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Bruxelles : des mouvements sociaux en séminaire international

Lundi 16 octobre 2006, par Pierre ROUSSET

Un séminaire international des mouvements sociaux s’est tenu à Bruxelles, du 28 septembre au premier octobre 2006, à l’invitation de l’Alliance sociale continentale des Amériques, du CADTM (Comité pour l’annulation de la Dette du tiers-monde), de COMPA Amériques, Focus on the Global South (basé à Bangkok), Grassroots Global Justice (Etats-Unis), Jubilé Sud (réseau sur la dette), ainsi que de la Marche mondiale des Femmes et de l’internationale paysanne Via Campesina.

Quelque quatre-vingt organisations étaient représentées au séminaire. Un certain nombre de délégations nationales n’ont pu venir (Corée du Sud, etc.), faute notamment d’avoir obtenu leur visa à temps. Mais des mouvements d’Amériques du Nord, d’Amérique latine, d’Afrique et du monde arabe, d’Europe (y compris Russie) et d’Asie se sont retrouvées à Bruxelles.

Notons en particulier la présence de syndicats comme la FSU et Solidaire en France, la FIOM (métallurgie) et les Cobas en Italie, la CUT du Brésil ; de la Confédération paysanne (France), du Mouvement des sans-terre (Brésil) et de la Fédération des paysans indonésiens (FSPI) ; des « sans » (papiers, logements…) avec Nox Vox, des centres sociaux italiens (Arci) et de réseaux féministes (comme Dawn en Asie) ; de plusieurs comités Attac (Allemagne, Japon, Maroc…), de mouvements anti-guerre (Globalize Resistance en Grande-Bretagne…) ou du Centre d’information alternative de Jérusalem…

La plupart de ces organisations ont activement participé, voilà six ans, au lancement du Forum social mondial. C’est d’ailleurs dans le cadre du FSM que le réseau lui-même s’est constitué. Il a notamment assuré la convocation des assemblées de mouvements sociaux, au sein des forums mondiaux ou régionaux, qui ont discuté de revendications communes et élaboré chaque année un calendrier collectif d’initiatives internationales. L’un des principaux problèmes qui s’est posé en 2001 était : comment combiner le « l’espace libre » de rencontres ouvert par les forums et la création de dynamiques convergentes tournées vers l’action militante ? Le réseau des mouvements sociaux a été l’un des premiers à apporter une réponse concrète à cette question. Il a aussi permis d’assurer la visibilité des acteurs sociaux et pas seulement des personnalités et des universitaires.

Le réseau des mouvements sociaux s’est régulièrement réuni au sein des forums mais, jamais auparavant, un séminaire international n’avait été organisé indépendamment d’un « événement » et sur une durée de quatre jours. L’importance de la participation montre que cette rencontre répondait à un besoin. Elle a permis de discuter de la situation mondiale ; de la dynamique des combats altermondialistes et antiguerres ; du Forum social mondial et de la préparation de sa prochaine session à Nairobi (Kenya) en janvier ; des tâches propres du réseau à l’étape actuelle et des difficultés de coordination auxquelles il doit faire face. Ces difficultés sont nombreuses, mais le réseau des mouvements sociaux aide à « décloisonner » la réflexion et à créer des convergences dans l’action. Il rassemble en effet des organisations dont le terrain privilégié d’intervention est très varié ou qui reflètent l’expérience de pays ou de régions très diverses — et il le fait dans une perspective résolument militante. C’est ce qui explique que la qualité des échanges politiques peut être ici meilleure que dans d’autres enceintes (y compris le Conseil international du FSM où les débats généraux sont souvent plus « abstraits »).

Le réseau des mouvements sociaux reste en cela un acquis précieux et irremplaçable — au sein comme en dehors des forums. Il permet d’aborder dans un cadre fonctionnel des questions complexes : Comment construire un calendrier commun d’action sans prétendre pour autant favoriser certains terrains de lutte aux dépens d’autres, tout aussi légitime ? Comment rassembler les forces face à une échéance particulière quand les priorités quotidiennes diffèrent suivant les organisations et quand la situation politique varie suivant les pays ? Comment assurer une représentation plus équilibrée des régions et des combats ? Comment croiser les points de vue pour aborder les questions qui clivent, afin d’approfondir les débats tout en s’assurant que les divergences n’entravent pas l’action ?

Après Seattle (1999), les réponses à ces questions se sont imposé de façon assez spontanée, avec la multiplication des mobilisations altermondialistes comptant des dizaines ou des centaines de milliers de participant.e.s, voire des millions lors de la journée historique contre la guerre du 15 février 2003. Les échéances (réunions du G8, du FMI, préparation de l’invasion de l’Iraq…) dictaient le calendrier militant et les manifestations internationales gagnaient régulièrement en ampleur. C’est aujourd’hui beaucoup moins vrai. A l’étape actuelle, les convergences doivent se construire plus consciemment, volontairement, ce qui exige plus que par le passé la prise en compte de réalités diversifiées.

Nous avons beaucoup, par exemple, évoqué le thème de la « guerre globale » engagé par l’impérialisme US. [1] Pour agir globalement contre cette politique de guerre globale, il faut pouvoir se mobiliser mondialement contre l’occupation de l’Irak ou du Liban : c’est l’une des fonctions d’un réseau comme celui des mouvements sociaux d’y aider. Mais il faut aussi intégrer à la vision du mouvement anti-guerre international la violence meurtrière des conflits en Afrique ou leur profondeur en Asie ; des questions trop souvent ignorées en pratique. Par ailleurs, si la solidarité face aux interventions impérialistes doit être sans condition préalable, il faut aussi discuter des problèmes politiques auxquels ladite solidarité est confrontée. Or, en ce domaine, l’angle de vision n’est pas le même quand on part des réalités palestino-libanaises (dominées par la résistance aux interventions israélo-étatsuniennes) ou quand on part de la situation en Asie du Sud, profondément marquée par les violences sectaires intercommunautaires (hindouistes contre musulmans en Inde, inter-islamiques au Pakistan…) et par l’agressivité de mouvements intégristes qui remettent aujourd’hui en cause la laïcité de l’Etat (Inde) et les droits démocratiques les plus élémentaires (en particulier des femmes). Le croisement indispensable des points de vue régionaux (Moyen-Orient, Asie du Sud…) et « thématiques » (anti-guerre, féministe…) n’a rien d’évident. Il n’y a pas beaucoup d’espaces militants internationaux au sein duquel ce travail de confrontation peut être effectué. Ce qui ne fait que renforcer la responsabilité du réseau des mouvements sociaux.

Contribuer à dynamiser l’action, à renforcer les convergences militantes et à collectiviser la réflexion : ce ne sont pas les tâches qui manquent ! Mais le réseau des mouvements sociaux est confronté à de grandes difficultés de coordination — c’est d’ailleurs pour en discuter que le séminaire de Bruxelles à été organisé. De plus, en certains domaines, des réseaux spécialisés opèrent à l’échelle internationale (dette, souveraineté alimentaire, Marche mondiale des femmes…) et sont à même de préparer des propositions de campagnes mondiales, alors que c’est beaucoup moins vrai sur d’autres terrains comme la guerre ou le syndicalisme militant. Cela rend plus difficile la discussion d’un calendrier de mobilisations équilibré.

Le séminaire de Bruxelles n’avait pas pour ambition de répondre à toutes ces questions. Il a cependant permis de poser les problèmes. Des réponses doivent être apportées dans les mois qui viennent…

Note
[1] Sur les débat, voir la synthèse présentée à la suite du séminaire : Séminaire international des mouvements sociaux, Bruxelles 28 sept. / 1er oct. 2006 : une synthèse http://www.europe-solidaire.org/spip.php ?article3393