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NÉPAL

Le contexte de l’insurrection

Samedi 17 juin 2006, par Yuri Prasad

Depuis dix ans, le royaume du Népal est secoué par une violente guerre civile. D’un côté la monarchie et l’armée. Et de l’autre, le Parti communiste du Népal (maoïste). Avec la Chine au nord et l’Inde au sud, proche du Pakistan et de l’Afghanistan, ce pays est au centre d’une géopolitique tourmentée. La population du Népal est l’une des plus pauvres de la planète. Majoritairement rurale, elle vit d’une maigre agriculture de subsistance dominée par des structures féodales. Dans les villes et la capitale Katmandu, le tourisme et l’industrie ne suffisent pas à absorber les sans-emploi qui sont plus de 50% de la population.

La guerre civile

En 1990, une première insurrection avait lieu et permis la mise en place du premier gouvernement élu depuis 1960. La gauche légale, notamment le Parti communiste du Népal (marxiste-léniniste unifié) a profité de cette fenêtre, mais par la suite, les réformes sociales ont été bloquées, notamment la redistribution des terres. En coulisse, le Palais a continué d’exercer une influence prédominante sur les affaires de l’État.

En 1996, cette impasse a mené à l’essor du PCN (M) et de sa stratégie de guerre populaire. Jusqu’alors une petite faction communiste, ce parti dirigé par des cadres urbains s’est alors implanté dans une partie significative de la paysannerie. Aujourd’hui, environ 80% du territoire national est sous son influence et il dispose d’une force militaire bien formée et entraînée. L’objectif des Maoïstes, le « Naulo janbad », soit la démocratie populaire s’inscrivait dans une lutte contre le féodalisme et pour la démocratie bourgeoise. Au bout de la ligne espéraient-ils, un nouvel État serait mis en place avec au centre les paysans et les travailleurs, avec la participation de la bourgeoisie nationale et des nations opprimées. [1]

Pour les Maoïstes, l’imposition d’une démocratie parlementaire au Népal signifiait le renversement de la monarchie et des propriétaires terriers, par la violence. Ils ne pensaient pas que le régime pouvait se réformer, en d’autres mots. Dans une première étape, les Maoïstes ont travaillé à unir la paysannerie, déclencher un soulèvement armée contre les grands propriétaires terriers et constituer des zones libérées. Les premières attaques ont ciblé des propriétaires connus pour leurs pratiques oppressives, des postes de police, des banques (où sont enregistrés les titres de propriétés), des distilleries et l’usine de Pepsi-Cola de Katmandu. Peu à peu des régions ont échappé au contrôle de l’État au point où les zones rurales se sont retrouvées majoritairement sous le contrôle du PCN (M). Par ailleurs, l’armée a réussi à confiner l’insurrection en portant de durs coups contre les Maoïstes. Des milliers de paysans et de leaders ont été emprisonnés, tués, torturés. Selon Amnistie internationale, le Népal détient le plus haut pourcentage au monde de personnes qui sont disparues alors qu’elles étaient en détention. [2]

Les maoïstes ont également frappé l’opposition légale, notamment le Parti communiste (MLU) et le Parti du Congrès, dont les cadres furent ciblés comme « ennemis du peuple » et « informateurs ». Des organismes de droits humains comme Human Rights Watch ont documenté les violations perpétrées par les Maoïstes, y compris le recrutement forcé d’enfants.

Changement de cap

Vers 2001, le leadership des Maoïstes a commencé à reconnaître que l’insurrection était dans une sorte d’impasse. Il était clair que la guerre populaire prolongée ne pourrait pas briser l’État népalais. Et que par ailleurs sans changement au niveau de l’État, la guerre continuerait indéfiniment, y compris contre les zones libérées. Le PCN (M) a alors entrepris des actions urbaines dans le cadre de la politique dite du « Prachandapath », du nom du dirigeant maoïste Prachanda. En juin 2001 entre-temps, la monarchie est entrée en crise à la suite d’un massacre où le roi et sa famille ont été tués par un membre de la famille royale. Le prince Gyanendra fut par la suite intronisé. Les Maoïstes dans leur travail urbain ont alors mis en place des organisations semi-légales organisant grèves et manifestations. Tout en paralysant Katmandu à quelques reprises, les Maoïstes ont cependant constaté que l’action urbaine non-armée était un grand défi d’autant plus que dans les villes, la gauche légale continuait de dominer. Selon le numéro deux du PCN (M), Baburam Bhattarai, les Maoïstes ont alors commencé à repenser leur stratégie. [3]

Vers la confrontation

À la fin de 2001, les confrontations militaires se sont intensifiées. Le roi a déclaré l’état d’urgence et les pourparlers préliminaires avec les Maoïstes ont été suspendus.Encouragée par l’appui des Etats-Unis et de l’Inde, la monarchie a pensé qu’elle pouvait briser les zones contrôlées par les Maoïstes. En réalité, l’offensive militaire a échoué et au contraire du but espéré, les Maoïstes ont émergé encore plus fort. Pendant trois ans, la guerre a continué cependant avec chaque camp prétendant avoir porté des coups « décisifs » à l’autre. En février 2005, le roi frustré de constater l’impasse a voulu porter un grand coup. Il a dissous l’assemblée constituante et s’est déclaré monarque absolu. Capables de tenir tête à l’armée dans les campagnes, les Maoïstes n’étaient cependant pas assez forts pour prendre les villes. Ils ont alors changé leur discours pour préconiser un état démocratique et une démocratie constitutionnelle, qu’ils mettraient en place avec les autres forces politiques. « Nous sommes pour une transformation pacifique de l’État une fois que la révolution aura mis en place une démocratie pluripartidaire », a alors déclaré le porte parole du PCN (M), Bahadur Mahara. [5]

L’accord en 12 points

En novembre 2005, les Maoïstes se sont entendus avec l’opposition légale (les sept principaux partis) sur un document en 12 points, réclamant une assemblée constituante et la mise à l’écart du roi. En réalité, les Maoïstes proposaient de réconcilier leur contrôle des campagnes avec leur reconnaissance qu’ils devaient partager le pouvoir en ville. L’accord a durement secoué le Palais et également l’ambassadeur américain au Népal, James Moriarty, qui a déclaré que l’entente était un « marché de dupes ». [6] En dépit de l’aide militaire américaine, l’ambassadeur reconnaissait toutefois que le roi n’avait plus la capacité de combattre. Dans une tentative désespérée de regagner un peu de légitimité, la monarchie a organisé des élections locales en février 2006. Mais moins de 30% des électeurs ont participé et les partis dominants (90% de l’électorat) ont tous appelé au boycott.

Le président du PCN (M) a attiré l’attention en affirmant que son parti rejetait les systèmes établis en URSS ou en Chine, disant même qu’il serait satisfait d’une monarchie constitutionnelle et un État qui s’opposerait au féodalisme et aux forces impérialistes. « Au XXIe siècle, nous ne pouvons avoir un État comme avant. Nous voulons un État qui donne le maximum de droits aux gens, qui permet la libre compétition, qui empêche l’oppression et la suppression des droits. Notre engagement pour un système pluripartidaire n’est pas tactique. En réalité, nous avons conclu que la démocratie était le seul système correspondant à notre réalité actuelle ». [4]

Implications régionales

L’Inde et la Chine ont suivi ces développements avec anxiété. L’inde est plus impliquée car ses relations avec le Népal sont étroites. Une partie importante de l’approvisionnement en eau de l’Inde origine du Népal. L’énergie électrique du nord de l’Inde dépend de la régulation de ces grands fleuves comme le Gange. Par ailleurs, L’Inde craint l’effet d’entraînement que pourrait avoir le maoïsme népalais dans certains États indiens comme le Bihar, l’Uttar Pradesh et l’Andra Pradesh où différentes mini insurrections maoïstes prolifèrent, ce qui pourrait également affaiblir les partis communistes légaux dont dépend la coalition dominée par le Parti du Congrès présentement au pouvoir à Delhi. Quant à la Chine, elle craint qu’un Népal radicalisé pourrait servir de base à des mouvements tibétains. Dans la dernière période, le roi népalais a fermé les bureaux du Dalai Lama à Katmandu et en échange, il a reçu des armes et des munitions de la Chine.

À la porte du pouvoir ?

Dans ce contexte, l’insurrection d’avril a bouleversé les cartes. Maintenant que la monarchie a été renversée, les partis légaux et le PCN (M) se retrouvent à la porte du pouvoir. Comment sera-il possible de réconcilier la remise en place de la démocratie parlementaire avec les revendications de base des Maoïstes, notamment la réforme agraire ? Comment les demandes des minorités nationales appuyées par le PCN (M) pourront être acceptées et constituer la base pour un nouvel État ? Comment sera reconstruite l’armée et comment les éléments de l’armée populaire du PCN (M) pourront être intégrés dans cette armée ? Entre-temps, comment le nouveau pouvoir pourra-t-il résister aux pression des Etats-Unis, de l’Inde, de la Chine ? Ce sont les questions fondamentales qui sont aujourd’hui à l’ordre du jour du Népal et du PCN (M).

Notes

1. Common Minimum Policy and Programme of the United Revolutionary People’s.Sur le site internet du PCN (M) : www.cpnm.org/worker/issue8/urpc.htm.
2. http://www.kantipuronline.com/kolnews.php?&nid=66104
3. ‘Maoists Eye Multiparty Democracy in Nepal’, Washington Post, 30 July 2005.
4. Entrevue de Prachanda par la BBC (www.news.bbc.co.uk/1/hi/world/south_asia/4707482.stm)
5 : Isabel Hilton, ‘The King and Mao’, Financial Times, 14 mai 2005.
6. Associated Press, 15 février 2006.