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ISRAEL - PALESTINE

"Annapolis n’est qu’une caricature de diplomatie"

entretien avec Didier Billion

Jeudi 29 novembre 2007

Didier Billion, directeur adjoint de l’Iris, est très sceptique sur les engagements israéliens et palestiniens pris à Annapolis. Il souligne que "la déclaration commune n’est qu’un catalogue de bonnes intentions qui n’engage et ne résout rien"

LCI.fr : Que vaut la déclaration d’Annapolis, signée au dernier moment mardi, au regard des accords précédents ?

Didier Billion : Certains commentateurs sont optimistes. C’est loin d’être mon cas. J’estime que ce n’est qu’une caricature de diplomatie. Tout d’abord, ce n’est qu’une déclaration, et non pas un accord. Et surtout, elle laisse pantois. Des deux côtés, ce n’est en effet qu’un catalogue lénifiant de bonnes intentions et de bonnes résolutions éventuelles. Mais sur le fond, il n’y a aucune avancée. Le texte n’engage à rien et ne résout en rien les questions essentielles sur lesquelles les deux parties n’arrivent pas à trouver de compromis. Il ne fera que renforcer le scepticisme dans les populations israélienne et palestinienne.

Certes, Abbas et Olmert se sont réunis, mais il ne faut pas oublier qu’ils se rencontrent régulièrement depuis l’été. Pourtant, la donne n’a donc pas réellement changé. La déclaration finale fait également référence à la "feuille de route". Or celle-ci est morte et enterrée puisqu’elle prévoyait la création d’un Etat palestinien en 2005. Depuis, la situation qu’elle prenait en compte a évolué dans les Territoires palestiniens, en Israël et entre les deux parties. La "feuille de route" réapparaît donc aujourd’hui, mais totalement désincarnée, et uniquement chapeautée par les Etats-Unis, dont on sait très bien qu’ils ne sont pas impartiaux, et non par le Quartette (ndlr : Onu, UE, Russie, Etats-Unis).

LCI.fr : La déclaration d’Olmert indiquant déjà que le délai de fin 2008 pourrait ne pas être tenu n’est d’ailleurs pas un bon signe.

D.B. : Tout à fait. Cela me rappelle la suite des accords d’Oslo en 1993, qui avait pourtant bien plus de substance que la déclaration d’Annapolis. A l’époque, Rabin, un leader avec beaucoup d’envergure, plus de poids politique et de volonté qu’Olmert, n’avait pas hésité par la suite à annoncer qu’"aucune n’était sacrée".

En fait, les Israéliens maîtrisent très bien le rapport de force sur un scénario de déjà-vu : tout d’abord, une déclaration médiatique puis ensuite, une autre déclaration pour relativiser les engagements en expliquant que ce n’est pas grave si la date prévue n’est pas respectée. Or pendant ce temps, la colonisation se poursuit et s’accélère alors c’est le sujet qui cristallise le plus. Sans annonce formelle d’un gel de la colonisation, Olmert montre ainsi qu’il n’est pas prêt à faire de réelles avancées. En ce sens, Annapolis est une imposture.

"Bush tente de se donner le beau rôle"

LCI.fr : Olmert et Abbas, affaiblis intérieurement, pourront-ils tenir leurs engagements s’ils le souhaitent ?

D.B. : Même avec la meilleure volonté, ils auront énormément de difficultés. Abbas est en état d’apesanteur. Il ne contrôle plus Gaza et même une partie de la Cisjordanie et il refuse pourtant de faire un pas vers le Hamas. De son côté, Olmert est très impopulaire. Or la politique ayant horreur du vide, celui qui relève la tête en ce moment, c’est Netanyahu. Sans surprise, il est contre les négociations et tient un discours basique mais porteur : "pourquoi faire des concessions aux Palestiniens alors qu’ils sont en train de s’entre-déchirer ?". En résumé, sur le plan intérieur, pour appliquer l’engagement, Abbas doit recoller les morceaux, tandis qu’Olmert doit reprendre la main. Ils en sont loin.

LCI.fr : Les engagements résisteront-ils en cas de nouveaux dirigeants ?

D.B. : Après les accords d’Oslo, dont le processus était tangible avec des réalisations concrètes, Netanyahu a pris le pouvoir en 1996. Il a alors saboté systématiquement toutes les initiatives et a obtenu le blocage qu’il recherchait. Les conférences internationales organisées alors étaient contraintes de constater la situation et à repousser l’échéancier. S’il revient au pouvoir, nul doute qu’il jouera une nouvelle fois la montre.

Pour Abbas, il est certain que la situation actuelle, avec un partage en deux entre Gaza et la Cisjordanie, ne durera pas. Or, en cas de nouvelles élections, rien ne dit qu’il conservera la majorité en Cisjordanie. Il pourrait notamment être victime d’une coalition entre le Hamas et d’autres petits partis minoritaires.

LCI.fr : Cette déclaration est-elle néanmoins un succès diplomatique pour George W. Bush, qui l’a arrachée à la dernière minute ?

D.B. : Non, car ce n’est que de la mousse. En l’absence d’initiative européenne ou arabe, les Etats-Unis tentent de se donner le beau rôle mais Bush n’a sûrement pas changé radicalement d’opinion. Certes, il a parlé d’un Etat palestinien, mais ce n’est pas nouveau. Mais quand on fait la paix, il faut être deux, et ça, il a du mal à le comprendre.

Plus globalement, il s’investit beaucoup trop tard dans le dossier et cela ne masque pas sa tactique : pendant qu’on parle de la Palestine pour ne rien dire, on évite d’aborder les questions brûlantes comme les différents avec l’Iran.

Propos recueillis par Fabrice AUBERT - le 28/11/2007 - 21h10 publié par LCI

ttp ://tf1.lci.fr/infos/monde/moyen-orient/0,,3636442,00-annapolis-est-caricature-diplomatie-.html

Didier Billion est directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques.


Voir en ligne : www.france-palestine.org