Les syndicats et le FSM
L’année 2006 a marqué le mouvement syndical international par l’unification de deux confédérations mondiales à savoir la CISL et la CMT et plusieurs organisations syndicales jusqu’alors indépendantes pour former la Confédération Syndicale Internationale (CSI). Des processus régionaux d‘unification similaires ont eu lieu en Asie et en Afrique et l’ORIT, la CLAT et des syndicats indépendants Latino-Américains seront bientôt unifiées au sein de la CSA (Confédération Syndicale des travailleurs des Amériques) La CSI est aujourd’hui composée de 311 organisations syndicales avec des histoires, des trajectoires et des processus qui leur sont propres. Cependant une des directives du Congrès fondateur de la CSI est précisément de chercher des formes de coopération avec les membres de la société civile organisée qui partagent nos valeurs.
Le mouvement syndical s’est impliqué dès le début mais de manière progressive dans le FSM. La CSI comme ses ancêtres la CISL et la CMT s’associe au rejet de la pensée unique néolibérale et reconnaît la contribution du Forum à la création d’une conscience globale pour un autre monde, ainsi que la visibilité que le Forum a donné à certaines luttes.
Rappelons que dans son ensemble le mouvement syndical a connu de lourdes pertes sous l’agenda néolibéral, depuis les programmes de réformes du secteur public, la privatisation des services publics (souvent les secteurs les plus organisés), les réductions des dépenses sociales, la suppression des subventions aux biens et services essentiels, les fortes dévaluations monétaires, l’imposition de législations du travail restrictives et répressives, jusqu’à la libéralisation du commerce international souvent destructeur d’emplois peu qualifiés en passant par la répression antisyndicale de gouvernements ultralibéraux aussi bien au Nord qu’au Sud.
Cependant si la participation des organisations syndicales aux événements FSM varie selon les organisations et les pays, elle n’est toutefois pas unanime, le manque d’impact margilan du processus étant un élément souvent souligné par les organisations syndicales.
Enfin, notons que le mouvement syndical a appris des FSM. Ce processus a permis de développer des formes nouvelles et originales d’organisation, de création de réseaux et de mobilisation. Nous y avons aussi trouvé des alliés avec lesquels nous partageons encore aujourd’hui des actions collectives.
Analyse du contexte global :
Si la dominance néolibérale de la mondialisation s’est modifiée depuis la création du premier Forum en 2001 c’est bien dans le sens d’un endurcissement.
Une des conséquences de cet endurcissement est la précarisation de la situation de l’emploi dans le monde. Le processus de concentration des richesses pousse de plus en plus les travailleurs vers des zones de non-droit où la relation de travail n’est plus reconnue. Ainsi le travail indépendant, journalier, à la tache, en sous-traitance ou dans l’économie informelle se multiplie. En parallèle, les inégalités économiques et sociales au sein des pays et entre ceux-ci ne cessent de croitre.
Si certaines victoires ont été gagnées notamment par des gouvernements progressistes au niveau national, ces victoires n’ont pas (encore ?) foncièrement changé l’agenda international et la gouvernance mondiale. S’il est vrai que les Institutions Financières Internationales sont décrédibilisées ou que les abus sur les marchés financiers effraient jusqu’aux gouvernements les plus conservateurs, à ce jour, les réponses apportées ne vont pas beaucoup plus loin que de simples déclarations d’intention. Le blocage des négociations commerciales au sein de l’OMC illustre plus la volonté des pays dit émergeants de ne pas céder à l’égoïsme des puissances du Nord, que l’émergence d’une nouvelle donne commerciale plus juste.
Notons par ailleurs que les critiques du mode de gouvernance actuel, certes fondées, comportent cependant le risque d’un recul de l’espace multilatéral, qui, s’il était géré différemment, serait un garant de paix, de stabilité et de justice sociale.
Par contre la remise en cause de l’hégémonie traditionnelle sur la scène globale gagne du terrain. Les grands pays n’appartenant pas au monde occidental s’affirment de plus en plus sur l’échiquier mondial. Les centres de décisions et d’influence ne sont plus exclusivement situés au Nord. Notre monde d’aujourd’hui est plus multipolaire qu’il ne l’était lors de la création du FSM en 2001 et cette tendance risque fort de se poursuivre. Cependant il n’est pas certain que cette multipolarité débouche sur une transformation de l’agenda mondial. L’Asie, de par son poids démographique et sa puissance économique, semblerait être la région la plus à même de changer l’agenda politico-économique mondial. Or si l’affirmation des grands pays asiatiques a une influence énorme sur l’échiquier mondial, cette affirmation n’est cependant pas anti-néolibérale. Les grands pays asiatiques semblent avoir parfaitement assimilé le fonctionnement du système capitaliste et en être devenus de fervents promoteurs aussi bien chez eux qu’à l’extérieur. Les multinationales indiennes ne sont pas plus sensibles aux questions sociales, environnementales ou liées à l’emploi que leurs consœurs occidentales. La Chine qui finance le déficit budgétaire américain est l’un des plus grands défenseurs de cette mondialisation injuste dont elle tire profit aux dépens d’une main d’œuvre abondante largement réprimée et exploitée.
Un autre facteur relativement nouveau par rapport à 2001 est l’accélération de la mise en œuvre de processus d’intégrations régionaux, souvent inspirés par les politiques économiques établies au niveau mondial. Ainsi la globalisation se décline plus facilement entre les régions. On constate ainsi une multiplication des accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux qui d’ailleurs vont bien au delà des exigences des règles multilatérales de l’OMC. C’est le cas par exemple du DR-CAFCA entre l’Amérique Centrale et les Etats-Unis ou encore les propositions d’Accords de Partenariat Economique entre l’Europe et les pays ACP.
Par ailleurs, il est extrêmement préoccupant que le dialogue politique, social ou culturel ne parvienne pas à s’imposer, et que, dans une situation post-guerre froide, le recours à la violence armée persiste sur tous les continents.
L’ampleur de la crise environnementale actuelle est certainement une nouvelle donne depuis la création du Forum. Ce constat couplé aux autres met en évidence les limites du modèle de développement actuel.
Une autre caractéristique importante qu’il convient de prendre en compte dans notre réflexion sur le futur du Forum est la répression des libertés individuelles et collectives et, notamment, du droit d’association qui représente un obstacle majeur à l’émergence d’une société civile mondiale. De ce point de vue, la « guerre contre le terrorisme » sape les libertés individuelles et nuit à l’organisation de la société civile dans le monde. Notons par ailleurs que l’extension du modèle néolibéral s’accompagne d’une érosion des droits syndicaux sur tous les continents. Ainsi il importe d’être bien conscients que une grande partie des victimes du système économique mondial n’est pas représentée dans les Forums, puisse qu’elle ne peut s’organiser.
Le future du Forum
La charte des principes :
Une des conséquences de la multipolarité croissante du monde est l’importance pour le Forum de poursuivre son travail d’extension afin d’augmenter la participation tant géographique que thématique. Plusieurs tentatives d’extension ont été menées et d’autres sont en cours. La question s’est posée de savoir si ce travail d’extension requiert une modification de la Charte des Principes. A notre avis, ce n’est pas nécessaire. La charte représente un consensus sur lequel s’est bâti le FSM. L’extension peut et doit se faire dans le cadre de la Charte qui se propose de regrouper tous ceux et celles qui luttent contre « le néolibéralisme, contre l’hégémonie mondiale du capital, contre toute forme d’impérialisme et qui sont à la recherche d’alternatives. »
Espace ouvert et positionnement politique :
Conformément à sa Charte des Principes, le Forum jusqu’à présent ne s’est jamais positionné politiquement par rapport à un événement particulier ou une campagne ou lutte particulière et ce dans un souci de respect de la diversité et de la pluralité de ceux et celles qui y participent. Certains estiment aujourd’hui que sans positionnement politique, le forum n’a pas d’avenir puisqu’il ne pourra pas établir de contre pouvoir politique lui permettant de transformer radicalement l’agenda global.
Le concept d’espace ouvert (càd un lieu ouvert à tous ceux et celles qui partagent les principes de la Charte) est l’essence même du Forum. C’est une réponse stratégique (rassembler la société civile dans son ensemble et sa diversité) mais également politique (le refus de la pensée unique). Le Forum oppose en effet à l’agenda unique y excluant des propositions diverses et inclusives. Renoncer au principe d’espace ouvert marquerait la fin du Forum et trahirait la lutte anti-hégémonique du Forum. Cependant si le forum doit rester un espace ouvert, il ne doit pas être un espace neutre. Il est nécessaire qu’il puisse assurer un réel impact sur l’agenda global. Ainsi nous pensons que l’avenir du Forum dépend de sa capacité à progresser dans les deux directions : d’une part maintenir l’espace ouvert tel que conçu dans la Charte des Principes et d’autre part oser le positionnement politique. Le défi est de pouvoir faire de notre diversité, non une source de dispersion mais bien une force qui nous rende plus à même de peser sur l’agenda politique actuel. Le défi est de savoir comment mener ces deux processus en parallèle et de façon cohérente. Nous interprétons la notion de convergence qui a été expérimentée (trop modestement à notre gout) à Nairobi comme un début de réponse à ces deux exigences.
Comment avancer ?
Dans tous les cas, avancer simultanément dans le renforcement de l’espace ouvert et du positionnement politique demandera compréhension et respect mutuels entre ceux et celles qui participent au Forum. Nous refusons l’idée que le FSM soit contrôlé par qui que ce soit y compris par les syndicats puisque le concept même de centralisme est étranger au Forum.
Ces dernières années, nous ont démontré que l’ensemble de ceux et celles qui participent au Forum ne pourront jamais s’accorder complètement. Il est donc inutile d’essayer de chercher le consensus là ou il n’existe pas. Nous ne pouvons donc avancer que sur la base de ce qui nous unit.
De notre point de vue la poursuite de ces deux objectifs passe par la recherche d’actions collectives dans lesquelles nous pourrons nous retrouver dans le respect de notre pluralité et sur lesquelles nous pourrons nous accorder sans mettre en péril l’identité et les opinions de chacun.
Ces actions collectives pourraient par exemple prendre la forme de Forum Mondiaux Thématiques. Le choix du thème répondrait à un positionnement politique établi par consensus. Chaque groupe, mouvement ou organisation serait libre d’organiser ses actions, de présenter ses points de vue et ses propositions sur le thème choisi. Personne n’endosserait les positions des autres. Il serait en outre fondamental de considérer la centralité du thème du travail digne/emploi décent dans toutes ces discussions sur « un autre monde possible ».
Identifier les dénominateurs communs à tous, à partir desquels nous pouvons organiser des formes d’actions collectives mettant en avant notre pluralité, telle est notre proposition pour que le Forum avance vers cet autre monde possible que nous souhaitons tous.