Il y a tout juste une semaine, à Boston, des juifs américains et/ou israéliens représentaient près du tiers des vingt-neuf intervenants qui ont participé à une conférence organisée par le TARI (Trans Arab Research Institute), conjointement au William Joiner Center de l’Université du Massachusetts.
Le cauchemar d’Ehud Olmert est là. Non seulement l’ex-Premier ministre israélien doit désormais faire face aux accusations de corruption qui pèsent contre lui, mais il est aussi confronté à la réalisation de ses craintes quant au fait que les Palestiniens « risqueraient » de renoncer à une « solution à deux Etats » au profit d’une lutte pour la conquête de droits égaux - ce qui signifierait, pour reprendre ses propres termes, la « fin de l’Etat juif ».
Hé... Hou-hou, Ehud : ce combat est désormais croissant, et il ne représente absolument pas une menace pour les juifs. Bien au contraire : les juifs y participent. Et pas qu’un peu !!
Il y a tout juste une semaine, à Boston, des juifs américains et/ou israéliens représentaient près du tiers des vingt-neuf intervenants qui ont participé à une conférence organisée par le TARI (Trans Arab Research Institute), conjointement au William Joiner Center de l’Université du Massachusetts.
C’était la seconde grande conférence publique consacrée à la réalisation de l’Etat unique des Palestiniens et des Israéliens. La première avait été tenue à Londres en novembre 2008 et la troisième est prévue à Toronto, au mois de juin.
Signe de la bonne santé du mouvement en faveur d’un seul Etat, il y avait déjà trop de personnes plusieurs semaines avant la date de sa tenue ; des dizaines de personnes avaient dû être gentiment éconduites, car la salle ne pouvait en accueillir « que » cinq cents. Ceux qui ont pu venir sont restés scotchés à leur siège, un orateur captivant enchaînant après un orateur captivant précédent, en dépit d’un temps réduit pour les questions et, le deuxième jour, pas de pause déjeuner ! En ce qui me concerne, je reste agnostique. Comme je l’ai dit lors d’une intervention à la conférence, les deux Etats doivent garantir l’égalité à tous leurs citoyens, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens, hommes ou femmes, quelle que soit leur origine ethnique. Et, je le rappelle au passage, ce n’est actuellement pas le cas, ni dans l’Etat israélien réellement existant, ni dans l’Etat palestinien putatif.
Autrement dit, même si deux Etats étaient créés, Israël ne pourrait continuer à être un Etat qui privilégie ses citoyens juifs au détriment de ses citoyens non juifs. Donc, que ce soit la « solution » à deux Etats ou la solution à un seul Etat qui soit retenue, cela signifiera la fin de l’Etat juif - mais non pas (bien entendu) la disparition de l’Etat d’Israël.
Par ailleurs, je pense que les Palestiniens sont confrontés à d’autre défis, dont celui de trouver un moyen de maintenir les Palestiniens physiquement sur la terre de Palestine, et celui de la manière de défier efficacement et de manière non violente un leadership qui ne représente dans le meilleur des cas qu’un quart du peuple palestinien, afin d’éviter l’abrogation des droits des Palestiniens.
Je partage le point de vue de l’analyste politique Phyllis Bennis, qui a lancé une mise en garde, lors de la conférence, contre le fait que les Etats-Unis sont peut-être en train de chercher à imposer un mini-Etat « palestinien » doté d’une souveraineté et de droits minimalistes.
C’est la raison pour laquelle mon intervention a été focalisée sur une analyse des sources de pouvoir non-violent à la disposition du peuple palestinien, incluant un pouvoir dans les domaines économique, moral, culturel, légal et politique.
Un fait important (simple, mais d’une extrême importance) a été rappelé par plusieurs intervenants palestiniens des territoires occupés, de l’intérieur d’Israël et de l’exil. Ils ont dit, à claire et forte voix, que le fait d’œuvrer à une solution à un seul Etat, cela veut dire qu’il faut travailler avec les juifs israéliens. Comme le secrétaire général de TARI, Hani Faris, l’a dit, « l’idée d’un Etat unique va de pair, nécessairement, avec celle d’une composante palestinienne et d’une composante juive. »
Laïla Farsakh, une scientifique palestinienne, a reconnu que cela serait difficile, en raison de la haine qu’éprouvent les Palestiniens à l’encontre (de l’Etat) d’Israël, après Gaza, et étant donné leur histoire, faite de leur dépossession du fait d’Israël. Comme stratégie permettant de surmonter cette colère, elle suggère un débat portant sur l’identité, qui tiendrait compte du rôle joué par des juifs, dans le passé et aujourd’hui, dans la résistance au sionisme. Une autre proposition serait d’examiner la façon dont les juifs ont été (ou sont) traités par les sociétés arabes.
Il n’existe pas de « voix juive monolithique », a rappelé le militant palestinien Omar Barghouti, ajoutant qu’il est antisémite de prétendre le contraire. Il a fait observer une « sur-proportion de juifs » dans le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) contre Israël, qui doit se poursuivre jusqu’à ce que les droits humains des palestiniens soient garantis.
Le spécialiste de science politique As’ad Ghanem a souligné que personne ne peut décider à la place d’un peuple ce qu’est, ou doit être, sa conscience national : « Je sais que je suis Palestinien ; mais je ne suis pas en position de dire aux Israéliens qui ils sont ».
En ce qui concerne les juifs, plusieurs intervenants ont fait allusion à la manière dont le sionisme a subverti les valeurs du judaïsme, et ils ont mis l’accent sur plusieurs discours alternatifs. Comme l’a dit le philosophe du droit Ori Ben-Dor : « Le sionisme viole la mémoire juive et le message humaniste de l’Holocauste ». L’historien Norton Mezvinsky a quant à lui rappelé que les Palestiniens et les (autres) Arabes n’ont pas été les seules victimes des sionistes.
L’historien Gabriel Piterberg a salué dans la poésie du regretté Avot Yeshurun un modèle de narratifs et d’identités inclusives, mêlant des idiomes arabes et yiddish à la poésie en hébreu.
L’anthropologue Smadar Lavie a indiqué qu’une lutte commune contre l’oppression dont souffrent les juifs d’origine arabe et les Arabes palestiniens offre une possibilité de sortir du sionisme, pour entrer dans la coexistence. L’historien Ilan Pappe a cité plusieurs projets concrets de « dé-sionisation » sur le terrain, dont des jardins d’enfants communs.
Un aspect remarquable de la conférence fut la manière dont la quasi-totalité des orateurs a souligné que le projet sioniste - de créer un Etat exclusiviste - était à la racine du problème, et dont ils ont débattu des moyens permettant d’y mettre un terme.
La militante de défense des droits humains Nancy Murray et d’autres orateurs ont suggéré de placer l’agression contre Gaza dans le contexte de la manière dont Israël a été créé, et aussi de souligner le parallélisme entre le discours de l’Etat unique et les valeurs qui sont chères aux citoyens américains.
Un des rares - peut-être même était-il le seul - orateurs sionistes à la conférence, ancien adjoint au maire de Jérusalem, Meron Benvenisti, était venu enterrer le sionisme, et non pas le célébrer : « En tant que sioniste, je voulais un Etat juif, mais cette option est caduque. L’"Etat unique" existe déjà, la seule question est de savoir de quel genre d’Etat (unique) il va s’agir ? » Nombre d’orateurs ont fustigé la plateforme politique des deux Etats, y voyant « la planche de salut du sionisme » - et la démonstration de Nadim Rouhana à cet égard fut magistrale.
Un thème largement partagé fut l’avertissement pressant quant à de futures agressions israéliennes contre les Palestiniens, qui ne sont absolument pas à écarter. Ilan Pappe et Nadim Rouhana ont attiré l’attention de l’auditoire sur la décision prise par la Haute Cour israélienne de permettre à cent extrémistes israéliens, dont le leader appartenait à un parti israélien aujourd’hui interdit, de défiler dans la ville arabe israélienne d’Umm el-Fahem, sous la protection de plusieurs milliers de policiers israéliens fortement armés.
Cette manifestation est un écho extrêmement inquiétant de la provocation de l’ex-Premier ministre israélien Ariel Sharon, qui avait consisté à parcourir (entouré de son service de sécurité) l’esplanade de la Mosquée Al-Aqçâ - une provocation qui fut l’étincelle qui déclencha la deuxième Intifada palestinienne, en 2000, et donna lieu à l’écrasement brutal de l’Autorité palestinienne en 2002. Ce sinistre écho est d’autant plus préoccupant qu’il intervient dans un contexte d’appels tonitruants à transférer la population arabe d’Israël ou de lui dénier la citoyenneté israélienne, des appels auxquels le nouveau ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, donne un ton encore plus menaçant et vociférant.
Un thème majeur fut également développé : la nécessité de reconstituer un corps politique palestinien. La spécialiste de science politique Karma Nabulsi a souligné les efforts et les stratégies allant en ce sens, lors d’un passage en revue de la manière dont « le discours au sujet des solutions avait déraillé, en enlevant tout pouvoir au collectif populaire palestinien et en excluant le peuple en tant que source de la légitimité et de la souveraineté. »
Plusieurs des participants à la conférence ont relevé la nécessité de passer de la discussion du concept d’Etat unique à des stratégies concrètes quant à la manière d’y parvenir, afin de répondre non seulement à l’agnosticisme, mais également à une opposition fondamentale chez beaucoup de Palestiniens, chez beaucoup d’Israéliens, et chez beaucoup de citoyens du reste du monde. Comme l’a dit le professeur de droit George Bisharat, les partisans de l’Etat unique doivent démolir « l’idée qu’un Etat unique serait quelque chose d’utopique et d’irréalisable ».
Affirmant « nous en sommes encore à la case "départ" », As‘ad Ghanem a formulé une critique marquée au coin d’une franchise totale. L’Etat juif, l’Etat islamique et les différentes options de solution à deux Etats bénéficient, tous, d’un soutien plus important de l’opinion publique. Les questions difficiles à régler sont les suivantes :
Que seront les citoyens de l’Etat unique : israéliens, ou palestiniens ?
Qu’en sera-t-il de la relation dudit Etat unique avec la diaspora juive et avec le mouvement national arabe ?
Comment convaincre les Palestiniens et les Israéliens que l’Etat unique sera en mesure de répondre à leurs besoins ?
Proposant des stratégies concrètes, les exemples donnés par Omar Barghouti comportaient des modalités grâce auxquelles la restitution de droits intrinsèques pouvait être réalisée sans porter atteinte à d’autres droits, acquis.
La discussion des mesures concrètes a fait chanceler mon agnosticisme. La passion et la créativité qui se sont dégagées du débat ont eu le même effet. Ghada Karmi a eu raison de dire que la vision positive de la solution à un seul Etat rend les débats alternatifs (sur la « solution » à deux Zétats) « stériles ».
Réfléchissez-y : qui défend la solution à deux Etats, aujourd’hui ? C’est l’Autorité « palestinienne », dont la position est de plus en plus affaiblie après des décennies de vacarme des bulldozers israéliens colonisant la terre des Palestiniens et démolissant leurs maisons.
Ce sont aussi les « réalistes », aux Etats-Unis, en Europe et en Israël, dont l’argument massue consiste à dire qu’un Etat palestinien est le pis-aller qui, seul, peut sauver un Etat majoritairement juif : pas très sexy, comme argument en faveur d’un Etat (croupion) palestinien...
Les partisans d’une solution à deux Etats doivent s’améliorer, s’ils veulent toucher les cœurs et les esprits. Car, ne vous y trompez pas, comme se plaisent à le répéter les hommes politiques américains, les partisans de la solution à un seul Etat partagent une même foi. Et la peur et la force brute - qu’elles soient exercées par Israël et/ou l’Amérique et/ou l’Autorité « palestinienne » - ne font pas le poids, face à une authentique foi.
* Nadia Hijab est Maître de conférence émérite à l’Institut des Etudes Palestiniennes de Washington - District of Columbia.