« Il faut renforcer Abou Mazen [Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité nationale palestinienne] ! », tel est le nouveau mot d’ordre qui, dans le consensus israélien, tient lieu de stratégie. Lancé par Condoleezza Rice lors de la visite, il y a deux mois, du Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, à Washington, il a été reçu cinq sur cinq par les politiques israéliens, comme il se doit quand c’est l’Empire qui parle. Une chose est de dire « Oui chef ! », tout autre chose est de donner un contenu à ce mot d’ordre.
Jusqu’à présent, le « renforcement d’Abou Mazen » s’est soldé par une bise retentissante, suivie d’un dîner dans la résidence d’Ehoud Olmert et d’un chèque de quelques centaines de milliers de dollars. La bise a mis le président palestinien dans l’embarras, le repas n’était pas terrible et les dollars... appartiennent de toute façon aux Palestiniens, et étaient retenus illégalement dans les caisses du trésor israélien.
Même la libération de quelques centaines de détenus palestiniens - seule mesure qu’auraient appréciée les Palestiniens des territoires occupés - n’a pas été concédée par le Premier ministre israélien, transformant la bise médiatisée en une étreinte des plus compromettantes pour le président palestinien, dont l’image de marque est déjà suffisamment dégradée et qui n’avait pas besoin de cette hypocrite marque d’amitié pour être accusé par certains militants de son propre parti d’être devenu, si ce n’est un collaborateur, du moins une marionnette aux mains des Américains.
Il s’agit de renforcer Abou Mazen afin d’affaiblir le gouvernement Hamas, massivement élu et toujours soutenu par la majorité des Palestiniens. Pour ce faire, il faudrait montrer au peuple palestinien que, contrairement au Hamas, Abou Mazen peut obtenir le gel de la colonisation - auquel Israël s’est engagé dans la feuille de route, il y a près de cinq ans ! - et, dans le cadre de négociations rapides et efficaces avec Israël, mettre fin à 40 ans d’occupation. Mais cela n’est évidemment pas au programme du gouvernement d’union nationale d’Ehoud Olmert et d’Amir Peretz.
Comment peut-on espérer renforcer Abou Mazen, alors que la colonisation se poursuit de façon accélérée et, contrairement à l’époque d’Ariel Sharon, fait l’objet des fanfaronnades du Premier ministre et de son ministre de la Défense, le travailliste Amir Peretz, qui viennent tous les deux d’annoncer la reconstruction d’une colonie dans la vallée du Jourdain ? Cette déclaration a d’ailleurs provoqué l’ire du département d’État américain, qui veut à tout prix donner l’impression que si les choses ne s’améliorent pas dans les relations israélo-palestiniennes, au moins elles n’empirent pas.
Comment renforcer Abou Mazen quand on lui concède quelques centaines de milliers de dollars, alors que l’on empêche le Premier ministre, Ismaïl Haniyeh, de faire entrer plusieurs milliards de dollars dont l’Iran vient de faire don à l’Autorité palestinienne ? Si l’on voulait faire passer Mahmoud Abbas pour un collabo aux yeux de son propre peuple, on ne s’y prendrait pas autrement. Mais le pire est que les Israéliens ne le veulent pas, et ce n’est que par aveuglement colonial qu’ils donnent à celui qu’ils voudraient effectivement renforcer, mais sans y mettre le prix, le baiser de la mort.
La stratégie algérienne
Las de tenter d’affaiblir le Hamas par le renforcement impossible, dans les conditions actuelles, d’Abou Mazen, certains proches du président des États-Unis et de la CIA, d’une part, et des services secrets israéliens, de l’autre, préfèrent la méthode algérienne de 1992, qui consistait à renverser par la force un gouvernement légitime, quitte à fomenter une guerre civile. C’est l’arrière-fond des confrontations sanglantes à Gaza de ces dernières semaines entre des militants du Fatah et des militants du Hamas, et dont le Fatah porte l’entière responsabilité. Le Fatah, ou plutôt un courant du Fatah, que l’on peut appeler le « courant algérien » ou encore le « courant éradicateur », est encouragé par Washington et Tel-Aviv et est prêt à en découdre avec le Hamas pour récupérer le pouvoir... et ses prébendes.
Comme l’a montré le cas algérien, de telles manœuvres ne feront que renforcer la popularité du Hamas, d’autant que les prétendus chevaliers de la démocratie et de la laïcité, qui rêvent d’en découdre avec le gouvernement légitime, tel Muhammad Dahlan, l’ancien chef de la sécurité préventive à Gaza, ont une image de marque plutôt sulfureuse, qui ne peut que grandir celle du Hamas que personne ne peut accuser de malversation ou de corruption. Yasser Arafat entrera dans l’histoire comme celui qui a été prêt à sacrifier jusqu’à sa liberté pour empêcher une guerre fratricide entre Palestiniens et contrer les pressions combinées de Tel-Aviv et de Washington. Mahmoud Abbas n’a ni la carrure, ni le prestige du fondateur de l’OLP et, même s’il est injuste de l’accuser de tenter de fomenter une guerre civile, il tente en revanche de satisfaire la Maison Blanche en essayant de déstabiliser le pouvoir légitime afin de lui imposer un gouvernement qui donnerait un pouvoir de veto à ceux précisément que les électeurs ont voulu sanctionner.
La situation constitutionnelle qui crée, de fait, un double pouvoir — celui du Conseil législatif et celui du président, tous deux élus par le suffrage universel — donne une couverture légale aux manœuvres du président Abbas. Mais, aux yeux de la majorité des Palestiniens, elles ont une forte odeur de compromission avec Bush et Olmert.
• Paru dans Rouge n° 2187 du 4 janvier 2007.