ne peut prédire de quelle manière Israël réagirait à une attaque de cette nature, mais il est évident qu’à en juger au parti adopté par Bush durant le récent conflit, les Etats-Unis ne feraient rien pour l’arrêter.
La « maison de verre » qu’est la région du Golfe persique, si elle était prise pour cible par des missiles iraniens, ne manquerait pas de s’effondrer.
Quinto, la victoire du Hezbollah marque la fin de tout espoir de résolution du conflit israélo-palestinien, tout du moins à court et moyen termes. Même des personnalités politiques israéliennes en principe « progressistes » ont sapé leurs propres prises de position politique [en matière de relations avec les Palestiniens] en appelant de manière stridente à l’emploi d’encore plus de force, d’encore plus de troupes et d’encore plus de bombes.
Lors de rencontres privées avec des alliés politiques, le président palestinien Mahmoud Abbas a fustigé ceux qui célébraient la victoire du Hezbollah, en les qualifiant de « suppôts du Hamas » et d’ « ennemis d’Israël » [sic ! ! !]. Abbas est dans d’encore plus sales draps que Moubarak et les deux Abdullah – son peuple continue à soutenir le Hamas, et lui continue à être servilement d’accord avec George W. Bush, lequel lui a dit, en marge de la réunion du Conseil de Sécurité de l’Onu, qu’il devait mettre un terme à toute tentative de former un gouvernement d’union nationale avec ses concitoyens.
Sexto, la victoire du Hezbollah a eu la conséquence extrêmement fâcheuse de rendre aveugle le leadership politique israélien aux réalités de leur situation géostratégique.
Au plus fort de la guerre au Liban, le Premier ministre israélien Ehud Olmert a adopté le discours de Bush sur la "guerre contre la terreur", rappelant à ses administré que le Hezbollah faisait partie intégrante de l’" axe du mal".
Ses observations ont été surenchéries par Bush, dont les commentaires devant l’Assemblée générale de l’Onu n’ont comporté qu’une seule fois le mot « Al-Qa’ida », mais cinq fois chacun le Hezbollah et le Hamas !…
Les Etats-Unis et Israël ont donc désormais fait le lien entre des mouvements islamistes désireux de participer au processus politique de leurs pays respectifs et des takfiris et des salafistes entièrement voués à mettre la région à feu et à sang…
Israël ne peut plus non plus compter, désormais, sur ses soutiens les plus puissants aux Etats-Unis, c’est-à-dire sur ce réseau de néoconservateurs pour lesquels Israël est une île de stabilité et de démocratie dans la région du Moyen-Orient. La désapprobation de la contre-performance israélienne par les néoconservateurs américains est presque palpable. Avec des ennemis tels ceux-ci, Israël a-t-il encore besoin d’ennemis ?
Ceci pour dire que le conflit israélien au Liban reflète très exactement la position des experts qui voient dans le conflit entre Israël et le Hezbollah une guerre par procuration. Notre collègue Jeff Aronson a relevé que "si cela ne tenait qu’aux Etats-Unis, Israël se battrait encore", ajoutant : "Les Etats-Unis mèneront la guerre au terrorisme jusqu’à la dernière goutte de sang israélien !"
La faiblesse persistante du leadership politique israélien, alliée au fait que ce leadership vit dans le déni de la profondeur de sa défaite devrait représenter un sujet de grave préoccupation, tant pour les Etats-Unis que pour tous les pays arabes.
Israël a montré qu’en temps de crise, il est capable de faire preuve de stratégie diplomatique imaginative et de manœuvrer habilement afin de recouvrer son prestige. Israël a également démontré qu’au lendemain d’une défaite militaire, il est capable de procéder à un auto-examen honnête, et dans la transparence.
La force d’Israël a, de tout temps, résidé dans sa capacité au débat public, même si ce débat doit remettre en cause l’institution la plus sacrée et intouchable : les Forces Israéliennes de Défense [« Tsahal », ndt].
A des moments clés de l’histoire d’Israël, la défaite a conduit à une période de réflexion et non, comme cela semble aujourd’hui malheureusement le plus vraisemblable, à une offensive militaire sans cesse plus puissante contre le Hamas – tête de turc favorite du Moyen-Orient – à seule fin de rouler les mécaniques.
"Le fait que le Moyen-Orient ait été radicalisé par la victoire du Hezbollah offre une excellente opportunité pour tuer encore plus de gens du Hamas", a récemment déclaré un responsable israélien. Cette dérive ne peut conduire qu’au désastre.
A la lumière de l’incapacité des Etats-Unis à manœuvrer les manettes du changement au Moyen-Orient, il y a un petit espoir, chez certains analystes de Washington, qu’Olmert fera preuve de suffisamment de courage politique pour entreprendre le long processus vers une véritable paix. Ce processus sera douloureux, il impliquera des discussions longues et difficiles, il peut même signifier une rupture avec le programme des Etats-Unis pour cette région du monde.
Mais si les Etats-Unis ne sont pas contraints à vivre au Moyen-Orient, c’est bien, en revanche, le cas, en ce qui concerne Israël. Même si entretenir un dialogue politique avec ses voisins peut lui paraître douloureux, cela sera toujours moins douloureux que le fait de perdre une guerre, disons… au Liban ? !
Septimo, la position du Hezbollah au Liban est incommensurablement renforcée, ainsi que celle de ses principaux alliés. Au plus fort du conflit, des chrétiens libanais ont abrité des réfugiés hezbollahis chez eux.
La chef chrétien Michel Aoun a soutenu ouvertement le combat du Hezbollah. Un dirigeant de cette formation a dit : "Nous n’oublierons jamais ce que cet homme a fait pour nous, notre génération, tout du moins ne l’oubliera pas…" La position prise par Aoun est célébrée chez les chiites, et sa propre position politique s’en trouve renforcée.
Par ailleurs, le leadership sunnite s’est lui-même sapé de manière fatale, par sa position incertaine et son approche de propriétaire absent vis-à-vis de sa propre communauté.
Durant la première semaine de la guerre, les actions du Hezbollah furent accueillies [chez eux] par un très large scepticisme. A la fin de la guerre, le soutien sunnite était très solide, et il s’étendait à l’ensemble du spectre politique et du découpage confessionnel du Liban.
Aujourd’hui, le leadership libanais sunnite a le choix : il peut former un gouvernement d’unité nationale avec de nouveaux leaders, créant un gouvernement plus représentatif, ou bien ils peuvent réclamer des élections. Inutile d’être un génie politique pour comprendre quel choix fera Saad Hariri, chef de la majorité au Parlement libanais.
Octavo, la position de l’Iran en Irak est ressortie considérablement renforcée. Au beau milieu du conflit au Liban, le secrétaire d’Etat à la Défense Donald Rumsfeld a exprimé en privé sa crainte que l’offensive israélienne n’ait des conséquences redoutables pour la présence militaire états-unienne en Irak, laquelle est confronté à une hostilité croissante des dirigeants politiques chiites ainsi que de la population irakienne chiite, de manière générale.
La déclaration faite par Rice, selon laquelle les manifestations pro-Hezbollah organisées à Bagdad avaient été ourdies par Téhéran, a révélé son ignorance des faits politiques les plus fondamentales de la région.
Les secrétaires d’Etat et à la Défense étaient tout simplement et de manière totalement irresponsable inconscients du fait que les Sadr de Bagdad sont liés à ceux du Liban.
Le fait que le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki ne critique pas le Hezbollah et prenne pas fait et cause pour Israël dans le dernier conflit – au beau milieu d’une visite officielle à Washington, de surcroît – a été considéré choquant par l’establishment politique de Washington, alors même que le « Hezbollah d’Irak » est un des partis de l’actuel gouvernement de coalition nationale irakien !
On nous dit que ni le Pentagone ni le Département d’Etat ne comprennent toujours pas de quelle manière la guerre au Liban pourrait affecter la position américaine en Irak, étant donné que ni le Pentagone, ni le Département d’Etat n’ont été convoqués pour un briefing sur la question par les services du renseignement américains.
Les Etats-Unis dépensent des milliards de dollars, annuellement, afin de collecter du renseignement et d’analyser les activités ennemies. Autant parler d’argent jeté par les fenêtres…
Nono, la position de la Syrie ressort renforcée du conflit et le programme américano-français pour le Liban a échoué. Il n’y a aucune indication que le Liban va former un gouvernement qui soit ouvertement pro-américain ou anti-syrien.
Le fait que le président syrien Bashar el-Assad ait pu, au lendemain de la guerre, suggérer un arrangement politique avec Israël, démontre sa force, et non sa faiblesse. Le fait qu’il ait été en mesure de tirer les bonnes conclusions du conflit et qu’il pense que lui aussi, il en en mesure de s’opposer à Israël avec succès, est également possible.
Mais, ces éventualités mises à part, l’histoire récente montre que ces milliers d’étudiants et de patriotes libanais qui protestèrent contre l’implication de la Syrie au Liban après la mort de Rafiq Hariri ont vu toute l’ironie inhérente au fait qu’ils sont allés se mettre à l’abri des bombardements israéliens dans des camps de toile dressés spécialement à leur intention par le gouvernement syrien…
Rice a raison en une seule chose : le désir de la Syrie de donner asile à des réfugiés libanais était effectivement un acte de cynisme politique à l’état pur – un acte que les Etats-Unis semblent totalement incapables d’imiter.
Désormais, la Syrie a confiance en sa position politique. A une ère antérieure, c’est une confidence de cette nature qui avait permis à Israël d’esquisser une ouverture politique en direction de ses ennemis politiques les plus intransigeants.
Decimo, et c’est sans doute le point le plus important, il est désormais parfaitement clair qu’une attaque des Etats-Unis contre des installations nucléaires iraniennes ne seraient pratiquement pas soutenue dans le monde musulman. Elle provoquerait même une réplique militaire qui finirait de faire s’écrouler les derniers vestiges de la puissance politique américaine dans la région. Ce dont on pensait qu’il s’agissait d’une « donnée », voici seulement quelques courtes semaines, s’est avéré peu vraisemblable. L’Iran ne sera pas avili.
Si les Etats-Unis lancent une campagne militaire contre le gouvernement de Téhéran, il est vraisemblable que les amis des Etats-Unis verseront dans le fossé, que les pays du Golfe arabique trembleront de peur, que les 138 000 soldats américains en Irak deviendront les otages d’une population chiite ulcérée et que l’Iran répliquera par une attaque contre Israël. Nous devons maintenant dire l’évidence : si, et quand une attaque de cette nature se produira, les Etats-Unis seront défaits.

CONCLUSION

La victoire remportée par le Hezbollah lors de son récent conflit contre Israël est beaucoup plus lourde de sens que bien des analystes tant aux Etats-Unis qu’en Europe n’en ont pris conscience.
La victoire du Hezbollah renverse en effet totalement la vague de 1967 ; il s’était alors agi d’une défaite cataclysmique pour l’Egypte, la Syrie et la Jordanie, qui avait totalement redistribué les cartes politiques au Moyen-Orient, mettant en place des régimes entièrement voués à chambouler de fond en comble leur propre politique étrangère afin de refléter la puissance israélienne et états-unienne. Cette puissance vient d’être humiliée et renversée, et un nouveau leadership est en train d’émerger dans la région.
La leçon particulièrement singulière de ce conflit est très vraisemblablement hors d’atteinte pour les échelons supérieurs des élites politiques de Washington et de Londres, ces élites pro-israéliennes, pro-valeurs fondamentales, qui s’imaginent « combattre afin de défendre la civilisation », mais elle n’est pas perdue pour tout le monde : dans les rues du Caire, d’Amman, de Ramallah, de Bagdad, de Damas ou de Téhéran, on l’a parfaitement assimilée. Il ne faudrait pas que le leadership politique israélien, à Jérusalem, passe à côté.
Les armées arabes, en 1967, ont combattu durant six jours, avant d’être vaincues. La milice du Hezbollah, au Liban, s’est battu durant trente-quatre jours, et elle a vaincu. Nous avons vu cela de nos propres yeux en nous rendant dans les cafés du Caire et d’Amman, où de modestes boutiquiers, paysans et manœuvres, scotchés devant les postes de télévision, sirotaient leur thé, en savourant en eux-mêmes [les pertes israéliennes] : « sept », « huit », « neuf »…