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RUSSIE

Mobilisation à St Petersbourg

En marge du sommet du G-8 en juillet dernier.

Lundi 4 septembre 2006, par ARAGON Eric, ANGELI Verveine

La fédération SUD ptt avait décidé d’envoyer deux personnes au contre sommet de St Petersbourg dans la continuité des engagements pris à Athènes, où les militants russes présents avaient fait état de leur volonté d’organiser eux aussi une mobilisation à l’occasion de la venue du G8. L’objet de ce texte est de faire un compte rendu en donnant quelques éléments de contexte.

Des initiatives diverses

Les manifestations anti-G8 ont été assez éclatées et ont revêtu des formes diverses : forum officiel d’ONG à Moscou début juillet, forum social russe à St Petersbourg, initiatives du parti communiste "Ziouganov" séparées, initiatives syndicales, de jeunes... Nous étions présent-es au forum social russe pour lequel un chiffre de 800 à 1500 inscriptions a été donné, les initiatives communistes ont réuni 500 personnes, et le réseau contre le G8 plusieurs centaines. L’organisation Legal team (organisation de défense des droits d’expression et de manifestation et de soutien juridique) a dénombré plus de 200 arrestations, interpellations, empêchement de se rendre sur les lieux des manifestations et réunions, et ainsi que plusieurs dizaines de militants interpellés et frappés lors des manifestations qui se sont tenues à la fin du contre-sommet, dont de jeunes étrangers (suisses, allemands notamment). La presse internationale a couvert l’événement sans beaucoup d‘échos en Europe occidentale.

Le contexte G8

Cette réunion du G8 prévue sur la sécurité énergétique, les maladies infectieuses et l’éducation a, dans les faits, donné peu de résultats. Les questions énergétiques font l’objet de désaccords importants entre les parties prenantes (situation en Russie, refus du protocole de Kyoto par les américains...), et il y a maintien de la Russie hors de l’OMC. De plus, la situation au Proche Orient a dominé rapidement les échanges, faisant là aussi étalage de désaccords. Le fait que le G8 se tienne en Russie, à Saint-Pétersbourg après que celle-ci ait tenu la Présidence du Conseil de l’Europe, donne une véritable responsabilité au régime de Poutine dans les affaires internationales et l’introduit un peu plus dans les grands dirigeants du monde, renforçant par ailleurs sa position intérieure.

Le contexte russe

La participation de Poutine à ces échéances internationales correspond à une volonté du régime de continuer à s’insérer dans les mécanismes du marché tout en défendant les intérêts de la Russie.

Sur certaines questions, notamment les questions énergétiques, le pays refuse aujourd’hui les demandes d’ouvertures de l’occident et des organismes internationaux (actualité des questions du gaz, contexte Ioukos...).

Si la croissance économique est pour partie au rendez-vous et visible dans les grandes villes que sont Moscou et St Petersbourg, dans l’augmentation du salaire moyen, les différenciations sociales sont extrêmement importantes et se renforcent. Par ailleurs le régime reste très largement soumis à la corruption.

Pour les salariés, le travail au noir est très présent et le système des enveloppes (salaire supplémentaire non officiel) fait du salaire réel un élément non représentatif... Des évolutions fortes pèsent sur le contexte social :

 remise en cause et monétarisation des avantages sociaux : en particulier remise en cause de la quasi gratuité ou des très bas prix du logement, des services publics et de la santé,

 installation de grandes entreprises étrangères dans différents domaines : industriel, commerce, services..., restructurations importantes d’entreprises avec créations de filiales et licenciements...

Le régime souffle le chaud et le froid en permanence

Le régime fait des tentatives d’ouverture pour donner une image présentable à l’extérieur, donner des gages aux partenaires étatiques, mais aussi aux investisseurs (pour mémoire le partenaire potentiel Severstal d’Arcelor qui était russe a été écarté au profit de Mittal Steel car la situation en Russie est jugée non fiable).

Cette manière de faire présente au plan politique des caractéristiques qui peuvent être très contradictoires : loi sur les ONG qui veut les contraindre aux autorisations du pouvoir, si elles veulent être actives, mais aussi accord donné pour la tenue d’une réunion officielle d’ONG à l’occasion du G8, réunion dans laquelle ont été présentes des ONG de droits de l’homme, notamment, très critiques vis à vis du pouvoir. Ce type d’attitude est systématique. Cela vise à empêcher l’expression et l’organisation indépendante du régime. Ainsi, il faut accepter un certain cadre, négocier en permanence le droit d’agir (comme cela a été le cas pour l’organisation du forum social russe aussi)... Cela amène en conséquences une masse de discussions tactiques entre les diverses composantes de l’opposition et du mouvement social, qu’il soit associatif, politique ou syndical... ces problèmes ont été présents en arrière plan des initiatives anti-G8.

La répression reste importante pour ceux et celles qui tentent de s’organiser de façon indépendante.

Ainsi, si les précédents G8 ont été l’occasion de répression avec blocage de militants aux frontières parfois... dans le cas russe, c’est à des pressions individuelles qu’on a eu affaire, flics qui débarquent dans les trains avec des listes de noms, ou chez les parents des jeunes radicaux, visites des appartements...

Le chiffre avancé étant d’environ 500 personnes touchées soit par des arrestations préalables, soient par des arrestations pendant les différentes manifestations.

La Tchétchénie toujours présente

Le G8 a commencé quelques jours après l’assassinat du chef de guerre Bassaiev. Dans les faits, le pouvoir russe a assassiné tous les dirigeants Tchétchènes, y compris le président légitimement élu, montrant par là, quelqu’aient été les options politiques des uns et des autres, qu’il n’y a rien à négocier.

Si la situation de guerre ouverte semble régresser, notamment avec des reconstructions plus importantes en Tchétchénie, la présence toujours massive des militaires russes, l’action de bandes armées au service du pouvoir maintien un état d’insécurité permanente dans laquelle on ne peut imaginer aucune évolution positive rapide. De plus, on connaît désormais une nouvelle période d’instabilité dans tout le Nord Caucase, bien au delà de la Tchétchénie. Poutine se présentant comme l’homme qui fait plier les Tchétchènes, cela continue à peser beaucoup sur la situation générale. Une femme membre de l’organisation des Mères de soldat a pris la parole dans le débat du forum social : "la guerre est peut être terminée mais Poutine a fait entrer la guerre dans toutes les maisons".


Un mouvement social faible, un pays sans traditions démocratiques, un passé difficile à digérer...

 Les conditions d’existence du mouvement social sont donc difficiles. Les manifestations sont en général très peu nombreuses, cette situation étant aggravée par une répression très musclée, avec comme au contre sommet, la présence massive d‘OMONs les CRS russes tout autour du stade. On a pu compter quelques dizaines de personnes contre la guerre en Tchétchénie, quelques centaines contre celle en Irak dans une ville comme Moscou. Les manifestations ouvrières ou syndicales sont souvent interdites, se transforment en piquets.

...mais des militant-es courageux-ses et un mouvement en construction

Dans les faits, les plus grosses initiatives (plusieurs centaines de personnes dans de nombreuses villes) ont eu lieu à l’occasion de la remise en cause des droits et de la monétarisation des avantages sociaux. Pour la masse de la population, ces avantages (logement, chauffage, petits jardins, accès aux soins...) constituent des droits historiques et une garantie personnelle pour une existence souvent très difficile. Et cela explique le caractère relativement massif de la réaction populaire ainsi que l’organisation qui en a résulté : mise en place de "conseils" locaux, organisation de la population avec les retraités, jonction entre diverses luttes comme avec les liquidateurs de Tchernobyl...

Cette composante était très présente dans le "forum social" et s’est unie dans une organisation, le SKS (union de coordination des conseils), qui a tenu une réunion dans le stade Kyrov le 13 juillet. Cette réunion a été le théâtre de débats assez vifs entre militants "sociaux" et membres de courants politiques qui tentent par moment d’instrumentaliser ces mobilisations.

Le mouvement syndical

 Le mouvement syndical russe traditionnel - avec qui SUD-PTT a travaillé en 1995 pour le G8 sur la "société de l’information" - est en collaboration ouverte avec le pouvoir, néanmoins il arrive que certains militants syndicaux radicaux en soient membres et tentent de défendre les droits des salariés dans ce cadre.

 Des syndicats indépendants se créent dans un fort éclatement. Aujourd’hui, s’il existe une confédération des syndicats russes affiliée à la CISL, qui étaient présente au FSE d’Athènes, et à laquelle appartient notamment le syndicat des mineurs, celle-ci est loin de couvrir la totalité du salariat en Russie. On a d’autres organisations de type confédéral comme Zachita Truda, organisation avec laquelle SUD-PTT a eu des contacts dans la période récente, qui est petite, constituée de syndicats locaux d’entreprises et de militants.

 On a des syndicats indépendants d’entreprise, dockers, salariés de l’automobile, contrôleurs aériens, pilotes de compagnies aériennes intérieures, cheminots, conducteurs de tramway... Une conférence visant à coordonner les syndicats de l’automobile de la région de St Petersbourg s’est tenue le 14 juillet.

 Ce syndicalisme est aidé de différentes manières par le mouvement social existant : expertise sur les contrats et accords, aide juridique, soutien et solidarité.

 Le syndicalisme indépendant a connu une période positive de construction dans les années 90 mais il est vite retombé dans une situation plus difficile.

 Certaines organisations internationales aident à la constitution de syndicats. Par exemple l’organisation internationale des travailleurs du Tabac, de l’Alimentation et de l’Hôtellerie qui était présente dans le débat syndical du contre-sommet. Les débats syndicaux lors du forum social ont été assez riches dans l’analyse et la pratique syndicale, et les méthodes de lutte exposées, avec quelques points forts : analyse des restructurations, insistance sur l’aide et la solidarité, idée de syndicalisation large, nécessité de syndiquer les employés, les salariés des petites entreprises... modes d’action : grèves, piquets, grève de la faim... La préoccupation existe à l’intérieur du pays de se lier avec les syndicats des multinationales présentes en Russie.

Les ONG, associations, partis

 Les ONG traditionnelles, pour l’essentiel avaient fait le choix de se réunir de façon officielle à Moscou, et elles étaient peu présentes à St Petersbourg au forum social. Certaines organisations locales ou militants d’organisations de droit de l’homme ont participé notamment au débat sur le Caucase (Mères de soldats, militante d’Amnesty, mais aussi petits groupes qui font du soutien à la population tchétchène). Le débat organisé à cette occasion a permis de créer ou approfondir des liens entre militants français (du Convoi Syndical et Comité Tchétchénie qui étaient présents) et de plusieurs associations russes. Il a permis aussi une présence de militants d’associations de droit de l’homme dans le forum social, question importante car le lien n’est pas traditionnellement évident. D’autres questions ont été présentes notamment celle des droits des homosexuelles. Des groupes écologistes étaient présents.

 Les groupes politiques : 3 grands courants politiques existent dans la société dans la dernière période : communistes "Ziouganov", libéraux toujours assez faibles sauf dans les grandes villes, différents courants nationalistes certains à composantes fascistes, d’autres voulant récupérer l’héritage de la grande Russie (Poutine). Aux manifestations de l’anti G8, des groupes politiques divers étaient présents et assez actifs : courants communistes, groupes trotskistes ou anarchistes, militants libéraux ou sociauxdémocrates étaient aussi présents. Les communistes sont présents dans les mobilisations pour les droits sociaux, servant pour partie de repoussoir pour des associations ou ONG qui ne souhaitent pas se mélanger avec des militants qui portent une tradition qu’ils rejettent. Une proportion importante de jeunes composait les manifestants anti-G8 : groupes anarchistes, libertaires, guévaristes d’Ukraine... très présents mais fonctionnant de façon assez séparée des débats prévus dans le forum.

Parmi les étrangers présents à St Petersbourg, ce sont les jeunes qui ont réuni le plus de soutien : Ukrainiens, Allemands, Norvégiens... de nombreux jeunes venaient là aussi de villes reculées de la Russie et de la Sibérie.

La dynamique du forum social russe

Le Forum social russe est composé de divers regroupements : groupes locaux de nombreuses villes de province, différents groupes : Alternatives (Bouzgaline), institut de recherche sur la mondialisation (Kagarlitsky, Panomarev), Institut de l’action collective, IKD (Carine Clément), et de nombreux groupes de jeunes, des syndicalistes...

Le forum social russe tenait à l’occasion du G8 sa deuxième réunion, après celle qui s’était tenue à Moscou en avril 2005 et qui avait réuni 500 personnes.

Il est clair désormais que de nombreux acteurs sociaux (au regard de ce qui s’exprime comme mouvement social en Russie) souhaitent un lien fort avec les mouvements sociaux des autres pays. Cette volonté s’est déjà exprimée à plusieurs reprises présence aux FSE à Florence, Paris-St Denis et Athènes. Dans les débats, il apparaît que le mouvement altermondialiste constitue pour eux un point d’appui important pour faire progresser la construction de mouvements sociaux indépendants du pouvoir, et créer une dynamique qui renforcerait et unifierait les forces au delà des clivages propres à la société russe actuelle. Il est ainsi significatif que le débat syndical ait fait apparaître, à nouveau après Athènes, la question de la solidarité Est-Ouest comme importante, et que les débats autour de la Tchétchénie aient permis des convergences, jusque là plus que minimes. Tout cela reste numériquement faible mais plein de ressources.

La demande vis à vis du mouvement altermondialiste est donc très forte, demande de soutien, d’aide, d’échange, de présence. Nous trouvons donc problématique la quasi absence de militants étrangers des forums sociaux. Après Athènes, l’attente était particulièrement forte et exprimée dans les séminaires. Nous pensons que si les conditions d’accès et de réunions sont certes plus difficiles en Russie qu’ailleurs, la symbolique de passer outre les manifestations anti-G8 de St Petersbourg pour préparer directement celle de Rostok pose évidement problème : un G8 en Russie contre lequel il serait moins nécessaire de manifester, mais surtout un espace entier ou existe une véritable demande d’échange et de lutte globale qu’on tend à ignorer. Pratiquer de la sorte reviendrait aussi à ignorer la dynamique d’extension des forums sociaux dans le monde au-delà de leur lieu de naissance que dont l’Europe et le Brésil. La force de ce que nous construisons réside aussi dans la référence revendiquée ces dernières années en Afrique, en Asie ou en Russie.

Il y a donc un tir à corriger, nous semble-t-il, rapidement. Les prochaines discussions sur les forums européens, comme la préparation du contre sommet de 2007 devraient permettre d’avancer.

* Verveine Angeli et Eric Aragon sont membres de SUD PTT, Fédération syndicale des activités postales et de télécommunications.