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PAKISTAN

Comment Washington a manipulé Benazir

Jeudi 3 janvier 2008, par Robin Wright et Glenn Kessler

Les Etats-Unis avaient orchestré le retour de Benazir Bhutto parce qu’elle leur semblait une aide utile dans la lutte contre le terrorisme. Le Washington Post revient sur dix-huit mois de négociations secrètes.

Benazir Bhutto a pris la décision de rentrer au Pakistan lors d’une conversation téléphonique avec la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice, une semaine seulement avant de revenir au pays, en octobre. Cet appel venait conclure plus d’un an de négociations secrètes. Le retour politique de Bhutto a pris du temps et est longtemps resté incertain. La visite de trois semaines effectuée par Mme Bhutto aux Etats-Unis au mois d’août a constitué un tournant. A l’époque, elle s’était entretenue avec Zalmay Khalilzad, un vieil ami. Ancien ambassadeur des Etats-Unis dans l’Afghanistan voisin, M. Khalilzad a souvent exprimé des doutes quant à Pervez Musharraf. Du temps où il était en poste à Kaboul, il s’était heurté au secrétaire d’Etat du moment, Colin Powell, quant à l’aide réelle qu’apportait le dirigeant pakistanais dans la lutte contre les talibans. Il avait également mis en garde contre le fait que les services pakistanais laissaient les talibans se regrouper dans les zones frontalières, dit-on de source officielle américaine.

Quand Mme Bhutto est revenue aux Etats-Unis en septembre, Zalmay Khalilzad et elle ont passé plusieurs heures à discuter de stratégie. Après quoi, elle a appelé Washington à l’aide. "Elle a soumis l’idée au gouvernement Bush", explique Peter W. Galbraith, ancien ambassadeur des Etats-Unis et ami de Bhutto du temps où ils étudiaient à Harvard. "Elle avait été Premier ministre à deux reprises, et n’avait pas pu accomplir grand-chose parce qu’elle n’avait aucun pouvoir sur les institutions les plus importantes du Pakistan : l’ISI [les services de renseignements], l’armée et le secteur nucléaire." "Ne les contrôlant pas, elle n’a été en mesure ni de signer la paix avec l’Inde, ni de traquer les extrémistes, ni de transférer les fonds des programmes militaires aux programmes sociaux, poursuit M. Galbraith. La cohabitation avec Musharraf paraissait logique parce qu’il contrôlait justement ces trois institutions. C’était le moyen de parvenir à quelque chose, de créer un centre modéré."

Pour que Pervez Musharraf accepte de prendre part à l’aventure, il a fallu une visite décisive du secrétaire d’Etat adjoint John Negroponte à Islamabad en septembre. "En gros, il a fait passer à Musharraf le message que l’on continuerait à le soutenir, mais qu’il fallait qu’il dote son pouvoir d’une façade démocratique, et que nous pensions que Benazir était la personne idéale pour ce rôle", déclare Bruce Riedel, ancien agent de la CIA, également ancien membre du Conseil national de sécurité, aujourd’hui au Centre Saban de politique du Moyen-Orient, qui dépend de la Brookings Institution.

"Musharraf la détestait, et il n’a fini par accepter à contrecœur que quand il a commencé à comprendre, cet automne, que sa position était intenable." Le plan américain a cependant suscité le scepticisme de nombreux diplomates de carrière. "Beaucoup, au gouvernement, au département d’Etat, dans les services, pensaient que c’était une mauvaise idée dès le départ, parce qu’il n’y avait aucune chance que les deux parviennent à travailler ensemble pour gouverner efficacement le pays", complète Riedel.

Dans le cadre de l’accord, le parti de Bhutto avait accepté de ne pas manifester contre la réélection de Musharraf en septembre, pour un troisième mandat. En échange, Musharraf lèverait les accusations de corruption à l’encontre de Bhutto. Mais elle tenait à obtenir une garantie particulière : que Washington veille à ce que Musharraf s’engage ensuite à ce qu’aient lieu des élections libres et légales afin de former un gouvernement civil. Mme Rice, qui a pris part aux étapes finales de l’accord, a appelé Mme Bhutto à Dubaï et lui a promis que la Maison-Blanche s’en chargerait. Une semaine plus tard, le 18 octobre, elle rentrait au pays. Dix semaines après, elle était morte.

Robin Wright et Glenn Kessler écrivent pour le Washington Post.