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BRÉSIL

Lula auprait pu faire mieux »« 

Entretien avec Stéphane Monclaire

Vendredi 29 septembre 2006

Alors qu’un très probable second mandat se profile pour Lula, quel bilan peut-on dresser de quatre années de gouvernement de gauche au Brésil ? Entretien avec Stéphane Monclaire, politologue, maître de conférences à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) et chercheur au Credal (Centre de recherches et d’études de l’Amérique latine).

A deux jours du premier tour, Lula est largement favori dans les sondages grâce au vote des classes populaires. Comment expliquez-vous cette apparente fidélité, malgré les critiques sur le manque d’ambition des politiques sociales ?

Les politiques sociales sont moins ambitieuses et moins vastes que ne l’espéraient les électeurs et nombre d’observateurs. Certains programmes ont cependant produit des effets notables. C’est le cas d’un programme qui s’appelle Bolsa familia qui est la fusion du programme Faim zéro - qui n’a pas très bien marché - et de programmes antérieurs lancés par Fernando Henrique Cardoso (président de 1995 à 2003). Depuis 2001, et pour la première fois depuis longtemps, les inégalités sociales, au sens de la redistribution des richesses, ont reculé. Cela tient à ce programme Bolsa familia dont les modalités sont les suivantes : les familles les plus nécessiteuses reçoivent une petite aide de l’Etat qui varie en fonction du nombre d’enfants mineurs à charge. En contrepartie, les parents doivent assurer les vaccinations élémentaires de leurs enfants et les envoyer l’école. Savoir s’ils apprennent bien à l’école, c’est autre chose. L’arrivée de ces revenus supplémentaires a eu des effets positifs, particulièrement en zone rurale : cela limite l’exode rural, fait circuler un peu d’argent au niveau local et permet d’entretenir quelques commerces. Cet effet boule de neige contribue au vote Lula. Les endroits où le programme Bolsa familia est le plus présent correspondent aux zones où intentions de vote pour Lula sont les plus fortes.

Les affaires de financements occultes qui ont entaché l’image du PT, le parti de Lula, n’ont donc pas altéré l’adhésion des classes populaires ?

Ces intentions de vote sont d’autant plus massives que cette population est sous-instruite par rapport à la moyenne du pays. Comme elle est sous-instruite, son intérêt pour la politique est plus faible. C’est vrai au Brésil comme dans de nombreux pays. Suivre les démêlés particulièrement compliqués du feuilleton corruption s’avère difficile. A cela s’ajoute un sentiment qui n’est pas forcément un bonne chose pour l’esprit démocratique : peut-être prennent-ils de l’argent dans les caisses, de toute façon ce sont tous des voleurs, mais au moins ils ont mis en oeuvre ce programme. Reste que Bolsa familia a atteint le maximum de son potentiel de réduction des inégalités. Pour que ces inégalités continuent de baisser au même rythme dans les années qui viennent, il faudra étendre ce programme pas seulement aux ménages les plus pauvres mais à beaucoup plus de familles, ce qui créera une instabilité budgétaire.

Qu’en est-il des classes moyennes ?

Les couches moyennes peuvent être redevables à Lula d’une monnaie forte, surévaluée, qui leur permet de voyager à l’étranger. Pour les couches moyennes et supérieures brésiliennes, il est toujours très chic de montrer que l’on voyage en Europe ou aux Etats-Unis. D’autre part, ces couches moyennes ne sont pas trop affectées par le chômage même si les jeunes d’aujourd’hui ont de plus en plus de mal à trouver du boulot. Il sont satisfaits par plusieurs années de croissance sans réaliser que celle-ci est inférieure à la moyenne régionale. Le vote Lula tient aussi au profil des autres candidats. Il n’y a pas de candidat particulièrement attractif. Geraldo Alckmin, le candidat de l’opposition (PSDB), est l’ancien gouverneur de l’Etat de São Paulo (le centre économique du pays) mais n’est pas une figure charismatique par rapport à Lula. Son parti était divisé sur l’opportunité de sa candidature et la presse a sorti des affaires de corruption qui ternissaient son image. Il a commencé sa campagne dans un climat de doute et de division et n’a jamais pu surmonter cet handicap. Une candidate de gauche radicale, Heloisa Helena (PSOL, ex-membre du PT) occupe un peu le positionnement de Lula il y a dix ans. Elle engrange un vote protestataire mais celui-ci s’effrite : son discours radical pourrait attirer les couches populaires si celles-ci n’avaient pas tendance à voter Lula. Un quatrième candidat, Cristovam Buarque (ex-membre du PT), ancien gouverneur de Brasilia et ancien ministre de l’Education de Lula, fait une campagne médiocre. Mais c’est celui qui tient le propos le plus lucide.