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FRANCE

La droite a gagné la bataille des idées

Mardi 15 mai 2007, par Susan George

A l’instar de leurs homologues américaines, les élites françaises ont réussi à imposer leur pensée aux électeurs.

Ainsi, en France, en l’an 2007, l’on peut faire voter les gens contre leur intérêts. Cela fait de longues années que ça marche comme un charme au Etats-Unis, mais je croyais les Français plus aptes à la résistance. Inspirée pa le non à la constitution en mai 2005, j’avais écrit (dans Nous peuples d’Europe ) combien je me sentais fière d’appartenir à un peuple aussi intelligent. Je ne regrette toujours pas ma citoyenneté française au moins les gens ici votent, et même massivement, alors que la moitié des Américains, croyant sans doute ne rien pouvoir changer, restent chez eux. Mais tout de même, quel changement en deux ans ! Est élu et bien élu quelqu’un qui a dit ce qu’il fera et qui fera en effet ce qu’il a dit. Il fera de beaux cadeaux aux entreprises transnationales du CAC 40, aux grandes fortunes, et, dans une moindre mesure, aux classes moyennes supérieures. Tant pis pour les autres.

Selon notre nouveau président, l’économie française se serait enlisée, il lui faudrait devenir plus « compétitive » ; elle doit ressembler davantage à l’économie américaine, la plus néolibérale du monde. Au nom de la « compétitivité », les citoyens français doivent renoncer aux 35 heures, aux allocations et protections de tout ordre, au « Welfare State » ; bref, à tous les acquis depuis les années 1930. Et ils l’ont cru ! L’économiste américain Mark Weisbrot explique qu’il n’y a aucune raison pour que les habitants d’un pays quelconque, s’il est développé et jouit d’une productivité élevée, réduisent leur niveau de vie ; il montre que le taux du chômage des jeunes est à peu près le même aux USA et en France, que les Américains ne sont nullement « plus riches » que les Français.

Bien sûr, les élites utilisent l’argument de la concurrence internationale pour obliger les gens à accepter des sacrifices, mais cela signifie uniquement qu’on les laisse faire et non pas qu’il y aurait nécessité économique. C’est pour elles la méthode la plus efficace pour canaliser les richesses vers le haut de la pyramide sociale c’est-à-dire vers elles-mêmes et ça marche à tous les coups. Chez nous aussi, hélas.

La mondialisation néolibérale, c’est en dernière analyse la victoire de l’idéologie de ceux que j’appelle les « gramsciens de droite » parce qu’ils ont compris le concept « d’hégémonie culturelle » forgé par le penseur marxiste Antonio Gramsci, mort dans une prison fasciste italienne en 1937. La classe dominante triomphe lorsqu’elle est arrivée à faire penser les gens comme ils « doivent » penser. Si l’on arrive à occuper la tête du peuple, nul besoin de coercition : les coeurs, les mains et les votes suivront.

En Amérique, de grandes fondations privées dépensent depuis des décennies des sommes astronomiques bien plus du milliard de dollars pour que la pensée de cette droite se répande, s’insinue dans toutes les institutions, devienne le « sens commun ». Pour légitimer ses idées, elles financent les intellectuels, les centres de recherche, les publications, les colloques, les bourses... Autrement dit, elles paient l’eau dans laquelle nagent les poissons et les poissons n’en savent rien.

De ce fait, vingt-cinq années après l’intronisation de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, les Français, a priori si intelligents, tombent dans le même panneau. Si les élections législatives nous assènent un autre coup semblable, l’élite internationale pavoisera encore plus qu’aujourd’hui ; l’élite française aura tout son temps et un boulevard devant elle. Qu’une seule voix de gauche ait pu encourager, par souci de pureté, de revanche, que sais-je encore, par l’abstention ou par le vote blanc-nul, ce résultat me dépasse et me navre. Il n’y a pas de combat désormais plus urgent que celui de la connaissance, si ce n’est celui de l’unité.

Dans cette bataille, Attac, dont j’ai été pendant six ans vice-présidente et dont la devise est « association d’éducation populaire tournée vers l’action » a toute sa place. Aujourd’hui, cette association s’est dotée d’un conseil d’administration renouvelé et énergique et repart du bon pied après une crise dont les auteurs portent, à mon sens, une responsabilité historique. Cette crise, dont le point d’orgue fut la fraude aux élections internes de juin 2006, nous a paralysés pendant de longs mois. Heureusement, depuis janvier, nous reprenons le flambeau et l’offensive. Nous allons combattre sur le front à la fois de la connaissance et de l’action.

La connaissance n’est pas un luxe ni le fait d’une quelconque minorité. Elle est un droit pour tous, et un instrument indispensable de lutte et de libération. Plus on la partage, plus elle est féconde, plus elle augmente. Elle est le carburant du mouvement altermondialiste. Pour changer le cours des choses, il faut comprendre, s’armer de faits, d’arguments, d’analyses et être capable de démonter ceux d’en face.

C’est ce que le peuple français a saisi en mai 2005 lors de l’immense débat national sur la constitution européenne. C’est cet élan qu’il faut retrouver immédiatement en vue des élections législatives ; c’est ce travail patient qu’il faudra consentir pendant tout le règne du roi du mensonge.

A chacun d’y contribuer à sa manière.

* Susan George est membre du conseil scientifique d’Attac.