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NAIROBI 2007

La dette odieuse du Kenya

Vendredi 1er décembre 2006, par NJEHU Njoki, AMBROSE Soren

Avant sa récente débâcle, l’ancien Ministre des Finances David Mwiraria a fait les gros titres à la mi-janvier en demandant l’annulation de la dette extérieure du Kenya. Cette demande, formulée dans le contexte de la sécheresse actuelle, d’une visite du célèbre économiste Jeffrey Sachs et de la publication d’un rapport de l’ancien Ministre de la planification Anyang Nyong’o, a fait l’objet d’un consensus inhabituel entre le gouvernement et ses critiques.

Mwiraria avait auparavant été réticent à demander l’annulation de la dette, arguant du fait que cela pourrait porter préjudice à la notation financière du Kenya. Malheureusement, la demande est venue trop tard, sept mois après la fin des négociations qui ont abouti à l’accord du G8 annulant la part multilatérale de la dette de 13 Etats africains.

Dans tous les cas, la démission de Mwiraria trois semaines plus tard, suite à une série de présomptions de corruption, vint probablement détourner le peu d’attention que sa demande avait pu lui apporter. En effet, les représentants officiels du FMI et de la Banque mondiale qui lurent ses premiers commentaires eurent certainement quelque plaisir à l’idée que son appel serait désormais terni et considéré encore une fois comme la tentative d’un ministre corrompu de contourner les règles du jeu.

Mais Mwiraria n’était pas le seul ministre à émettre cette revendication. Le 27 janvier, le Ministre des Affaires étrangères, Raphael Tuju, indiqua que la recherche d’une annulation de la dette allait définir les engagements vis-à-vis des partenaires multilatéraux. Scandales et problèmes de calendriers mis à part, les Kenyans devraient faire bon accueil au changement de position du gouvernement sur la question de l’annulation de la dette et demander qu’il aille jusqu’au bout. Car c’est la reconnaissance bien tardive que le paiement de la dette extérieure, qui utilise environ 22% du budget annuel, représente un poids significatif, inutile et injuste, qui tire l’économie kenyane vers le bas.

Aucun des scandales de corruption qui font la une des journaux aujourd’hui ne pourra changer quoi que ce soit à propos du scandale qui dure depuis 25 ans et que constitue la crise internationale de la dette.

Mwiraria, Nyong’o, Tuju et Sachs ont tous raison quand ils disent que le Kenya ne pourra pas atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), bien que très modestes, tant que la dette ne sera pas éliminée. Ils ont raison, aussi, de ne pas tenir compte du prétendu risque pour la notation financière du Kenya en exigeant l’annulation de la dette. Au cours de l’année dernière, le Nigeria et l’Argentine ont démontré que les gouvernements qui tiennent tête aux créanciers et placent les intérêts de leur peuple en premier ne sont pas pénalisés, mais récompensés par un respect financier et politique.

Et bien qu’ils n’insistent pas dessus, les militants anti-dette de ces dernières années auraient raison de souligner que le quotidien de la dette dans lequel le FMI et la Banque mondiale ont maintenu le Kenya et des dizaines d’autres pays en développement est nourri de réclamations (de créances) qui ont été depuis présentées comme illégitimes.

Si le Parlement accédait aux demandes de la société civile de rendre public le registre de la dette, il serait facile de prouver que la plupart de ces dettes sont la conséquence de projets et de programmes auxquels les Kenyans n’ont jamais donné leur accord, et qui firent plus de mal que de bien.

C’est sur la base de tels arguments que les Etats-Unis et d’autres grandes puissances ont négocié avec succès l’annulation de la dette irakienne. Pourquoi les Kenyans devraient-ils payer pour la corruption passée ?

Il faut se souvenir que c’est à cause de ces dettes et des conditions d’asservissement que le FMI et la Banque mondiale imposent aux pays endettés que la souveraineté du Kenya est compromise.

L’élimination de la dette extérieure du Kenya est une condition nécessaire à la réalisation des OMD et à un début de restauration de la souveraineté économique et politique du Kenya. Mais, comme le dénouement des scandales Goldenberg et Anglo Leasing le démontrent, ce n’est pas une condition suffisante pour y parvenir.

Si les Kenyans veulent un jour que justice soit faite dans le système économique globalisé, ils doivent exiger de leurs élites politiques une véritable responsabilité. Non pas parce que la BM, le FMI, l’ambassadeur américain ou Sir Edward Clay le disent, mais parce qu’une telle justice n’aurait pas de sens sans un gouvernement national dévoué au responsable exercice de la souveraineté économique et politique.

Tant que la population, les médias et les créanciers considèreront que le gouvernement est redevable en premier chef à ses créanciers, le Kenya aura peu de chance de se libérer de la corruption, ou de regagner sa souveraineté économique et politique.

Pendant une grande partie de ces quinze dernières années, le Kenya a vu les bailleurs de fonds cibler la corruption et interrompre l’aide. L’intégrité doit être totale : elle ne saurait être imposée depuis l’extérieur.

Récemment, le Vice-Président en charge de l’Afrique pour la Banque mondiale, Gobind Nankani, s’est exprimé dans la presse au sujet de Anglo Leasing, disant qu’il était très important que le gouvernement fasse la preuve de son attachement à la bonne gouvernance par des actes.

Bien sûr, ses propos vont être lus par tous comme faisant moins référence à ce dont ont besoin les Kenyans qu’à ce sur quoi la Banque mondiale va insister avant d’apporter davantage d’aide.

La décision consciente de rediriger nos attentes sur la responsabilité est nécessaire. C’est aux Kenyans d’encadrer, d’animer et de conclure ce débat, et non pas à la Banque mondiale.

Après avoir exigé une responsabilité durable et sincère de la part de nos hommes politiques, ceux-ci devraient demander une gouvernance démocratique qui fonctionne dans les intérêts du peuple et non dans ceux de la Banque mondiale et des gouvernements étrangers dont elle représente les intérêts. Et par définition, la gouvernance démocratique est incompatible avec les conditions et les contrôles exorbitants imposés par le FMI, la Banque mondiale et les autres créanciers officiels.

Alors que nous saluons le changement de cap de Mwiraria comme une preuve de la responsabilité économique grandissante au sein du gouvernement, nous devrions aussi nous rappeler l’une des mesures significatives prises par Mwiraria alors qu’il était encore Ministre des Finances : l’indépendance du budget vis-à-vis des fonds des donateurs.

C’est une première dans la région et une étape concrète vers la revendication de la souveraineté kenyane. Elle mérite d’être suivie d’autres avancées, afin de coupler responsabilité économique et autonomie budgétaire.

Nous pouvons commencer dès aujourd’hui à exiger que le Kenya retrouve sa souveraineté et définisse des orientations rationnelles pour des priorités nationales en demandant au gouvernement qu’il fasse preuve de responsabilité lorsqu’il signe des chèques pour le remboursement de dettes illégitimes, détournant ainsi des ressources nationales cruciales pour un peuple affamé et des Kenyans au chômage.

Une bonne gouvernance impliquerait que le gouvernement kenyan déclare, sans aucune ambiguïté, que, pour le bien de son peuple et l’accomplissement de la justice, il s’apprête à répudier une dette qui a appauvri et contraint les Kenyans durant de si longues années.

Cette décision n’aurait que peu de chance de s’attirer les bonnes grâces de la Banque mondiale ou même de Sir Clay, mais, en plaçant le peuple devant les créanciers, ce serait le début d’une véritable responsabilité.

NJEHU Njoki, AMBROSE Soren