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Les mystères du bombardement israélien sur la Syrie

Sunday 10 February 2008, by Seymour Hersh

Seymour Hersh a enquêté sur le bombardement israélien qui a visé la Syrie en septembre, toujours entouré de nombreuses interrogations. Quelle était la nature de la cible ? Les USA ont-ils été prévenus ? Cheney a-t-il joué un rôle ? Entretien avec Al Jazeera.

Pourquoi Israël a-il bombardé une cible en Syrie ?

Je n’ai pas les réponses à cette question directe. Le fait qu’Israël et son principal allié les USA aient choisi de ne pas s’exprimer officiellement à ce sujet est significatif et c’est ce qui a suscité mon intérêt. On n’a jamais vu un pays en bombarder un autre et ne pas faire de déclaration à ce sujet, et penser qu’il ait en quelque sorte le droit de n’en rien dire.

En 1981, lorsque Israël a bombardé le réacteur Osirak en Irak, ils l’ont bruyamment revendiqué en public. Mais dans le cas de la Syrie ils n’ont fait aucune déclaration publique. Ce n’est qu’après quelques semaines que des fuites ont commencé à avoir lieu.

Ils ont commencé à raconter à des journalistes de formidables histoires sur ce qui s’était passé. L’arrivée de bateaux chargés de matériaux illicites, déchargés par des hommes équipés de protections... Depuis un port Méditerranéen jusqu’au site bombardé, des commandos sur le terrain... des échantillons de sols prélevés.

Et rien de tout ceci ne s’est avéré exact, en fait. Tout au moins je n’ai pu en trouver aucune preuve concrète.

Ce que je veux dire, c’est que si cet article amenait Israël à prendre la décision de s’exprimer publiquement et de produire son dossier irréfutable, répondant à toutes les questions, et bien cela serait parfait. Mais ils ne l’ont pas fait, et je trouve abominable cette outrance, cette arrogance qui fait que l’on puisse commettre ce qui par définition est un acte de guerre et ne rien avoir à dire à ce sujet.

Bien évidemment la Syrie a compliqué le problème en répondant de manière irresponsable et peu inspirée. Cela leur a pris jusqu’à octobre je crois, presque quatre semaines après les évènements avant que le président syrien Bachar El Assad ne reconnaisse qu’il y avait eu un bombardement.

Pourquoi Syrie à-t-elle réagi en mezzo-voce ?

Je crois qu’ils ont été dépassés. Je pense qu’ils n’ont aucune idée de ce que c’est que le rythme de l’information. C’est quelque chose qu’ils ne connaissent pas.

Donc, cela s’est passé comme ceci : un raid se déroule, et ils annoncent assez rapidement qu’une intrusion aérienne israélienne a eu lieu. Ils ont dit au début que quelques munitions avaient été larguées, puis le ministre des affaires étrangères a déclaré en Turquie, que rien n’avait été bombardé mais que des bombes étaient tombées sans toucher de cible.

Ensuite, trois semaines plus tard, le président déclare : « En fait, une construction a été détruite. » Une séquence aussi inepte, cela ne se programme pas. En réalité, ils n’ont tout simplement pas été bons.

Mais il y a d’autres facteurs.

Comme la Corée du Nord ?

Il y avait des coréens sur le site, comme l’avaient affirmé les Israéliens. Ils construisaient une installation, une installation militaire, à mon avis.

On m’a dit deux choses différentes durant mon séjour en Syrie.

On m’a dit qu’il s’agissait peut-être d’une installation chimique, pour la guerre chimique. L’autre version, plus convaincante à mon sens, était qu’il « s’agissait de missiles, des missiles à courte portée, destinés à être utilisés en cas d’attaque israélienne, destinés à une réponse asymétrique. »

Ils considèrent que les armes chimiques seraient de peu d’utilité contre une puissance nucléaire ?

Oui. Ils seraient vitrifiés. On m’a dit qu’ils avaient pris cette décision depuis bien plus longtemps que nous ne pourrions le penser.

On m’a dit qu’ils avaient révisé leur conception sur l’emploi de projectiles chimiques, comme arme de dissuasion, car la réponse serait nucléaire.

Vous sources ne vous ont-elles pas dit qu’il y avait des preuves en faveur de l’hypothèse d’une attaque destinée à tester les défenses aériennes syriennes dans la mesure ou elles sont similaires à celles de l’Iran ?

Au début, ce plan a été étudié. Disant cela je veux dire qu’il a été étudié par l’Etat Major des Armées US, il a été étudié par des gens travaillant pour le Vice Président.

Les éléments dont j’ai connaissance à ce sujet, c’est que durant l’été, des mois avant la mission, il y a eu de nombreuses discussions sur l’exécution de cette mission, et il y eu un rapport en provenance du renseignement, de la Defence Intelligence Agency, indiquant que la Syrie avait considérablement amélioré les performances de son système de défense radar.

Et ce radar anti-aérien était semblable, proche,, à celui que nous savons maintenant avoir été installé en Iran. Donc c’était une manière de tester le radar Syrien.

On peu se déplacer à travers la Syrie sans que personne ne s’en préoccupe. C’est un petit pays de 17 millions d’habitants. Mais pénétrer en Iran et tester les radars en survolant un site, cela provoquerait une contre-attaque.

Les israéliens ont survolé la Syrie en toute impunité, il n’y a pas grand-chose qu’elle puisse faire et ils savent qu’elle ne fera rien.

Donc, initialement, cela a été vu par mes amis comme une « opération radar. » Ce n’est qu’après les évènements qu’ils ont appris quelque chose.

Il était très difficile d’obtenir des informations [en Israël], car ils ont une règle interdisant de communiquer des informations et la censure militaire a été imposée sur ce sujet.

Mais quelques personnes m’ont dit « ce truc du radar, c’était [n’importe quoi] - il n’allait rien se passer, c’était un moyen, un opportunité pour nous pour entrer [en Syrie] »

Il semble clair, d’après ce que j’ai appris de mes amis américains et des syriens, que les israéliens ont pénétré carrément et que la seule cible qu’ils avaient était celle qu’ils ont bombardée.

Ils ne cherchaient pas un site radar. Ils sont simplement entrés et ont écrasé leur cible.

Ensuite, vous avez la question suivante, que je n’ai pas vraiment traitée dans l’article car ce sont des suppositions, et qui est : qui a autorisé le raid ?

A qui en ont-ils parlé ? Israël ne mène pas un raid comme celui là sans en référer à la Maison Blanche, et je n’ai pu trouver personne ayant su par avance que cette installation allait être frappée.

Il est possible que cela soit parce que je n’ai pas su trouver cette personne. Mais si ce n’est pas le cas, cela ne signifie pas non plus qu’il n’y avait personne. Il pourrait aussi s’agir de quelqu’un comme Dick Cheney qui en d’autres occasions a déjà outrepassé la chaîne de commandement.

Pour le dire différemment, en temps normal cette information au sujet d’une attaque israélienne devrait remonter jusqu’à l’Etat Major, mais il a peut-être interrompu le processus quelque part. Il l’avait déjà fait en d’autres circonstances. Mais je ne peux vous dire avec certitude ce qui s’est vraiment passé.

Ce raid avait-il pour objet de dissuader Téhéran ?

Bien sûr, pour les Etats-Unis c’était l’idée. Faire savoir aux iraniens que malgré le rapport du NIE, « nous sommes prêts... nous avons un bras armé et les israéliens irons vous taper pour nous si nous avons besoin. »

Mais pour Israël la mission dans son entier relevait d’une autre conception.

Je pense que les israéliens étaient troublés par la présence de nord-coréens [sur ce site]. Ils étaient troublés par cette construction et ont pensé : « Sapristi, quoique ce soit, nous n’allons pas laisser faire. Nous allons frapper cette installation avant qu’elle soit achevée, quoi qu’elle devienne. »

S’ils ont pensé que c’était une installation nucléaire, j’espère qu’ils vont nous le dire. Sinon, ils ont simplement frappé une construction qui n’était pas terminée.

Et le résultat a été formidable pour eux, car cela a donné à Olmert un élan certain, une poussée dans sa popularité.

Comme celle suivant la guerre du Liban ?

Absolument. Cela a également été vu comme un message adressé à Bachar el Assad, le président syrien, dont les israéliens pensaient qu’il était devenu trop confiant, après la guerre du Hezbollah. C’est un grand soutien de Hassan Nasrallah, qui est son « grand pote. »

Les Israéliens ont pensé qu’ils pouvaient lui en faire rabattre. Le message à Assad, c’est : « Alors, qu’est-ce que l’Iran fait pour toi maintenant, mon pote ? Nous sommes venus te taper dessus. Est-ce que l’Iran fait quoique ce soit ? »

La presse américaine et internationale a fini par reprendre cette histoire de façon scandaleuse.

La culpabilité des médias, c’était un sujet important lors de la préparation de la guerre en 2003, où des preuves questionnables étaient censées justifier la guerre. Les médias sont-ils été manipulés encore une fois ?

La presse a été inconsistante à cette occasion, et a tout accepté sans discuter.

Pour moi la presse américaine.... Je ne pense pas qu’ils se soient vraiment confrontés à la réalité de ce qui s’est passé. Les journaux ont failli sans conteste sur le plus grand enjeu moral de la décennie, qui était cette préparation illégale à la guerre en Irak. Nous avons failli.

Ce n’est pas cela notre travail. Ce n’est pas notre travail de faillir. Notre travail, ce n’est pas d’écouter le président. Il y a des éléments qui correspondent [encore] à ce même schéma « d’embrassade » et c’est très dérangeant.

Avec les élections cette année, pensez-vous que la politique étrangère changera avec le nouveau président, en particulier en direction d’Israël, de l’Iran et de la Syrie ?

Cela ne changera certainement pas avec McCain. Il déclare qu’il ne faut pas modifier le cours de la guerre, ce qui à mon avis est une grave erreur.

Quelqu’un que je connais a écrit un merveilleux essai affirmant que l’Irak est défunt, que le général David Petraeus et l’ambassadeur Ryan Crocker, sont les croque-morts chargés de maintenir les apparence avec du maquillage et en apprêtant le corps pour les six prochains mois, jusqu’à ce que nous ayons dépassé les élections. C’est leur objectif.

[Pour Israël], c’est très difficile. Vous savez, en Amérique, il n’y a aucun questionnement. L’influence des juifs américains est énorme. Il y a énormément d’argent.

J’aimerais seulement que de nombreux juifs américains puissent lire les journaux israéliens - particulièrement Haaretz - avec attention, et ils verraient qu’existe une critique virulente du gouvernement israélien. Mais on ne voit pas ça aujourd’hui.

Je suis juif et ne suis pas antisémite et je ne suis pas anti-Israël. [Les israéliens] comprennent cela, mais dans le même temps de nombreux américains ne comprennent pas les dirigeants du Hamas.

Tout le monde ne passe pas sa vie à vouloir tuer des juifs. Ils ont bien plus envie de coexister que ce que les gens imaginent. Simplement ils n’aiment pas le système, la façon dont cela se passe.

Que pensez vous de l’héritage laissé par Bush au monde ?

Il a fait plus pour terrifier la planète que quiconque que je connaisse. Le monde est tellement plus dangereux.

J’ai un ami très avisé, né en Syrie, qui est devenu un homme d’affaire en occident.

Juste après le début des bombardements en Irak il m’a dit : « cette guerre ne changera pas l’Irak - L’Irak vous changera. » J’ai vu ceci se produire et c’est effrayant.

Il est effrayant de voir comment les situations sont devenues fragiles maintenant. Rien ne va bien au Liban, rien en Syrie, rien en Iran... Ne pouvons-nous donc pas parler avec les gens que nous n’aimons pas ?

Nous devons négocier. C’est la seule façon de résoudre nos problèmes.


publication originale Al Jazeera, traduction Contre Info