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FRANCE

Tout faire pour battre Sarko

Jeudi 26 avril 2007, par La revue MOUVEMENTS

Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, quel est le bilan qu’une revue comme Mouvements peut tirer des dynamiques politiques qui viennent de se révéler ? Pourquoi sommes-nous persuadés que, malgré les 1001 contradictions de la gauche telle qu’elle est, il faut tout faire pour assurer la victoire de Ségolène Royal au deuxième tour ?

1. Tout d’abord, le taux très élevé de participation, alors même que toutes les enquêtes montrent une méfiance généralisée par rapport à la classe politique et que le nombre d’électeurs indécis de leur vote jusqu’à la veille du scrutin était considérable, montre que l’abstention qui marquait les élections précédentes n’était pas forcément le signal d’un repli sur soi individualiste et d’un désintérêt pour la chose publique. Une large politisation traverse la société française et celle-ci est capable de le montrer, dans les urnes mais aussi, à l’occasion, dans la rue. Cependant, cette politisation est désormais largement découplée du sentiment d’appartenance organisationnelle et les partis jouent moins qu’autrefois le rôle de canal de communication entre le système politique et la société civile. Il est donc urgent d’inventer d’autres formes politiques et organisationnelles, plus participatives et plus horizontales, pour lesquelles Mouvements milite depuis longtemps.

2. Une nouvelle fois, la règle qui fait de l’élection directe d’un(e) président(e) tout(e)-puissant(e) la clef de voûte du système politique révèle ses effets pervers : personnalisation à outrance de la campagne et triomphe de la politique spectacle, fort effet de contrainte sur les alternatives politiques avec la pression pour le vote utile, etc. Décidément, cette règle mériterait d’être modifiée en profondeur, par exemple en faisant de la figure présidentielle une autorité morale garante des institutions plutôt qu’un monarque républicain. Heureusement, les rapports de force politique ne se résument pas aux présidentielles, comme l’ont montré les mobilisations contre le CPE, l’impact du mouvement altermondialiste ou, de façon plus ambiguë, le référendum sur la Constitution européenne.

3. Toutes tendances confondues, la gauche réalise son score le plus bas depuis plus de trois décennies. C’est à l’évidence une défaite importante, et elle est d’autant plus marquée que, si l’extrême droite recule, elle continue de récolter un nombre de voix élevés tandis que Sarkozy incarne une ligne nettement plus réactionnaire que celle de son prédécesseur. Des tendances nationalistes, xénophobes, machistes et autoritaires marquent plus que jamais la société française, et la victoire du candidat de l’UMP au second tour aurait toutes les chances de les renforcer. Sarkozy ne s’est pas contenté de capter les voix des électeurs de Le Pen, il aussi largement emprunté à son style, à sa culture politique et même à son programme, entraînant ainsi un vrai changement de discours de la droite « républicaine ». Il proclame son intention de mettre en œuvre une révolution thatchérienne et, même s’il n’est pas sûr qu’il réussirait à l’imposer à la société française s’il était élu, ce risque est à prendre très au sérieux. De ce point de vue, il serait incantatoire de prétendre sans plus d’arguments qu’une orientation « résolument à gauche » du PS aurait permis à celui-ci de capter davantage d’électeurs. Il faut plutôt s’interroger sur les effets de fond entraînés par trois décennies de précarisation du salariat, par la perte de crédibilité des programmes et des modes d’organisation de la gauche ou par la crise identitaire (à l’heure où l’échelon national est relativisé par la décentralisation et l’intégration régionale mais où l’Europe n’est pas encore une source d’identification substitutive, en particulier sur le plan politique).

4. Le PS a su trouver une certaine dynamique au cours des derniers mois et cela s’est traduit dans la campagne : il a recruté des dizaines de milliers de nouveaux adhérents, sa mobilisation partisane a été forte et le score de sa candidate a été très honorable, mais il s’explique largement par la pression du vote utile. Sous l’impulsion de Ségolène Royal, une rénovation idéologique notable a été entamée. Elle reste cependant à ce jour assez confuse, marquée par des tendances progressistes (par exemple sur la question des institutions ou de l’écologie) et par d’autres plus conservatrices (par exemple sur la dimension sécuritaire et pédagogique), tandis que les points de référence socio-économiques oscillent entre blairisme et modèle scandinave. La cohérence de cette orientation se cherche encore et le futur n’est pas tranché. En tout état de cause, Ségolène Royal n’a pas réussi à articuler de façon convaincante l’image d’outsider qui lui avait valu sa popularité initiale et son statut de candidate officielle du parti. Et surtout, la social-démocratie s’est avéré incapable d’asseoir son hégémonie sur un espace politique suffisant pour tirer parti du mécontentement latent des français et pour constituer une alternative de pouvoir crédible.

5. La gauche de la gauche a sans doute manqué une fenêtre d’opportunité historique avec cette élection. La conjoncture était favorable, deux ans après la victoire du non au référendum et un an après la révolte contre le CPE. Mais pour des raisons sur lesquelles il faudra revenir, elle a été divisée et n’a pas pu adopter une stratégie cohérente vis-à-vis du PS. Elle est, dans l’ensemble, en retard dans la rénovation de sa vision du monde et de son programme politique (elle n’a guère par exemple guère évalué les conséquences d’une rupture réelle avec le néolibéralisme, se retranchant trop souvent dans les slogans confortables qui donnent l’impression que demain, on rase gratis). Au total, elle a été incapable de peser sur le débat. Le score de Besancenot, relativement élevé dans un contexte de pression au vote utile, ne peut constituer le socle d’une recomposition future au regard de la stratégie de son organisation. En l’absence d’un mouvement social de très grande ampleur, on ne voit guère comment la situation pourrait s’inverser qualitativement. La LCR gérera le petit capital de sympathie que lui apporte son candidat, le PCF risque fort de continuer son agonie. La candidature Bové, qui a démarré avec beaucoup de retard, a été elle aussi symptomatique de l’échec des perspectives unitaires. Les succès militants de la campagne Besancenot (et dans une moindre mesure de la campagne Bové) ne permettent guère de contrebalancer le tableau. Par rapport à l’ancrage militant du PCF d’il y a un quart de siècle ou même à la vague altermondialiste de ces dernières années, ils ne sont pas très significatifs. Les Verts, quant à eux, divisés et décrédibilisés, risquent d’osciller entre une marginalisation durable, satellisation durable par le PS et repli environnementaliste. La question écologique est plus d’actualité que jamais, mais il n’est pas sûr qu’ils puissent continuer à en être les principaux porteurs. Dans un futur prévisible, la gauche de la gauche et les écologistes pourront sans doute peser sur telle ou telle mobilisation sociale, mais il leur faudra un effort extraordinaire pour modifier le centre de gravité du débat politique et les rapports de force principaux.

6. Par contre, le score du candidat de l’UDF est peut-être de nature à modifier durablement le panorama du système politique français. La tentative de hold-up lancée il y a quelques années par l’UMP sur le centre est clairement un échec. La constance avec laquelle Bayrou a su y résister, d’abord extrêmement minoritaire, désormais avec des marges de manoeuvres considérables, laisse à penser que cette dynamique ne se terminera pas à la première déconvenue, quand bien même le score du centre reviendrait à des niveaux plus modestes aux prochaines échéances électorales. En installant le centre comme une force différente de la droite (la moitié de ses électeurs viennent de la gauche), Bayrou en fait le pivot potentiel du système politique, pour le second tour des présidentielles mais sans doute aussi au-delà, même si l’instauration d’une dose de proportionnelle serait seule de nature à le stabiliser définitivement.
L’émergence du centre est sur ce plan sans commune mesure avec celle du FN dans les années 1990, car celui-ci pouvait difficilement nouer des alliances politiques significatives. Le PS n’a plus d’alliés de poids sur sa gauche, les organisations y étant éclatées et se refusant pour une part à entrer dans une politique d’alliance. Par la force des choses, il va devoir ouvrir un débat stratégique sur l’alliance avec le centre - d’autant que la social-démocratie européenne, lorsqu’elle accède au gouvernement, le fait le plus souvent en coalition avec des partis assez semblables à l’UDF. On peut penser que cette évolution serait un grave recul par rapport aux perspectives de rénovation de la gauche plurielle ou à l’inverse qu’il faut s’y résoudre, mais un tel processus semble désormais à l’ordre du jour.

7. Ces tendances ne constituent pas des bonnes nouvelles. Cependant, la défaite du candidat de l’UMP au second tour pourrait en limiter la portée. Une présidence Royal n’ouvrirait pas automatiquement la voie à un renouvellement des perspectives de la gauche, mais elle augmenterait ses chances de peser en vue d’une réforme institutionnelle d’ampleur et pour réhabiliter la politique à travers la promotion de nouvelles pratiques ; pour relancer un projet européen que les citoyens pourraient enfin s’approprier ; pour sortir de l’alternative entre une politique économique libérale qui accroît les inégalités et la précarité, et le maintien tel quel d’un Etat social largement obsolète et injuste ; pour transformer les rapports sociaux à travers une véritable politique de lutte contre les inégalités et les discriminations et la reconnaissance de la diversité de la société française ; pour transformer radicalement le mode de croissance et prendre au sérieux les défis écologiques. La tâche est difficile mais la défaite électorale n’a rien d’inéluctable. Quelle que soit notre appréciation de la personnalité et du programme proposé par la candidate socialiste, il n’y a pas à hésiter : nous appelons résolument à voter Ségolène Royal et à battre Sarkozy.


Voir en ligne : www.mouvements.asso.fr