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FORUM SOCIAL MONDIAL

Le meilleur des deux mondes

Dimanche 9 décembre 2007, par Alexandre Shields

Le cofondateur du Forum social mondial, Chico Whitaker, garde l’espoir de voir émerger une conscience sociale planétaire. Peut-on imaginer un monde plus fraternel, plus solidaire, respectueux de l’environnement et dans lequel l’économie serait au service de l’humanité et non l’inverse ? Si l’idée paraît tout simplement utopique aux yeux de plusieurs, Chico Whitaker, cofondateur du Forum social mondial, y croit dur comme fer. Et le Brésilien a beau concéder qu’un tel changement prendra du temps, il insiste sur l’absolue nécessité de créer cet « autre monde ». Le regard que jette Chico Whitaker sur la société actuelle est sans équivoque : la mondialisation, quoi qu’en disent nos dirigeants, « impose actuellement à l’humanité son oeuvre mortifère en toute liberté ». Rien de moins.

Le Forum social mondial (FSM), ce rendez-vous annuel de ce que certains appellent la mouvance altermondialiste, est justement né de la nécessité de réunir ceux qui luttent contre cette façon de concevoir le monde. « L’idée, c’était de dépasser le stade de la contestation qui marquait les grandes rencontres économiques. Il ne faut pas manifester contre la mondialisation mais se demander ce que l’on veut. Bref, aller vers une recherche de propositions », résume Chico Whitaker pour expliquer la volonté des fondateurs.

L’initiative a eu un écho inespéré, dit-il, enthousiaste, puisque le premier Forum organisé en janvier 2001 à Porto Alegre a attiré environ 15 000 personnes venues d’horizons très différents. Ce nombre de participants a par la suite grimpé en flèche, passant de 50 000, en 2002, à plus de 150 000 en 2004, alors que la rencontre se tenait pour la première fois hors du Brésil, à Mumbai, en Inde. Des participants originaires de 132 pays et de 2660 associations ou mouvements s’y étaient rendus. Sans compter les dizaines de forums régionaux qui ont essaimé dans le monde entier. Le Forum fera relâche en 2008, mais simplement pour réfléchir à la suite des choses, assure M. Whitaker.

Le septuagénaire est justement heureux de voir que le FSM ait réussi, dans une certaine mesure, à « dépasser les barrières » qui existaient entre les mouvements sociaux. Ancien membre actif du Parti des travailleurs (PT), formation de gauche du président Lula da Silva au pouvoir au Brésil, Chico Whitaker est justement convaincu qu’au sein de la gauche, « le problème a toujours été celui de la division ».

Immédiatement, il prend soin de préciser que, même si le Forum a été qualifié de « rendez-vous de la gauche », il n’en est rien. Selon lui, il s’agit d’un espace de rencontre et de réseautage pour des personnes déjà engagées dans diverses actions, mais qui ne cherche pas à leur imposer un mot d’ordre, quel qu’il soit. C’est d’ailleurs là « le grand résultat du Forum, soit de permettre que ces actions soient menées. Et ce qui est incroyable, c’est que l’on avance. Ça fonctionne. »

Le FSM tient aussi à préserver sa règle du « consensus ». Chico Whitaker considère que cette façon de faire permet de se distancier des « vieilles pratiques » auxquelles les gens sont habitués. « On fonctionne trop souvent sur un système pyramidal et hiérarchique, pour des questions de rapidité ou d’efficacité », soutient-il.

Selon lui, les partis politiques sont les meilleurs exemples de ce mode d’organisation. Or « le FSM est tout à fait autre chose. Il ne s’agit pas d’un mouvement ou d’un parti politique. C’est un espace dans lequel on peut et on doit travailler avec des gens différents, sans vouloir réduire au silence ceux qui ne pensent pas comme vous. C’est pour cela que nous choisissons le réseau plutôt que la pyramide, la non-violence plutôt que l’affrontement, les échanges d’expériences et non le document final ».

Cela ne veut pas dire que certains participants ne souhaiteraient pas mettre sur pied un mouvement politique doté d’un programme précis. « C’est une bataille permanente chez nous, admet M. Whitaker. Au Forum de 2005, par exemple, des intellectuels ont essayé de faire adopter un Manifeste de Porto Alegre pour résumer ce que les gens pensaient. Ça n’a pas fonctionné, mais c’est toujours présent. »

Les tentatives de récupération politique sont d’ailleurs bien réelles. Ce fut le cas lors du Forum tenu à Caracas, au Venezuela, en 2006. Le président Hugo Chavez, véritable vedette de la gauche internationale, a utilisé le FSM comme vitrine pour sa révolution bolivarienne, déplore le cofondateur de l’événement. Or la Charte des principes du Forum social mondial stipule clairement que les partis politiques n’y sont pas les bienvenus.

Définir l’indéfinissable

La relation avec les médias n’est pas toujours harmonieuse. Difficile, en effet, d’imaginer qu’une telle rencontre n’accouche pas de revendications claires. « C’est la chose la plus typique des médias. Ils nous demandent toujours qui est le chef et quelle est la position finale. Sinon, ils nous disent : "Mais où allez-vous avec ça ?" Les gens demandent souvent, après sept ans, "qu’est-ce que ça donne". C’est aux mouvements sociaux de répondre à cette question », laisse tomber l’auteur d’un livre sur l’expérience des Forums intitulé Changer le monde, (nouveau) mode d’emploi.

Si la chose est effectivement ardue à cerner, Chico Whitaker ne s’en formalise pas outre mesure. L’essentiel, selon lui, c’est de « démontrer aux gens que cet autre monde est en train de se construire » et qu’il est plus que jamais nécessaire. La tâche est toutefois loin d’être aisée. « Si vous prenez la plupart des individus qui vivent dans des pays riches, qui ont des conditions de vie raisonnables, ils se demandent pourquoi il faudrait un autre monde. Il est difficile de dire aux gens qu’il faut plus d’austérité, parce que tout le système est basé sur la consommation. Le système s’arrête si on ne consomme pas. Ce ne sont plus les ouvriers qui ont le pouvoir d’arrêter les machines, mais les consommateurs. »

Chico Whitaker est d’ailleurs convaincu que l’on ne peut pas changer le monde à travers la seule sphère politique. « Plusieurs mouvements pensent à prendre le pouvoir, explique-t-il. Ils ont le droit, et s’ils prennent le pouvoir, qu’ils soient capables de faire ce qu’ils disent. Mais ce n’est pas par là qu’on va changer le monde. Par exemple, si on ne change pas nos comportements personnels, nos habitudes de consommation, le problème du climat ne sera pas résolu.

« Ça ne peut pas venir d’un décret du gouvernement, personne ne va accepter ça. Il faut que les gens soient convaincus qu’il faut le faire. C’est un apprentissage et un exercice permanent qui font partie d’une sorte de "changement intérieur". Il ne faut pas tenter de discipliner des militants. Les régimes totalitaires font ça. Ils réduisent tout le monde à des pièces réglées, des machines. Les gens ne veulent pas être des pièces de machines. »

Il ne faut pas non plus s’en remettre à un « sauveur ». C’est ce que les Brésiliens ont fait, selon lui, en élisant Lula. « Nous sommes tombés dans l’illusion que, si on élisait un président, tous les problèmes seraient résolus. Chez nous, les gens font de la politique comme ils font des affaires, pour s’enrichir, et le gouvernement Lula a adopté les mêmes règles du système corrompu qui existe au Brésil. Tout ce monde-là a été victime d’un pragmatisme à outrance pour être élu. Ç’a été un pas en arrière », juge-t-il.

Chacun de nous

Exaspéré, l’ancien conseiller municipal de São Paulo a lui-même démissionné du PT avec fracas en janvier 2006. « Au lieu de perdre les deux tiers de mon temps dans des bagarres internes, je préfère me consacrer à un travail dans la société civile, qui a besoin d’organisation », poursuit cet homme optimiste qui a vécu 15 ans en exil avec sa femme et ses quatre enfants, tandis qu’une dictature régnait avec une poigne de fer sur le Brésil.

Il garde d’ailleurs espoir de voir émerger une « conscience sociale » qui se répercutera à grande échelle, mais sans naïveté. « Je ne suis pas catastrophiste, mais je suis très préoccupé. Si les changements climatiques continuent de s’intensifier, le problème de l’eau va devenir très sérieux, tout comme celui de la faim. Et le "débalancement" de l’ensemble de cet équilibre interne de la planète, qui a pris des milliards d’années à se former, est dû à la recherche du profit à tout prix. Moi, je ne vais pas voir les plus graves conséquences de tout ça, mais je suis très inquiet pour mes enfants, mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants. Ils vont vivre dans un monde où la guerre pour le contrôle de l’eau sera bien réelle. »

La solution passe selon lui « par chacun de nous ». « Les personnes politiques devraient agir contre cela, mais ne le font pas. C’est pour ça que la société civile est un acteur fondamental. Si la société prend conscience de cela et commence à agir, on va obliger les politiques à agir, à faire ce qu’ils doivent faire. »


Voir en ligne : www.ledevoir.com