Un pouvoir illégitime
Le gouvernement actuel est illégitime du point de vue constitutionnel. Il est connu comme le « Bloc du 16 mars » ou la « Majorité ». C’est un gouvernement proaméricain. Pourquoi est-il illégitime ? Parce que le Liban est un Etat confessionnel qui dispose aussi d’une structure politique confessionnelle : les principales religions doivent être représentées au gouvernement. Le bloc chiite ayant démissionné, ce simple fait a enlevé toute légitimité constitutionnelle au gouvernement actuel.
La « majorité » fait face également à de grave problèmes avec la démission du bloc chiite du Parlement. Pourquoi ? Parce que l’élection du nouveau Président du Liban est prévue pour 2007 et que, selon la loi, c’est le Parlement qui élit le Président. Dans la situation actuelle, le Parlement ne peut pas élire le Président. Il devrait donc y avoir des élections parlementaires anticipées.
Selon les statistiques et les grandes tendances de l’opinion, s’il y avait des élections parlementaires, la « majorité » perdrait ces élections et ne serait plus majoritaire au Parlement comme aujourd’hui, avant la démission du bloc chiite. La majorité serait entre les mains du Hezbollah et de son groupe. Cela signifie que la « majorité » perdrait sa majorité.
Par quels moyens la « majorité » peut-elle tenter de rester majoritaire ? Le bloc du Heuzbollah appelle à des élections anticipées ou à l’augmentation du nombre des membres du Parlement. La « majorité » rejette ces deux propositions et appelle à la démission du Président Emile Lahoud pour en élire un nouveau.
Le Parlement actuel ne peut pas prendre une telle décision en raison de la démission du bloc chiite. En raison de cette démission, l’institution gouvernementale est semi-paralysée, si bien que la « majorité » se trouve dans une situation vraiment critique. La popularité du Hezbollah s’accroît, la « majorité » est travaillée par des conflits internes et ne peut forcer le Président Lahoud à démissionner.
Jeter le discrédit sur la Syrie
La seule façon pour elle de s’unifier à nouveau et de gagner le soutien de la rue pour rester au pouvoir consiste à s’attirer la sympathie du peuple en accusant les Syriens et les Iraniens d’interférer avec les affaires internes du Liban en soutenant le bloc du Hezbollah. L’assassinat de Pierre Gemayel intervient dans une situation critique, marquée par les éléments suivants : le Liban traverse une période d’agitation confessionnelle, la « majorité » réclame l’institution d’une Cour de justice internationale (sur l’assassinat de Rafic Harriri) -– menaçant de faire appel à la rue pour faire pression –, l’opposition veut se renforcer au Parlement, les conflits internationaux interfèrent avec les conflits nationaux, les effets de l’agression israélienne et de la victoire de la résistance se font sentir, le projet US semble faire faillite dans la région et les Etats-Unis font pression sur le Conseil de sécurité pour qu’il vote la mise en place de la Cour internationale.
C’est pour sortir de ce dilemme sans issue, que Gemayel a été assassiné afin de regagner la sympathie de la population, de renforcer la position du gouvernement proaméricain représenté par la « majorité » et de conserver le status quo.
Les propositions du Parti communiste libanais
Pour nous, le Parti communiste libanais et les forces de gauche et démocratiques, afin de sortir de cette agitation confessionnelle, de défendre la victoire de la résistance et d’empêcher les Etats-Unis d’imposer leur projet dans le pays, il faut :
– Constituer un gouvernement transitoire d’experts indépendants et neutres pour une période maximale de six mois.
– Ce gouvernement transitoire devrait avoir une large autorité légitime à tous les niveaux politique, économique et de sécurité.
– Après avoir formé ce gouvernement, le Président démissionnerait et remettrait toute son autorité à ce gouvernement comme le prévoit la Constitution.
– Ce gouvernement proposerait une loi électorale démocratique, moderne, fondée sur la représentation proportionnelle considérant le Liban comme un unique cercle électoral. Cette loi ne devrait pas prendre en considération les appartenances confessionnelles.
– Ce gouvernement demanderait au Conseil de supprimer le système confessionnel prévu par les accords de Taef (1989) qui ont mis fin à la guerre civile et de créer un Comité national de suivi de la reconstruction du pays (…). Il serait chargé d’organiser des élections parlementaires dans une période de six mois et ce nouveau Parlement élirait à son tour le Président. Ainsi le gouvernement serait formé des forces majoritaires, les autres forces se retrouvant dans l’opposition.
Aujourd’hui, le Liban se trouve à la croisée des chemins : le « chaos constructif », voilà le slogan de la période en cours. En effet, tout abus de l’élément confessionnel menace à nouveau de replonger le Liban dans une guerre confessionnelle. Cette guerre pourrait déboucher sur un Liban fédéraliste, pour l’affaiblir par rapport au projet US dans la région. C’est pourquoi, nous appelons la population à prendre conscience de cette situation et de renforcer l’unité nationale du Liban pour construire un pays démocratique et indépendant.
• Ahmad DIRKI est membre du Parti communiste libanais.