Quand, à Chicago, et avec d’autres Américains-Palestiniens, j’ai connu Barack Obama au début, dans les années 1990, il était conscient de l’oppression à laquelle les Palestiniens étaient confrontés sous l’occupation israélienne. Il avait compris qu’un médiateur sincère ne pouvait pas être la principale pom-pom girl, le financier, et en même temps le fournisseur d’armes d’une partie au conflit. Il assistait souvent à des évènements communautaires américano-palestiniens et savait que les Palestiniens avaient vu leurs avis repoussés lors des principales négociations.
Au cours des derniers mois, Obama a cherché à dissiper les inquiétudes persistantes des groupes pro-israéliens en se repositionnant comme un fidèle partisan d’Israël et en se rapprochant des positions de l’AIPAC, le puissant et radical lobby pro-israélien américain. Il s’est éloigné lui-même de ses principaux conseillers car les groupes pro-israéliens s’étaient montrés opposés à leurs demandes d’impartialité.
A l’instar de son rival républicain, le sénateur John McCain, Obama a apporté son soutien à Israël pour le bombardement du Liban en 2006, qui a fait plus de 1 200 tués dans la population, la plupart des civils, et pour le blocus et le bombardement de la bande de Gaza, estimant qu’il s’agissait là d’actes d’ « autodéfense ».
Sous tous les angles, la visite d’Obama en Palestine/Israël de cette semaine a semblé destinée à rassurer davantage les groupes pro-israéliens. Comme tout postulant à la plus haute fonction américaine, il s’est rendu au mémorial israélien de l’Holocauste et sur le Mur occidental. Il a rencontré les dirigeants de tout l’échiquier politique juif israélien - mais pas les dirigeants arabes israéliens. Il est allé dans la ville juive israélienne de Sderot qui, jusqu’à ce qu’intervienne le cessez-le-feu le mois dernier, faisait souvent l’expérience des roquettes lancées depuis la bande de Gaza. A chaque étape, Obama a proclamé chaudement son soutien à Israël et condamné la violence palestinienne.
En dehors d’une visite éclair de 45 minutes dans la Ramallah occupée pour rencontrer le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, les Palestiniens n’ont pas obtenu grand-chose. D’après un assistant d’Abbas, Obama aurait donné l’assurance qu’il sera un « partenaire constructif dans le processus de paix ». Certains observateurs se sont consolés avec la promesse qu’il allait s’engager « à la minute même où il ferait son serment de nouveau président ». Mais Obama n’a rien dit sur la question de Jérusalem, après avoir impudemment promis, lors d’un discours à l’AIPAC le mois dernier, que la cité serait la capitale « indivisible » d’Israël, puis être revenu en arrière face à la vague d’indignation qu’il avait soulevée dans le monde arabe (*).
Obama a raté une occasion en n’allant pas dans les camps de réfugiés palestiniens, ni dans les écoles, ni même dans les centres commerciaux car il aurait pu témoigner en première main des dommages causés par l’armée et les colons israéliens, il aurait pu voir comment les Palestiniens s’en sortaient sous ce que beaucoup appellent un « apartheid ». Rien que cette année, plus de 500 Palestiniens, dont 70 et quelques enfants, ont été tués par l’armée israélienne - dépassant le total de 2007 et éclipsant les deux dizaines de tués israéliens du fait de la violence du conflit.
Obama n’a rien dit sur l’expansion incessante des colonies israéliennes sur les territoires occupés. Il n’a pas suivi le chemin courageux de l’ancien président Jimmy Carter ni rencontré les représentants démocratiquement élus du Hamas, bien qu’Israël ait négocié un cessez-le-feu avec eux. Que de telles mesures soient inconcevables montre à quel point est déformé le débat sur la Palestine aux Etats-Unis.
Beaucoup des personnes avec lesquelles je discute se sont résignées à l’idée conformiste que ceux qui aspirent aux hautes fonctions politiques nationales ne peuvent se permettre d’être jugés comme compatissant aux préoccupations des Palestiniens, des Arabes et des musulmans. Ces gens espèrent qu’Obama, s’il est élu, fera preuve de l’impartialité qui lui manque dans sa campagne.
Sans totalement exclure la possibilité d’un changement dans la politique américaine, il n’en est pas moins vrai que les pressions politiques qui se manifestent dans une campagne ne disparaissent pas comme par enchantement une fois la campagne terminée. Et que tout changement ne va pas obligatoirement dans le bon sens.
Il y a un risque qu’un président Obama ou qu’un président McCain en revienne simplement à l’approche connue à l’ère Clinton, où les Etats-Unis agissaient en fait comme « l’avocat d’Israël », comme avec Aaron David Miller qui a travaillé au département d’Etat US, de façon mémorable pendant 25 ans, à la paix au Moyen-Orient. Ce qui a conduit au doublement des colonies israéliennes en Cisjordanie, à une recrudescence de la violence et à l’échec du sommet de Camp David en 2000, où Clinton faisait pression sur Arafat pour essayer de lui faire accepter un bantoustan. Une caractéristique déprimante de cette visite d’Obama est le rôle de consultant en vue de Dennis Ross, l’officiel en charge du processus de paix sous Clinton, et fondateur d’un organisme devenu un think-tank pro-israélien sponsorisé par l’AIPAC.
Quel qu’il soit, celui qui sera élu devra affronter une situation évolutive en Palestine/Israël. Un certain nombre de changements sont en cours simultanément. D’abord, le consensus en faveur de la solution à deux Etats est en train de se désintégrer, les colonies israéliennes ayant rendu celle-ci irréalisable. Deuxièmement, la direction nationale palestinienne traditionnelle est éclipsée par les nouveaux mouvements, dont le Hamas. Et, comme les gouvernements occidentaux et arabes sont vraiment devenus des poltrons face aux violations israéliennes des droits humains, une campagne a été lancée par les Palestiniens, modelée sur la stratégie anti-apartheid pour le boycott, le désinvestissement et des sanctions, ceci avec le soutien de la société civile mondiale. Enfin, l’évolution démographique en Palestine/Israël vers une majorité absolue pour les Palestiniens, sur l’ensemble des territoires d’Israël, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, va se réaliser dans les trois ou cinq années à venir.
Pour faire la paix dans cette nouvelle réalité, les dirigeants devront être prêts à écouter et à parler avec toutes les parties au conflit et à envisager des alternatives à la solution moribonde à deux Etats comme, par exemple, le partage du pouvoir, une confédération ou un Etat démocratique unique. Il faudra par-dessus tout du courage, de l’imagination et la volonté politique pour remettre en cause l’état actuel des choses, de domination israélienne et de dépossession palestinienne, une situation qui a conduit à toujours plus de violence au fil des années.
(*) - Ndt : Barack Obama a réaffirmé hier, 23 juillet, à Sdérot, ville du sud d’Israël régulièrement bombardée par les activistes palestiniens, que Jérusalem était la capitale de l’Etat hébreu, sans prononcer toutefois le terme d’« indivisible ». [...] (Libération - 24 juillet 2008)
Co-fondateur de The Electronic Intifada, Ali Abunimah est l’auteur de One Country : A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse (Metropolitan Books, 2006).