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Cuba

Quelle sortie du labyrinthe ?

Entrevue avec Aurelio Alonso

Mercredi 11 février 2009, par Waldo Fernández Cuenca

Aurelio Alonso, philosophe, sociologue et militant révolutionnaire cubain, est passé par toutes les expériences de la gauche critique cubaine, celle de la revue Pensamiento Critico des années 1970 et celle du Centre d’Études sur l’Amérique des années 1980—1990, deux institutions ayant subi chacune en son temps le zèle policier et bureaucratique alors qu’ils cristallisaient le meilleur de la pensée révolutionnaire du pays. Il est actuellement directeur adjoint de la revue cubaine Casa de Las Américas. En 1994, il a publié avec Julio Carranza, La économie cubana : ajustes con socialismo (L’économie cubaine : ajustements et socialisme) et, en 1998, Iglesia y politica en Cuba revolucionaria (Église et politique à Cuba révolutionnaire).

Qu’avez-vous pensé lorsque vous avez appris la chute du camp socialiste et de l’URSS ?

Pour moi — comme pour presque tout le monde —, ce fut quelque chose de totalement inattendu, une surprise. Mais, s’il y a un endroit dans le monde où cette chute a été comprise de manière rationnelle, c’est à Cuba. Nous savions ce qui se passait dans certains pays du bloc, comme en Pologne et en Hongrie, où s’était développée une très forte option vers une économie de marché.

Dans les années 1960, le projet cubain a essayé de se développer avec une certaine autonomie qui n’a pas eu le succès escompté. Nous avons donc été obligés d’adhérer au Comecon [1] et de nous aligner sur le système soviétique. Mais déjà, Che Guevara avait presque pronostiqué la chute du système socialiste, ce qui était généralement perçu comme peu probable. Je pense même que le système aurait pu se réformer de l’intérieur sans se déstructurer.

En matière économique, la chute a été pour nous catastrophique et a provoqué dans le domaine politique une crise de paradigme. On avait assumé l’idée que ce modèle serait le nôtre en matière de développement, et d’un coup, il s’est effondré. C’est la raison pour laquelle nombreux furent ceux qui pensaient que le socialisme allait s’effondrer ici aussi. Mais les dirigeants cubains ont vite vu clairement que l’option à suivre était de résister par tous les moyens à cette vague : c’était à la fois nécessaire et possible.

Avez-vous pensé à un moment que le socialisme pouvait s’effondrer ici aussi ?

Oui. J’ai toujours pensé qu’il pouvait s’effondrer, comme je le pense encore aujourd’hui. Si le camp socialiste a démontré quelque chose, c’est que l’irréversibilité du système n’est pas une loi inviolable. Cette idée selon laquelle nous étions arrivés à une société supérieure et que le chemin était irréversible était totalement erronée. C’est ce qu’a dit Fidel en 2005 dans un discours — qui était à la fois alarmiste et surprenant parce qu’il n’avait jamais reconnu les possibilités d’échec — en disant que nous pouvions nous-mêmes détruire notre socialisme, notamment à cause de la corruption. Plus que de corruption, je parlerais pour ma part de bureaucratie, d’immobilisme, et de routinisation de notre système.

Je pense que la destruction du système est toujours possible et qu’il faut le sauver tous les jours, le refaire, le perfectionner au quotidien. Nous ne le faisons pas toujours et ce peut être un boulet pour demain. Le grand problème du socialisme cubain réside dans le fait qu’il a été pris au piège de l’extérieur par un blocus, mais aussi de l’intérieur par une très grande incertitude.

Dans une interview pour le quotidien mexicain La Jornada, vous avez parlé de réinventer le socialisme. Que signifie pour vous réinventer le socialisme à Cuba ?

Le première fois que j’ai utilisé ce terme, c’était en 2003 au Chili, lorsque j’ai dit que le futur de la planète devait être socialiste mais qu’il fallait le réinventer. C’est le cas à Cuba, mais aussi pour tous les projets de socialisme qui naissent aujourd’hui en Amérique latine dans le cadre de sociétés qui essaient des changements radicaux et révolutionnaires. C’est le cas du Venezuela, de la Bolivie et maintenant de l’Équateur.

Ces pays ne peuvent copier les modèles du passé. Ni le soviétique, ni le modèle chinois actuel — particulièrement controversé en raison du degré de compromis obtenu avec le marché. Cela génère beaucoup d’incertitudes quant à l’avenir. Réinventer est devenu un verbe clé pour les expériences socialistes d’aujourd’hui.

Notre socialisme aussi doit être réinventé, en regardant de façon critique l’expérience du système au XXe siècle. Dans le domaine économique par exemple, nous devons dire que, d’une économie très étatisée, nous devons aller vers une économie plus flexible mais où l’État ne perde pas son pouvoir économique, c’est-à-dire ni le contrôle intégral de l’appareil économique national, ni son rôle principal dans les entreprises en tant qu’investisseur, ni dans les secteurs clés. Mais il doit laisser de l’espace à d’autres formes de propriété comme la propriété coopérative ou l’économie familiale. Ni même exclure d’autres possibilités que nous n’avons même pas imaginées. Les dogmes sont souvent obstacles à l’imagination.

Aucune des formes non socialisées, ou moins socialisées, ne doit imposer une norme de marché aux formes de propriété plus socialisées. Nous devons trouver une configuration efficace qui ne suive pas les critères quantitatifs de l’économie de marché, mais qui permette une nouvelle conception de l’efficacité. Le critère doit être de permettre que le système dans son ensemble soit soutenable.

Quelle voie prendre ? Combien de temps cela durera-t-il ? Comment faire ? Ces questions concrètes ont besoin de réponses encore plus concrètes. Et ces réponses plus concrètes nécessitent d’avoir accès à beaucoup de variables qui sont hors de ma portée. Mais je n’ai aucun doute quant à la nécessité de rompre avec l’idée qu’étatique et socialisé — ou socialiste — sont des termes équivalents.

N’y a-t-il pas aussi une idée implicite d’échec ?

Bien sûr que si. Il y a deux choses : prendre acte de l’échec du modèle antérieur, mais aussi saisir les apports réels de ce modèle. Le premier d’entre eux est de reconnaître que l’Union soviétique est passée d’un empire féodal, bien que capitaliste (basé sur les paysans), à la position de seconde puissance mondiale en moins d’un demi-siècle. Tout n’était pas échec dans cette économie et on peut en tirer quelques expériences importantes. Mais il faut le faire en tenant compte que c’est le système dans son ensemble qui n’a pas pu subsister. Ni sur le plan économique, ni sur le plan politique. Sur ce dernier plan, parce que le socialisme est le seul régime mondial dont la subsistance dépende de la démocratie. Or il n’a pas été capable de la créer. Le capitalisme peut vivre sans démocratie. N’oublions pas que c’est sous le régime de Pinochet au Chili que s’implante le modèle néolibéral. Le capitaliste utilise les mécanismes d’institutionnalisation politique dont il a besoin, qui lui sont rentables, sans aucun scrupule. Il peut même appliquer des modèles autoritaires, parfois fascistes, sous le masque d’une institutionnalité dite démocratique. C’est le cas de certains régimes électoraux où règne l’alternance gouvernementale.

Le capitalisme n’a aucun intérêt à créer une véritable démocratie. Par contre, le socialisme les a tous. C’est ce qui a manqué à Moscou où, s’il y avait eu un véritable pouvoir populaire, le gouvernement soviétique aurait pu mettre en route des réformes plus radicales destinées à maintenir le système socialiste. Je ne dis pas radical au sens de renoncer au système. Cela a échoué parce qu’il n’y avait pas de pouvoir populaire, le peuple n’avait aucun pouvoir dans les prises de décision, depuis le niveau communal jusqu’aux plus hautes sphères de l’État.

Quels sont les problèmes du projet démocratique cubain ?

Je crois qu’il faut commencer par reconnaître que nous avons construit un système trop étatisé, très bureaucratisé, avec un niveau très limité de participation populaire dans les mécanismes de prise de décision. Il y a par exemple un système de pouvoir populaire où l’assemblée nationale est électoralement très démocratique mais où les élus ont un pouvoir très limité pour prendre une quelconque décision. Elle se réunit deux fois par an et vote des choses qui ont déjà été actées. Ces votes unanimes donnent la mesure de l’inconsistance de son rôle.

Il faudrait alors refonder la démocratie cubaine actuelle ?

Refonder n’est pas le bon terme puisqu’il signifie fonder de nouveau, trouver une architecture complètement différente en liquidant tout ce qui a préexisté. Je crois qu’il faut la transformer de façon critique. Les acteurs politiques doivent avoir un regard critique et autocritique. Le rôle du parti doit être changé : le parti ne peut diriger l’État, c’est le peuple qui doit le faire. Marti [2] utilisait des mots qui m’ont toujours impressionné. Il parlait d’un parti pour former la république et non pour la diriger. Pour Marti, le rôle du parti était plus éthique, il avait un rôle d’avant-garde.

Cela nous mène à l’analyse des différences entre un parti-avant-garde et un parti-pouvoir. Si nous nous projetons dans une structure de pouvoir, nous dépassons le rôle de l’avant-garde.

Et si notre objectif est de garantir la reproduction et le perfectionnement de l’avant-garde au sein du projet, notre aspiration ne peut pas se traduire par l’exercice du pouvoir, même en administrant efficacement. Car on ôte alors au peuple la responsabilité des décisions.

Exercer le pouvoir crée des intérêts de corps. On souhaite alors être au Parti pour exercer le pouvoir. C’est toute une dynamique d’intérêts et de compromis au vu du rôle que jouent les institutions.

Croyez-vous, sans sous-estimer l’intelligence de l’ennemi, au dépassement de la mentalité d’état de siège ?

Pour dépasser cet état d’esprit, il faudrait que l’état de siège disparaisse réellement. Cette mentalité d’état de siège est le fruit de la réalité. Les dernières quinze années le démontrent clairement. Les États-Unis ont changé leur politique envers tous les pays de l’ex-camp socialiste, sauf envers Cuba. Et ils commencent à attaquer les régimes latino-américains qui se rapprochent de nous ou adoptent des positions anti-impérialistes proches de celles de Cuba.

La politique d’encerclement existe et son centre principal se déplace vers le Venezuela. Ce pays est, plus que Cuba, l’objet possible d’une invasion à cause des intérêts nord-américains qui y sont présents. Car le Venezuela est un des fournisseurs principaux de pétrole des États-Unis, assis sur les secondes plus grandes réserves mondiales de pétrole.

Dans plusieurs de vos articles sur la société cubaine et l’impact de la crise des années 1990, vous dites que Cuba subit une crise d’insertion étant donné le monde qu’il affronte. Est-ce que le pays est arrivé à s’insérer dans la dynamique globale actuelle en même temps qu’il protège son modèle ?

J’ai parlé de la crise d’insertion provoquée par la chute du « camp socialiste », car, jusqu’en 1989 Cuba était inséré dans un système international. L’insertion a toujours été un problème pour notre pays. Les premières années de révolution ont été des années de rupture et la recherche d’un chemin indépendant dans le cadre du marché mondial. Nous n’avons pas réussi. Nous avons connu les premiers éléments de la crise d’insertion jusqu’à ce que Cuba intègre le Comecon et obtienne une association internationale articulée et stable. Mais aussi une nouvelle situation de dépendance. Le Comecon n’a pas dominé une portion suffisante de l’économie mondiale. Il s’est de plus développé sur un quiproquo puisqu’il n’a pas réussi à être un système alternatif, en terme de marché, au système capitaliste dominant le marché mondial.

A partir de là, Cuba a vécu une croissance économique très profitable, bien que nous soyons redevenus une économie sucrière, dépendante d’un marché captif avec peu de possibilités d’en sortir. Aujourd’hui, nous avons obtenu une insertion polycentrique, puisque nous ne dépendons plus d’un centre en particulier. Notre insertion économique internationale a trois axes : le Venezuela, la Chine et quelques pays développés.

Comment voyez-vous le socialisme du XXIe siècle que Chavez nous propose ?

C’est une théorisation. Je confesse que j’ai moi aussi utilisé ce terme, mais ce qui est vrai, c’est que nous ne savons pas ce que sera ou seront les socialismes de ce siècle puisque seules sept années ont passé. Je crois qu’il y a un rapport de forces favorable pour recommencer la quête du socialisme en Amérique latine. C’est de là que vient le terme de « réinventer », et comme il y a encore beaucoup à réinventer, j’ai un certain rejet pour ceux qui prétendent avoir des vérités clés en mains.

Nous ne pouvons construire des modèles in abstracto, ce qui ne veut pas dire que nous ne puissions pas théoriser, mais nous devons le faire de manière progressive. Les conditions des pays qui vont construire ce socialisme, tout en sortant des complications héritées du système de dépendance néolibérale, doivent le faire sur la base d’une série de constructions distinctes de celles de la société cubaine qui a une économie très étatisée. Les objectifs sont sûrement les mêmes, mais les points de départ, les chemins et les stratégies sont différents. Nous ne devrions même pas voir les privatisations comme un péché capital. Le Venezuela part de fait d’une société hyperprivatisée et je ne crois pas que les processus de nationalisation nécessaire s’orienteront vers une déprivatisation massive. Il existe aussi des conditions différentes entre les pays qui ont de grandes ressources matérielles et naturelles, et les autres. Les conditions ne seront pas non plus les mêmes pour que triomphe un projet socialiste dans un pays capitaliste développé, elles seront nécessairement différentes. Le dilemme n’est pas entre théoriser et ne pas théoriser, mais si nous construisons des modèles ou non. Y compris à partir d’expériences évaluées comme positives.

Jusqu’à quel point le fait de copier le système soviétique et d’adopter une centralisation excessive a-t-il été néfaste pour l’économie de notre pays ?

C’est très difficile de le dire. Il faudrait se poser aussi la question de savoir jusqu’à quel point notre économie aurait pu exister sans adopter le modèle soviétique. Il ne s’agissait pas uniquement de copier un modèle mais de s’adapter aux exigences d’un ensemble de pays pour pouvoir s’insérer dans leur système. La proposition n’était pas « si tu ne t’adaptes pas au modèle, nous ne t’aidons pas », mais « si tu ne t’adaptes pas, tu ne pourras pas t’y insérer ».

Ce modèle nous a fait du mal et du bien parce qu’il nous a permis de sortir de la crise du début des années 1970. A partir de là nous avons eu une dynamique de développement stable. Un des plus grands problèmes à résoudre l’était dans le domaine financier. Il fallait trouver dans le reste du marché des modalités de financement qui n’existaient pas dans le Comecon. Nous avons alors « bénéficié » du flux d’eurodollars qu’offrait le monde développé. Cela a généré un processus d’endettement qui a dépassé les capacités de paiement du pays en monnaie convertible.

Il faudrait aussi considérer que nos politiques d’insertion étaient liées à des instruments juridiques et non à une dynamique mercantile. On construisait des usines qui ensuite ne fonctionnaient pas ou très peu parce que nous n’avions pas fait de prévisions pertinentes.
Rends-toi compte que la crise de l’économie cubaine ne commence pas de fait avec la chute du camp socialiste mais à cause de la carence de ressources financières pour solder les engagements de la dette extérieure en monnaie convertible dans les premières années de la décennie 1980.

En 1985, Cuba a dû dire aux créditeurs capitalistes qu’on ne pouvait pas payer et, pour pouvoir accéder à de nouveaux prêts, les créditeurs ont exigé du pays une forte réduction des dépenses publiques et un programme de privatisation qui privilégiait l’efficacité économique sur les dépenses sociales. C’était une version des politiques d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale, caractéristiques des liens de dépendance néolibérale. Mais Cuba ne l’a pas accepté et a déclaré un moratoire sur la dette.

Les crédits capitalistes représentaient 16% des entrées de devises dans le pays, mais ces 16% affectaient 35% de l’économie cubaine. Les accords avec les pays du Comecon se basaient sur ce que ces pays pouvaient te donner, ce qui ne coïncidait pas toujours avec ce dont nous avions besoin. Les crédits capitalistes étaient donc des entrées de devises utiles pour trouver ce dont nous avions besoin. Le moratoire sur la dette avec les créditeurs capitalistes a eu comme conséquence que le niveau de dépendance de Cuba envers le Comecon est passé d’environ 65% à presque 90% en 1989.

Quels sont les changements structurels les plus urgents dont a besoin l’économie cubaine pour faire décoller ses forces productives ?

En premier lieu nous devons regarder vers la substitution d’importations. Nous avons toujours refusé d’appliquer ce modèle alors que les principales dépenses sont le combustible et les aliments. On ne pourra jamais arriver à l’autosuffisance, mais on ne peut plus dépendre à 50% ou 60% d’importations dans ces domaines. Dans ce pays, il y a beaucoup de terres qui ne sont pas cultivées. Raul l’a rappelé en disant qu’il n’avait vu que du « marabú » [3] lors de son déplacement dans la province de Camaguey. Il y a évidemment un problème structurel qui réclame un changement structurel. 30% des producteurs agricoles assurent aujourd’hui 60% de la production d’aliments. Ces 30% sont les producteurs privés et les coopératives disposant de la plus grande autonomie dans la prise de décisions. Ce sont ceux qui sont le moins pris en tenaille par les subventions de l’État, par les engagements de l’État, par les choix de cultures fait par l’État, par les prix imposés par l’État.

Je ne suis pas un expert dans ces domaines, mais beaucoup de choses ont été écrites à ce propos.

Je crois qu’il faudrait porter un peu plus d’attention à ces critiques. Il faut générer des changements dans l’agriculture qui garantissent une meilleure autosuffisance. Je pense que le socialisme du XXe siècle a été si étatiste dans tous les domaines qu’il n’est pas difficile aujourd’hui d’adopter d’autres formes de propriété comme la coopérative et la privée.

Considérez-vous la négation du marché comme la négation du développement ?

Écoute, le marché n’est pas le capital. Mais c’est bien le capital qui a fait le marché. Les économies de marché avancent jusqu’à ce que le capital s’effondre. On doit chercher la déconnexion entre marché et capital et, en même temps, réduire le poids spécifique du marché comme dispositif de conduite de l’économie. Je ne crois pas au « socialisme de marché ». On ne peut pas diriger une économie socialiste par le biais du marché. L’économie socialiste doit être dirigée de manière globale par une institutionnalisation sociale représentative des intérêts de la population, et qui doit dominer le marché.

Il faut se servir du marché pour promouvoir une logique d’efficacité, mais sans compromettre le projet social. Une efficacité qui ne soit pas dictée par les lois du marché, mais qui dépende des intérêts supérieurs de la société, dans laquelle le marché assure aussi, grâce à ses mécanismes, l’intérêt global du projet. Le marché dont je parle ne peut donc être une concession à l’intérêt privé au détriment de l’intérêt social, mais se soumettre à lui.

Depuis que Raul a assumé la présidence du pays, on parle surtout de changements. Comment pourrait-on différencier les personnalités de Raul et de Fidel ?

Fidel est l’homme d’État le plus brillant du XXe siècle. Il a été le chef d’État qui a prouvé la plus grande capacité pour assurer la subsistance sociale dans des conditions de très grande adversité tout en maintenant un consensus de soutien au système. Les révolutions génèrent de grandes personnalités. En Équateur, personne ne connaissait Rafael Correa il y a deux ans et il a acquis une stature d’homme d’État impressionnante. Raul n’est pas Fidel. Mais je crois qu’il a une stature d’homme d’État, comme l’ont eue le Che, Dorticos, Carlos Rafael Rodriguez. C’est une opinion très personnelle. Je dirais même que Raul est mieux que Fidel sur plusieurs aspects. Je crois que Raul est un meilleur administrateur et nombreux sont ceux qui le pensent à Cuba. Il a eu un poids décisif dans les réformes mises en place dans les années 1990 et qui ont permis de contenir la chute de l’économie cubaine.

Où en est-on de la sortie du labyrinthe ?

On ne sait pas où est la sortie du labyrinthe. Elle sera le fruit de la réinsertion qui doit beaucoup à la politique de résistance, mais aussi de ce qui ce passe en Amérique latine avec la crise de l’impérialisme et les changements politiques à l’œuvre. Nous sommes dans une époque de grandes incertitudes, nous ne pouvons pas décrire les chemins que prendront les projets alternatifs et comment ils vont affronter l’impérialisme. Un impérialisme que nous aimons qualifier d’agonisant mais qui, même agonisant, ne restera pas les bras croisés ! Les agressions armées vont se développer, les croisades et les invasions aussi. En conséquence, le principal allié qu’auront les peuples de l’Amérique latine sera la résistance des peuples. Quant à Cuba, nous devons penser que la situation de siège peut encore durer cent ans. Ce siège est une composante réelle de notre labyrinthe.

Propos recueilli par Waldo Fernández Cuenca, étudiant en journalisme à Cuba.

Notes :

[1] Le Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM ou Comecon), créé en 1949 par Staline et dissous en 1991, était un organisme de gestion des échanges économiques au sein du dit « bloc soviétique ». Il devait garantir la spécialisation de chaque économie nationale et était soumis aux besoins de la bureaucratie soviétique. En dehors de l’URSS, en faisaient partie l’Albanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Roumanie, la République démocratique allemande. La Yougoslavie avait un statut d’associée. En 1962 la Mongolie y a adhéré, suivie en 1972 par Cuba et en 1978 par le Viêtnam.

[2] José Julián Martí y Pérez (1853-1895) était un militant politique, philosophe, journaliste et poète cubain, fondateur du Parti révolutionnaire cubain (en 1892) et organisateur de la guerre d’indépendance en 1895.

[3] Dichrostachys cinerea, une plante arbustive, particulièrement invasive et difficile à éradiquer dans les Antilles. À Cuba, où elle a été introduite sans doute par hasard au XIXe siècle, c’est une véritable plaie.

Source : Espacio Laica, Cuba, n° 3/2008. Inprecor, n°545-546, janvier-février 2009.

Traduction : Inprecor.


Voir en ligne : www.risal.info