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KOSOVO

Quelle indépendance ?

Entrevue avec Catherine Samary

Jeudi 27 mars 2008

En faisant référence à l’importance de l’émigration kosovare dans notre pays (un dixième de la population du Kosovo), on a pu dire qu’elle représentait le 27e canton suisse. La proclamation unilatérale de l’indépendance, le 17 février, a donc été reçue par des scènes de liesse dans les principales villes de Suisse. Quelle est l’importance réelle de cette proclamation d’indépendance ?

C’est symboliquement et politiquement très important pour les Albanais du Kosovo. L’aspiration à se retrouver soit dans un cadre albanais unifié soit dans un Etat souverain du Kosovo (avec la revendication d’une république du Kosovo en 1968 dans l’ex-Yougoslavie) est de longue date et profonde. La liesse albanaise exprime aussi la fierté d’être soutenu par les principales puissances occidentales contre l’alliance Serbie/Russie... C’est une revanche historique, d’ailleurs : le choix inverse des grandes puissances avait prévalu lors de la mise en place de l’Etat albanais en 1912, quand le Kosovo fut « attribué », sous pression Russe, à la Serbie... La déclaration d’indépendance est évidemment perçue en sens inverse à Belgrade à la fois comme une transgression du droit international, une perte symbolique du « berceau » du premier Etat Serbe et une source d’insécurité pour les quelque 120 000 Serbes du Kosovo (pour une population globale d’environ 2 millions) dont près de la moitié sont dans des enclaves. C’est important enfin dans la décomposition de la fédération yougoslave, car jusqu’alors seule l’indépendance d’ex-Républiques avait reçu un soutien international... Mais la Slovénie n’avait jamais été un Etat en dehors du cadre yougoslave...

Le nouvel Etat est-il viable de manière autonome ou ne sera-t-il qu’un paravent pour une sorte de dominion européen, à l’image de ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine ?

Comme la Bosnie-Herzégovine (BH), le Kosovo sera formellement indépendant mais sous la tutelle d’un « Représentant spécial » de l’Union Européenne avec (pour citer le Règlement Ahtisaari qui doit s’appliquer) « notamment compétence pour abroger des décisions ou des lois adoptées par les autorités du Kosovo et pour sanctionner et révoquer les agents publics » considérés comme néfastes à la mise en oeuvre du Règlement. La présence de l’OTAN est maintenue, assortie d’une « mission PESD » (Politique européenne de sécurité et de défense) dans tous les domaines juridiques. Enfin, on oublie aussi de dire que c’est l’euro, géré par la Banque centrale allemande qui a cours au Kosovo... Mais ce dernier point date déjà du protectorat antérieur. En BH, il n’y a pas d’euro mais un « mark convertible » ( ! de fait inconvertible à l’extérieur) avec interdiction qu’un citoyen bosnien soit gouverneur de la BC... Et la BH s’est enlisée dans le quasi-protectorat avec un rejet croissant des pouvoirs de pro-Consul démettant des élus... et un bilan d’échec socio-économique)... Malheureusement, le Kosovo risque de connaître les mêmes « syndromes de dépendance » et tensions dangereuses.

Vue d’ici, l’économie du Kosovo paraît souffreteuse, avec son fort taux de chômage, sa dépendance des fonds extérieurs et ses zones grises, sans parler de tout ce que l’on attribue aux mafias locales. Est-ce une caricature occidentale ou ce sombre tableau comporte-t-il une part de réalité ?

Le trafic et les mafias sont des réalités, initialement favorisées par le démantèlement social et politique de l’ancien système, la « transition guerrière », et les sanctions contre la Serbie . La « paix » continue à les nourrir par la pauvreté, l’absence de reconstruction d’un cadre légal et social stable et la présence internationale... Mais, ce qu’on ne dit pas assez, c’est que les conflits sur les privatisations des ressources minières (que l’indépendance ne réglera pas de sitôt avec Belgrade), l’absence de financement public et l’euro ont réduit dramatiquement les activités productives : le Kosovo est devenu une vaste zone de « commerce » (dont le trafic) dominée par des produits occidentaux en direction notamment du personnel étranger. Des milliers d’hectares de terres fertiles qui ne trouvaient pas d’aides et financements publiques (« rigueur budgétaire » oblige...) pour être exploités ont été sacrifiés pour construire des bâtiments commerciaux. Et le pays connaît des coupures récurrentes d’électricité alors qu’il dispose de ressources potentielles suffisantes pour tous les Balkans. Après près de neuf ans de protectorat, le Kosovo avec quelque 50% de chômeurs a un PNB d’à peine plus de 1000 euros par habitants dont une bonne part est basée sur les salaires étrangers...

Au moment de la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, on a vu des pays européens (l’Espagne en tête, mais aussi la Bulgarie et la Roumanie) s’y opposer par crainte de voir leurs propres minorités nationales s’inspirer de l’exemple kosovar. Cet « effet domino » de l’indépendance peut-il vraiment déstabiliser les pouvoirs régionaux ? Pensons, par exemple, aux républiques russes du Caucase ou aux différentes minorités des pays d’Europe centrale ?

Ce sera un atout exploité par toutes les communautés à logique sécessionniste et par la Russie dans sa volonté de peser au plan international. Celle-ci cherchera à instrumentaliser ce thème de chantage dans d’autres négociations, notamment au plan énergétique et politique, en Georgie et ailleurs. Mais les tensions principales vont se situer dans la périphérie balkanique immédiate de l’UE. Un referendum d’autodétermination dans la partie serbe de Bosnie-Herzégovine est possible... Mais aussi du côté des villages frontaliers à dominante albanaise en Serbie. Il demeure aussi des interrogations sur la stabilité en Macédoine, en dépit de progrès dans les droits reconnus à la population albanaise qui compte pour 25% de la population... Les promesses d’intégration européenne censées tempérer les tensions, sont malheureusement peu crédibles et bien trop arrogantes. Mais l’instabilité sera d’abord interne au Kosovo, notamment en bordure de la Serbie autour de Mitrovica, encouragée par l’évolution interne en Serbie même. Les discours menaçants à Belgrade et Moscou ont été sans doute en partie des coups de poker. Mais l’accumulation des échecs serbes et la guerre de l’OTAN ont légué des frustrations majeures que les politiques économiques néo-libérales n’ont certainement pas calmées. Globalement, il y a une très grande imbrication des questions balkaniques : une stabilisation ne peut être purement locale, les droits nationaux reconnus doivent être cohérents et assortis de mécanismes d’égalité et de cohésion sociale... Mais est-ce un problème « balkanique » ? Il faudrait une autre construction européenne.

(*) Dernier ouvrage paru : « Yougoslavie : de la décomposition à l’Europe », 2008 Editions du Cygne.

Interview de Catherine Samary(*) faite pour SolidaritéS suisse 14/02/08 par Daniel Süri


Voir en ligne : www.aec.org