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CRISE AU NIGER

Les enjeux stratégiques autour du Sahara à travers l’histoire

L’Association Alternative Espaces Citoyens et l’Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme ont organisé à Niamey en août dernier un séminaire sur la crise qui frappe le Niger actuellement.

Mardi 11 septembre 2007, par Djibo Hamani

Introduisant la réflexion sur la question centrale de l’insécurité dans le Nord, le Professeur Djibo Hamani a rappelé que le Sahara est le plus grand désert du monde avec 11 millions de km2 s’étendant de l’Atlantique à la Mer Rouge, et les 12 Etats sahariens s’étendent sur 13 millions de km2. Il a poursuivi en soulignant que toute stratégie qui concerne le Sahara concerne donc tous ces Etats, et au-delà toute l’Afrique au regard des grandes superficies que ces Etats occupent ainsi que de leurs poids démographique et politique.

L’intérêt pour le Sahara a commencé dès le 8e siècle avec le commerce transsaharien. Pour Monsieur Djibo Hamani, toutes les puissances musulmanes qui sont apparues sur la scène historique ont cherché à contrôler les voies sahariennes, sources des revenus commerciaux considérables. Ce sont d’ailleurs les convoitises sur le commerce transsaharien qui expliquent, a-t-il ajouté, la formation du Sultanat d’Ayar (Agadez) par des tribus touaregs d’immigration récente. C’est dans la même logique que s’inscrivaient les conquêtes d’Idrissa Alaoma au XVIe siècle jusqu’à Bilma où il s’installa à la tête d’une puissante armée, ainsi que celles de Askia Mohamed qui vint par deux fois (1500 et 1515) à Agadez. C’est dire que pendant toute la période précoloniale le Sahara fut un enjeu géopolitique majeur pour tous les Etats de la région, a-t-il fait remarquer.

Selon le Pr. Djibo Hamani, à l’ère de l’impérialisme colonial, ce sont les Français qui ont montré le plus d’enthousiasme à s’emparer du Sahara. Ainsi, bien avant la conférence de Berlin qui procéda au partage de l’Afrique, les Français ont émis l’idée dès 1879 de la construction d’un chemin de fer transsaharien destiné à faciliter la conquête du Soudan central et occidental pour drainer vers la France leurs richesses que beaucoup considéraient à l’époque comme fabuleuses. La déception née de l’absence de l’Eldorado recherché a conduit à l’abandon de toute ambition pour le Sahara par les puissances impérialistes, mais la France a tout de même gardé un œil sur cette région pour des questions sécuritaires.

C’est à la faveur de la découverte du pétrole dans cette zone vers 1953 qu’on constata un regain d’intérêt pour le Sahara par les puissances occidentales. C’est dans cette perspective que s’inscrivait la tentative française de créer l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) en 1957, qui consistait à rassembler les régions sahariennes d’Algérie, d’Afrique Occidentale Française (AOF) et d’Afrique Equatoriale Française (AEF) dans un ensemble unique sous contrôle de l’ancienne puissance coloniale.

Aujourd’hui encore, renchérit le Pr. Djibo Hamani, les nostalgiques du Sahara français existent en France et sont actifs à créer des difficultés aux régimes les plus vulnérables comme ceux du Niger, du Mali et de l’Algérie principalement. Le Pr. Djibo Hamani a attiré l’attention des participants que la question saharienne doit être une priorité pour tous les Etats riverains de cet espace. Les ressources minières stratégiques dont regorge le Sahara et la montée des puissances asiatiques qui inquiète fortement l’Occident, font que cette région redevient un véritable enjeu géostratégique important.

En lien avec la situation actuelle qui prévaut dans le Nord de notre pays, le Pr. Djibo Hamani a émis le vœu de voir un pays comme le nôtre, sortir du sentier que lui a tracé le colonisateur pour reconnaître sa vocation saharienne ; car a-t-il précisé, le Niger n’est pas un pays au sud du Sahara, mais un pays du Sahara méridional. Tous les peuples du Sahara, a-t-il ajouté, ont un substrat culturel commun et des liens religieux solides et profonds que le pays officiel ne doit pas ignorer. Cela permettra selon le Professeur à créer un solide front intérieur qui nous préserverait des aléas de la logique sécuritaire des grandes puissances et de leurs ambitions stratégiques.

Suite à cette communication, un débat a été ouvert et qui a permis de faire ressortir les idées forces ci-dessous :

• S’il est vrai que les grandes puissances mondiales n’ont pas manifesté beaucoup d’intérêt pour le Sahara jusqu’à la fin des années 1990, force est de constater que la situation a considérablement changé depuis l’attentat du 11 septembre 2001. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis d’Amérique ont pris des nombreuses initiatives consistant à renforcer leur présence militaire, souvent au détriment de la France, puissance colonisatrice de la plupart des pays riverains du Sahara. Au nombre de ces initiatives, on peut citer notamment la Pan-Sahel Initiative (PSI) et la Trans-Sahara Counter Terrorisme Initiative (TSCI), dont l’objectif officiel est d’aider les forces de sécurité des pays riverains et limitrophes du Sahara (Niger, Mali, Algérie, Tchad, Maroc, Tunisie, Mauritanie, Sénégal, Ghana) à contrôler les frontières et à lutter contre les activités illégales et le terrorisme.

• Aujourd’hui, on s’aperçoit clairement que l’activisme militaire des Etats-Unis au Sahara n’a nullement contribué à renforcer la stabilité et la sécurité dans certains pays concernés par les initiatives PSI et TSCI ; car, trois (3) de ces pays, à savoir le Tchad, le Mali et le Niger, sont confrontés ou ont été confrontés à des mouvements de rébellion et des activités de contrebande et de trafic en tout genre. Ce qui démontre clairement que l’intérêt accru des puissances dominantes pour le Sahara ne favorise pas nécessairement la stabilité et qu’il peut être porteur de menaces pour les Etats de la région ; car, cet intérêt est lié davantage à la lutte d’influence entre les puissances pour le contrôle des ressources naturelles, plutôt qu’aux impératifs de sécurité généralement invoqués. La parfaite illustration de cette situation nous est donnée par le conflit du Darfour, dont l’enjeu principal est le contrôle des réserves pétrolières du Soudan, actuellement exploitées par des compagnies chinoises au détriment des majors occidentaux.

• Au cours de ces dix (10) dernières années, l’influence politique de la France s’est considérablement réduite dans certains pays de son pré carré africain. L’exemple emblématique du recul de l’influence française, en ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest, demeure l’incapacité de Paris à imposer « sa solution » en Côte d’Ivoire, pays jadis considéré comme la tête de pont de la « FrançAfrique ». Au Niger, l’ancienne puissance colonisatrice est certainement contrariée aujourd’hui par l’activisme militaire des Etats-Unis dans le Sahara, mais plus encore par l’intérêt croissant de la Chine pour l’exploitation des matières premières énergétiques. La décision des autorités nigériennes de s’impliquer dans le projet militaire américain de quadrillage du désert et d’octroyer des permis d’exploration minière à des compagnies chinoises ne peut être considérée dans certains milieux parisiens autrement que comme un acte de défiance à l’égard de l’hégémonie française dans notre pays ; et c’est pourquoi les autorités nigériennes doivent avoir la conscience claire qu’il leur appartient d’assumer jusqu’au bout ce choix courageux et de veiller à ce que le conflit armé actuel ne serve à briser l’élan d’affirmation de notre souveraineté.

• Au regard du regain d’intérêt de certaines puissances pour le Sahara, il est impératif pour le Niger de développer des recherches approfondies pour connaître et cerner toutes les questions géostratégiques et géopolitiques autour de cet espace. Le pays a besoin d’un institut d’études stratégiques pour discuter de ces questions importantes et apporter des réponses pertinentes. Cet institut doit être composé d’éminents chercheurs, libres de leurs pensées et dans tous les domaines. Il aura pour mission d’étudier les questions stratégiques sous tous les plans et angles et rendra directement compte au Chef de l’Etat, comme en matière de l’état de nos relations avec tel ou tel autre pays.

• A l’heure actuelle, la recherche n’est pas assez développée autour des enjeux géostratégiques et géopolitiques du Sahara ; et il en résulte que le Niger manque une vision stratégique et prospective faisant du Sahara une question centrale dans la définition de ses politiques et dans ses rapports avec les autres Etats riverains. La vision stratégique du Niger doit se fonder sur le fait qu’il y a un substrat culturel commun à toutes les communautés nigériennes, dont on oublie souvent qu’elles sont issues du Sahara. Cette vision permet de consolider les liens en créant un front intérieur fort en vue de garantir l’Unité du pays et contrecarrer toute velléité d’ingérence extérieure ; en particulier, si elle est soutenue par une politique volontariste d’installation des populations dans les régions les plus reculées et sous-peuplées. Ces régions offrent d’importantes potentialités pour l’agriculture, le pastoralisme et le tourisme.

• Si des nombreuses considérations historiques incitent à croire que le conflit armé dans le Nord est un phénomène indissociable de la stratégie impériale de certaines puissances, notamment à cause des craintes que peut susciter l’afflux dans cette zone des nouveaux investisseurs (chinois, indiens, canadiens, australiens, etc.), il importe de ne pas perdre de vue que ce conflit a été largement alimenté par des frustrations nées de la mal-gouvernance qui a cours au Niger. Ce conflit se déroule dans une zone pastorale en proie à une paupérisation croissante des populations ; et l’on comprend aisément que les frustrations liées à la mal-gouvernance sont toujours plus grandes chez les populations qui vivent à côté d’une richesse extraite du sous-sol de leur zone. C’est pourquoi la juste répartition des richesses apparaît comme une des réponses les plus appropriées à ce conflit armé.

L’auteur est enseignant chercheur à l’Université Abdou Moumouni de Niamey